Douze morts, c’est déjà trop !
“Bien informés les hommes sont des citoyens, mal informés ils deviennent des sujets.” [Alfred Sauvy]
Les fantômes qui hantent la campagne de Wade
Le président Abdoulaye Wade continue de sillonner le pays comme si de rien n’était. Mais dans son for intérieur, il sait que trois ‘fantômes’ continuent de hanter sa ‘campagne’ électorale : la controverse au sujet de la violation de la Constitution, l’échec de son bilan et son âge avancé.
Une candidature de trop qui viole la Constitution
Même si le Conseil constitutionnel a validé la candidature d’Abdoulaye Wade, probablement sous l’emprise de la peur et l’effet de la corruption, celle-ci n’en est pas pour autant légitime. Personne n’a oublié sa propre déclaration de mars 2007 devant le peuple sénégalais, lors de sa conférence de presse après sa ‘réélection’ : ‘Je ne peux plus me présenter pour un autre mandant, car j’ai verrouillé la Constitution.’ Et voilà que, cinq ans plus tard, après l’échec de son plan de dévolution monarchique du pouvoir, il se dédit devant le peuple sénégalais et l’opinion internationale. C’est cette honteuse volte-face, indigne d’une personne de son âge, et président de la République de surcroît, qui lui a valu d’être la risée de l’opinion publique, qui lui a collé le nom de ‘Wade Wax Waxeet’ ou 3W (‘Wade qui dit et se dédit’ en langue locale wolof ! Ndlr )
Ce reniement de sa parole est une honte pour lui-même, son parti et toute la valetaille qui soutient sa candidature. Celle-ci a incontestablement terni l’image du Sénégal en Afrique et ailleurs dans le monde. Un président de la République, âgé de près de 90 ans, qui regarde ses petits-enfants et arrière-petits-enfants dans les yeux pour leur dire qu’il renie sa parole sur un sujet aussi fondamental que la Constitution a de quoi donner la nausée !
C’est cela qui nourrit et galvanise l’opposition à un troisième mandat menée par le M23, regroupant toutes les forces vives du pays ayant à cœur de défendre la Constitution du Sénégal. Ce combat est légitime et mérite le soutien et l’adhésion de tout le peuple sénégalais, car c’est un combat pour la démocratie, l’Etat de droit, le respect des citoyens par les élus et pour préserver l’image du Sénégal en Afrique et dans le monde.
C’est cela également qui a amené certains pays occidentaux, comme la France et les Etats-Unis, à exprimer leurs réserves quant à la candidature du président sortant. Ainsi donc, vomi par la majorité du peuple sénégalais, suscitant les réprobations à peine voilées de la part de ses ‘amis’ occidentaux, surveillé par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies, le président Wade a dû se rendre compte que malgré les apparences, son coup d’Etat constitutionnel risque de lui coûter très cher.
Le bilan désastreux du libéralisme tropical
Le deuxième ‘fantôme’ qui hante la campagne du président Wade est son bilan économique et social catastrophique en dépit de ses propres déclarations et celles de ses thuriféraires. Tout leur discours sur les ‘réalisations’ du régime libéral est construit autour des infrastructures. On notera d’abord que ces infrastructures sont pour l’essentiel limitées à Dakar et ses environs. Ensuite, le coût de ces infrastructures est estimé exorbitant par la plupart des experts en travaux publics. Le livre d’Abdou Latif Coulibaly Contes et mécomptes de l’Anoci fait des révélations fracassantes sur les surfacturations, les dépenses fictives et les marchés de gré à gré portant sur des centaines de milliards. Jusqu’à ce jour, il n’y a pas eu de réponse convaincante à ces révélations de la part de M. Karim Wade et de ses mercenaires de la plume. En vérité, cette opacité dans la gestion des travaux de l’Anoci et d’autres chantiers, comme le monument de la ‘Renaissance’, a surtout servi à enrichir une minorité d’individus. C’est cette classe de ‘nouveaux riches’ qui pousse le président sortant à s’accrocher au pouvoir au mépris des dispositions de la Constitution.
Sur le plan économique et social, l’expression ‘ Barça ou Barsax’ (slogan brandi par les émigrés clandestins pour emprunter les pirogues pour aller en Espagne, Ndlr) résume à elle seule l’échec du régime libéral. Cette expression traduit le drame de la jeunesse sénégalaise à qui Wade avait promis monts et merveilles en 2000. Mais le libéralisme tropical a détruit le tissu industriel du pays et mis le secteur agricole dans une crise profonde dont il lui sera difficile de se relever. Les privatisations et l’accentuation de la libéralisation du commerce ont fait disparaître des pans entiers de notre tissu industriel, allant du secteur textile aux industries alimentaires. Les grèves de la faim d’ex-employés de certaines de ces industries ont plusieurs fois fait la une des journaux à plusieurs reprises.
Le secteur agricole a été à la fois victime d’un libéralisme sauvage et aveugle et des promesses chimériques nommées Reva (Retour vers l’agriculture) et Goana (Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance). Ces deux initiatives ont servi de prétexte à la spoliation des communautés villageoises et à l’enrichissement illicite de fonctionnaires et lobbies maraboutiques liés au régime. Mais à l’arrivée, elles ont été des faillites retentissantes comme l’illustrent les menaces de famines récurrentes dans le monde rural. Chaque année, le Conseil national de concertation des ruraux (Cncr) tire la sonnette d’alarme sur la dégradation de la situation des petits paysans.
La crise de l’agriculture paysanne a aggravé l’insécurité alimentaire dans le monde rural. Le Rapporteur spécial des Nations-Unies pour le droit à l’alimentation, M. Olivier de Shutter, avait déclaré en janvier dernier, que ‘la situation de l’insécurité alimentaire au Sénégal est alarmante’. Et il ajoutait que le gouvernement du Sénégal, pour des raisons électoralistes, était réticent à lancer un appel à l’aide internationale, car ce serait reconnaître l’échec de ses politiques agricoles. Mais les agences des Nations-Unies l’ont fait à sa place, car elles viennent de déclarer que la famine menace quelque 800.000 personnes dans les régions de Kaffrine, Louga et Tambacounda. Voilà un démenti cinglant aux affirmations répétées du président Wade selon lesquelles le Sénégal aurait atteint ‘l’auto-suffisance alimentaire’ !
La dégradation de la situation économique et sociale dans le monde rural n’a pas épargné le secteur urbain. La destruction du tissu industriel a fait grimper le chômage à des niveaux sans précédent. On estime que plus de 45 % des personnes en âge de travailler sont confrontées au chômage et au sous-emploi. Le chômage endémique et l’absence de perspectives d’avenir ont jeté la jeunesse dans le désespoir. Au point que son seul espoir réside dans la fuite vers l’inconnu. L’expression ‘Barça ou Barsax’, rappelée plus haut, résume le drame auquel est confrontée la jeunesse de notre pays. Des milliers d’entre eux ont ainsi perdu la vie au fond des mers, en tentant de rejoindre l’Europe dans des embarcations de fortune. Cette fuite désespérée de milliers de jeunes illustre les espoirs déçus ou trahis d’une jeunesse qui avait joué un grand rôle dans la victoire du président Wade en 2000. Voilà pourquoi l’écrasante majorité de la jeunesse lui a définitivement tourné le dos, une rupture dont le mouvement ‘Y en a marre’ est le symbole le plus visible.
Toujours sur le plan social, le régime libéral a accentué la pauvreté et la précarité dans les centres urbains et surtout dans le monde rural. Les denrées de première nécessité ont vu leurs prix flamber au point de rendre la vie insupportable pour la majorité du peuple sénégalais, y compris pour les classes moyennes. La presse sénégalaise a rapporté de nombreux cas de familles obligées de se rabattre sur le riz donné en aumône aux talibés pour pouvoir se nourrir, parce que le prix du riz est hors de portée des revenus modestes. Plus de la moitié de la population sénégalaise vit en dessous du seuil de pauvreté. Le Sénégal est parmi les pays se situant au bas de l’indice de développement humain du Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud) et il reste un pays moins avancé (Pma) !
Donc, toutes les déclarations de Wade selon lesquelles le Sénégal est devenu un pays ‘émergent’ ne sont que du délire. Un autre dossier lié au passif du régime libéral est la ruée vers les terres des paysans. Le président Wade et son régime se comportent comme si toutes les terres du pays leur appartenaient. Non seulement ils se sont octroyé des milliers d’hectares, mais en ont aussi distribué à leurs amis à tort et à travers. Cet accaparement des terres a renforcé la corruption qui est devenue une des caractéristiques principales de ce régime. Face aux abus dont elles sont victimes, les populations se sont organisées pour résister. Cette résistance légitime a connu, dans certains endroits, un dénouement tragique, comme à Fanaye où deux personnes ont perdu la vie en s’opposant au bradage de leurs terres à une société italienne. Même dans la ville natale du président, à Kébémer, des paysans l’ont récemment accusé d’avoir arbitrairement pris leurs terres. Après leur sortie dans les médias, certains d’entre eux ont été tout simplement arrêtés.
Son âge avancé le disqualifie
Le troisième ‘fantôme’ qui hante la tournée du président Wade est son âge très avancé. A près de 90 ans, il est évident que Wade ne peut pas diriger ce pays, quoiqu’il dise ou quoique disent ses flagorneurs. Il n’en a plus les capacités physiques et intellectuelles. D’ailleurs, certaines de ses déclarations illustrent bien cela. Quand il qualifie de ‘brise’ les manifestations contre sa candidature qui ont entraîné la mort de plusieurs personnes et de nombreux blessés, cela dénote non seulement une insensibilité à la douleur des familles endeuillées mais également l’état d’esprit d’un homme qui a commencé à perdre contact avec la réalité.
A supposer même que son âge officiel (87 ou 88 ans ?) soit vrai - ce que certains contestent -, comment peut-on accepter de confier les destinées du pays à un tel homme pour les sept prochaines années ? Beaucoup de Sénégalais se demandent pourquoi sa famille et ses partisans le poussent à entrer coûte que coûte dans cette campagne de trop ? L’ivresse du pouvoir sans doute. Mais aussi, la peur de voir venir l’heure de rendre des comptes.
Conclusion
Au vu de tout ce qui précède, il est évident que le président Wade est totalement disqualifié pour briguer un troisième mandat. La Constitution, la morale et le bon sens s’opposent à cette candidature. S’il persiste et refuse d’entendre raison, le jour du scrutin, le 26 février, le peuple aura l’occasion de lui ôter ses dernières illusions, en ignorant tout simplement son bulletin.
Demba Moussa DEMBELE
Les attentes du peuple : un dialogue social large
L’ouverture d’un dialogue national entre les acteurs du système sociopolitique du Sénégal est nécessaire et souhaitable pour le rétablissement de la paix sociale. Situation de quiétude qui requiert un minimum d’aisance matérielle et de respect des droits de l’homme dans un Etat de droit, la paix sociale est menacée et risque de bloquer le processus électoral.
La réalisation de la paix sociale relève de l’ordre du construit mais est souvent entravée par des considérations partisanes qui défendent des intérêts personnels au détriment de la stabilité du cadre social.Ce qui se passe aujourd’hui est regrettable et condamnable. La démocratie n’écarte pas les conflits mais prévoit des procédures pacifiques pour la résolution des différends.
La confrontation entre les forces de l’ordre et le M23 qui intègre le mouvement ‘Y en a marre’ est révélatrice d’un malaise très profond qui découle de la validation de la candidature du président Wade par le Conseil constitutionnel. La densification de la contestation et son appropriation par les populations, suite à la violation des droits et libertés fondamentaux par le ministre de l'Intérieur dont l'arrêté d'interdiction méconnait les dispositions constitutionnelles et législatives, mérite une attention particulière. Une très grande partie de la population attendait du Président Wade le retrait de sa candidature.
Des suggestions de sortie par la grande porte lui ont été proposées par les Sénégalais, y compris ceux de la diaspora. Jadis confiants par rapport au Conseil constitutionnel, les Sénégalais sont aujourd’hui méfiants par rapport aux institutions qui sont censées être un outil de protection de leurs droits et libertés.
Devant cette situation bloquée, à l’heure où on compte les morts des populations civiles issues de familles modestes, et devant la fermeté du pouvoir à violer des droits et libertés constitutionnels telle que la liberté de manifestation, le peuple attend l’ouverture d’une concertation nationale entre tous les acteurs de la société sénégalaise.
L’opposition doit être ouverte au dialogue pour trouver des solutions pacifiques. Le président doit écouter les plaintes des citoyens qui ne s’activent pas dans les partis politiques. Les chefs religieux (les familles maraboutiques et l’église) doivent attirer l’attention du président sur la situation du pays. Il ne s’agit pas de demander aux manifestants d’observer la décision du Conseil constitutionnel mais de trouver une solution équitable et juste qui ne prendrait pas en otage le peuple pour les générations futures.
Le peuple attend l’engagement d’une vraie concertation pour la construction d’une démocratie consensuelle. Le peuple attend aussi des forces de l’ordre une garantie effective de la sécurité de tous les citoyens et de leurs biens et non une riposte disproportionnée qui place le pays dans une logique de contestation permanente.
Le peuple attend de la société civile structurée ou diffuse qu’elle joue pleinement son rôle de régulation sociale, en s’impliquant d’avantage dans la recherche des voies et moyens tendant à maintenir la paix sociale.Le peuple attend des organisations régionales et internationales la création d’un cadre favorable à un dialogue transparent avant que des pertes en vies humaines ne se produisent encore et encore.
Pour une sortie de crise, il est important de travailler pour :
- Un réaménagement du calendrier électoral et un report des élections dans un délai de 6 mois
- Une déclaration solennelle de retrait de la candidature du président Abdoulaye Wade
- L’ouverture d'un dialogue large et participatif de toutes les forces vives de la nation pour bâtir un consensus sur les conditions d'élections libres, transparentes et pacifiques avec une possibilité pour le Pds de présenter un autre candidat.
§ Un remaniement ministériel pour les postes du ministère de l'Intérieur et de la justice avec un choix consensuel de la mouvance présidentielle, de l'opposition, de la société civile
§ L’impartialité et la neutralité de la justice énoncées dans la Constitution doivent être aménagées et appliquées de manière effective dans la pratique. (Cela trouverait tout son sens dans une démocratie où le débat public gagne beaucoup plus de terrain et intègre de plus en plus d’intervenants, y compris ceux de la société civile).
§ Mettre en place une commission de réforme du conseil constitutionnel (Restructurer le conseil constitutionnel dans ses compétences, sa saisine et ses modes de délibération). Il s’agit de faire du Conseil constitutionnel un rouage fondamental du processus de démocratisation et le garant des droits et libertés fondamentaux.
§ Travailler pour l’institutionnalisation d’un droit de recours direct opératoire le respect de l’Etat de droit. (L’examen de notre récente expérience du contentieux constitutionnel révèle une pathologie institutionnelle qui mérite une réponse structurelle et fonctionnelle).
Demba FALL, Docteur en Science politique (Certap/ Upvd)
Douze morts, c’est déjà trop !
Un ami m’a téléphoné samedi de Bamako pour s’inquiéter, à bon droit, de la situation qui prévaut en ce moment au Sénégal. Il m’a tenu les propos suivants : le Sénégal qui était connu comme un pays de paix, est en passe de verser dans une sorte de barbarie pour la conquête d’un pouvoir dont le seul Dieu est le véritable détenteur. Notre pays était connu pour sa stabilité qui faisait sa réputation à travers le monde. Parce que je suis porteur de propositions qui nous feront sortir de cette crise, je me crois le devoir de dire halte, avant qu’il ne soit trop tard. Sous ce rapport, je suis prêt à rencontrer tous les candidats de même qu’une délégation du M23 à laquelle se joindra celle de ‘Y en a marre’. Je suis également prêt à prendre langue avec le président Wade non pas à des fins de prébendes, mais dans l’intérêt du Sénégal qui seul est ma préoccupation. En attendant, cessons la profanation des lieux de culte, de tous les lieux de culte car j’ai appris que pendant le Wadjifa du vendredi, la Zawiya de Seydi El Hadji Malick Sy située sur l’avenue Lamine Guèye a été ‘bombardée’ à l’aide de gaz lacrymogène, ce qui constitue - si les faits sont avérés - un ultime sacrilège.
Sacrilège en ce lieu que cette mosquée construite en 1904 rappelle la naissance de Mame Abdou, un homme promu à un destin fabuleux. Sacrilège en ce que c’est à partir de cette mosquée que l’homme de sa voix de ténor délivrait ses prêches dont le plus dur a été celui adressé au président Diouf. Dans ce réquisitoire délivré en ma présence, il instruisait les députés de refuser le vote de toute loi qui serait contre les intérêts des populations, donc ceux de Dieu dont nous sommes les représentants sur terre. Surtout si l’ordre provenait de Me Ousmane Ngom, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur dont l’amitié pour moi a été forgée sous le regard affectueux d’un homme de Dieu. J’ai nommé Abdou Aziz Sy Dabakh. J’étais à l’époque président du Haut conseil de l’audiovisuel et lui-même ministre de la Santé sous le gouvernement de Diouf.
Yala Rek Mo xam
Babacar KEBE