Le Sénégal est-il encore une République laïqu
C’est un truisme de dire que depuis le 19 mars 2000, le Sénégal n’est plus dirigé par un homme d’Etat responsable qui pense et travaille pour les générations futures. Le Président Abdoulaye Wade vient encore d’illustrer ce fait pour la énième fois dans les propos qu’il a tenus le samedi 5 novembre 2009, rapportés par le quotidien Le Populaire du lundi 7 décembre 2009 en ces termes : «Ce que je fais pour les chrétiens, ils ne l’ont pas dit. Je pouvais ne pas le faire, car j’ai pris cet argent de ma propre poche, ce n’est pas l’argent du pays. Mais je le fais car c’est la vie qui est ainsi. De la manière que j’aide ceux-ci, c’est de la même manière que j’aide les autres.»
Ces propos qui ont l’allure d’une provocation venant de la première institution du Sénégal nous amènent à penser que nous avons un président de la République qui fait montre d’inconscience et d’insouciance jamais égalées, en usant de menées subversives qui foulent du pied les principes de laïcité et de démocratie qui constituent le ciment de notre Nation, les piliers sur lesquels repose celle-ci. Cette Nation, les Présidents Senghor et Diouf l’ont, respectivement, construite puis raffermie en maintenant solides les équilibres plutôt fragiles mais indispensables pour que règne une paix durable dans un pays, dans notre pays. Il s’agit des trois équilibres suivants : équilibres ethnico-linguistiques, d’appartenances géographiques et d’appartenances religieuses ou confrériques.
Les équilibres ethnolinguistiques. Sous les régimes de Senghor et de Diouf, les discours officiels du président de la République, le Président de tous les Sénégalais, se faisaient dans la langue officielle, le français. Avec Wade, les discours sont souvent ouverts en wolof, langue véhiculaire certes, mais qui n’en demeure pas moins une langue nationale, ayant constitutionnellement le même statut que les autres langues nationales. Senghor faisait l’effort de saluer les populations non Wolof, lors de ses meeting à l’intérieur du pays en langue pulaar, seereer, mandinka, joola ou autre, pour leur manifester son attention, même s’il ne parlait pas couramment toutes ces langues. Le Président Wade, dans les actes qu’il pose tous les jours, semble n’avoir aucune considération pour les autres ethnies et les autres langues différentes de son ethnie et de sa propre langue maternelle. Quel mépris ! C’est également avec le Président Wade (encore lui), que nous avons vu, par exemple, un gouvernement formé sans la présence d’un seul ministre Seereer, la troisième ethnie du Sénégal en termes de population, après les wolof et les pulaar. Ce qui est inacceptable. Un Président soucieux du traitement équitable des composantes ethniques de sa Nation n’aurait jamais commis une erreur aussi grossière à l’encontre d’une entité religieuse ou ethnique aussi importante du pays.
Les équilibres d’appartenances géographiques. Aux temps de Senghor et de Diouf, les ministres, étaient choisis dans les secrets du Palais présidentiel, les hommes d’Etat d’alors jouant sur les équilibres régionaux pour former des gouvernements dans lesquels, pour l’essentiel, les Sénégalais se reconnaissaient quelle que soit leur région d’origine. C’est avec Wade qu’on a vu un chef de gouvernement annoncer publiquement que toutes les régions du Sénégal sont représentées dans le gouvernement qu’il venait de mettre en place...Quelle maladresse ! Rien d’étonnant alors, lorsque l’on voit des habitants d’un département ou d’une autre circonscription administrative manifester pour demander au président de la République de nommer un ministre originaire de leur localité.
C’est également sous le magistère de Wade que nous avons vu six ministres d’un gouvernement provenant d’une seule région alors que d’autres n’avaient qu’un seul ministre, voire aucun ; des régions bénéficiant d’une bonne couverture médicale alors que d’autres, comme Fatick, n’ont même pas d’hôpital régional fonctionnel ; des régions en voie d’abriter deux universités alors que d’anciennes comme Fatick, Kaolack et autres n’en ont pas encore une seule, etc.
Les équilibres d’appartenances confrériques ou religieuses. L’on peut se demander si nous sommes encore, au Sénégal, dans une République laïque. Des dérives religieuses, il y en avait certes au temps du Président Diouf. En témoigne par exemple les chrétiens catholiques de la ville de Tivaouane à qui l’on a refusé, jusque-là, le droit de disposer d’une église dans laquelle ils pourraient, comme le leur permet la Constitution, faire librement leur culte. Mais force est de constater que cette volonté de nier l’existence du chrétien, de le réduire à sa plus simple expression, s’est accentuée avec l’arrivée de Wade au pouvoir, le «dimanche noir» du 19 mars 2000. C’est avec le Président Wade que, dans une République laïque, l’éducation religieuse a été introduite à l’école publique, de manière formelle pour une seule sensibilité religieuse. Rappelons que l’éducation religieuse, en soi, n’est pas une mauvaise chose pour les enfants des écoles publiques. Au contraire, la morale religieuse peut être d’un grand apport dans la formation des enfants. Mais faudrait-il que toutes les sensibilités religieuses soient traitées de manière équitable. Or, c’est loin d’être le cas pour le moment au Sénégal. Ce qui est en train de se passer, c’est-à-dire ce que le Président Wade a réellement fait pour les chrétiens et que ceux-ci n’ont pas dit, c’est que l’Etat recrute des maîtres pour enseigner la langue arabe dans les écoles élémentaires publiques et utilise ces mêmes maîtres pour dispenser l’éducation religieuse musulmane. En même temps, il refuse de recruter des maîtres d’éducation religieuse chrétienne, proposant aux chrétiens de chercher eux-mêmes leurs propres catéchistes qui vont faire du bénévolat. Quelle injustice ! Les enfants chrétiens n’auraient-ils plus les mêmes droits que leurs frères musulmans ? En plus, dans les écoles maternelles et les cases des tout-petits, où les enfants n’apprennent pas encore la langue arabe, ce sont des maîtres qui dispensent exclusivement l’éducation religieuse musulmane que l’on trouve… Et là encore, aucun maître d’éducation religieuse chrétienne n’est recruté. Aussi bien dans les écoles préscolaires que dans ceux de l’élémentaire, les enfants chrétiens sont laissés à eux-mêmes lors du cours d’éducation religieuse. C’est cela qui se fait sous le règne du Président Wade. Voici le sort qu’il réserve aux enfants chrétiens de Ziguinchor, de la Petite-Côte, de Thiès, du Sine, du Sénégal….
C’est encore avec Wade que nous avons entendu le porte-parole d’une confrérie religieuse, apparemment frustré par un traitement discriminatoire, révéler tout haut dans la presse que Wade n’a rien fait pour sa ville religieuse.
Tous ces éléments évoqués montrent l’état de dégénérescence de nos institutions et du ciment de la cohésion sociale qui fondent notre commun vouloir de vivre ensemble, de vivre avec les autres qui sont différents de nous dans un enrichissement mutuel. Les Etats africains dont les premiers dirigeants, au lendemain de leur indépendance, n’ont pas compris l’importance des trois équilibres sus-cités ont fini par plonger leur pays dans des cycles de violence difficile à arrêter. Le Sénégal, grâce à la maturité de ses premiers dirigeants, a su échapper à ce phénomène. Mais tout porte à croire que le régime actuel du Sénégal, dont les détenteurs ne semblent être préoccupés que par leurs intérêts égoïstes et immédiats, n’ont que faire des équilibres sociaux.
Monsieur le Président, l’analyse faite de vos propos inopportuns du samedi dernier (lors de la pose de la première pierre de la grande mosquée mouride, propos déplacés qui n’avaient rien à faire à cet endroit, laisse penser que vous êtes sérieusement en mal de popularité et qu’au soir de votre vie politique, vous cherchez à mettre les chrétiens du Sénégal en mal avec leurs frères musulmans, toutes confréries confondues, pour tirer votre épingle du jeu. Si c’est cela votre nouveau plan machiavélique, rassurez-vous, c’est perdu d’avance. L’Islam est une religion qui prône la tolérance ; et Jésus nous enseigne que le premier commandement est d’aimer le seigneur Dieu, de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toute sa force ; et le second : d’aimer son prochain comme soi-même. Chrétiens et musulmans sont donc appelés, comme ils le font au Sénégal depuis des siècles, à vivre en commun, dans une entente parfaite, avec leurs frères de la religion traditionnelle. N’en déplaise aux monarques encagoulés qui veulent régner sur leur peuple par la division.
Retenez, Monsieur le Président, que l’Eglise n’est pas quémandeuse : «Ce que je fais pour les chrétiens, ils ne l’ont pas dit.» Elle a des besoins, certes, mais elle reste digne et mérite plus de respect et de considération de votre part. Ses fidèles sont des citoyens à part entière, que vous tentez par vos manœuvres, de reléguer au statut de citoyens entièrement à part (« Je pouvais ne pas le faire »). Cette attitude est-elle digne d’un chef d’Etat qui clame partout être le Président de tous les Sénégalais ? L’Eglise ne demande certainement pas de faveurs, encore moins d’actes de corruption à son endroit (« car j’ai pris cet argent de ma propre poche, ce n’est pas l’argent du pays »); elle souffre de vos pratiques discriminatoires, et aspire à jouir de ses droits comme toutes les autres entités religieuses de ce pays… Un proverbe Seereer ne dit-il pas que «Yaay no siid a ndaxan a wondooraa… ?».
Gardez donc vos dons personnels, monsieur le Président, restituez à l’Eglise ses droits les plus élémentaires…et ayez un peu plus d’égard pour elle.
Pépin FAYE - nspecteur de l’Education / fayepepin@yahoo.fr