Le pharaon est mort, vive le fanfaron, pour l
Le pharaon est mort, vive le fanfaron, pour la statue de la Renaissance africaine
Par Daouda NDIAYE*
«Le Roi est mort, Vive le Roi !» disait l’Abbé Bossuet. Mais dans leurs conditions de mortels, nombreux sont les rois qui, au prix d’une offrande, sacrifièrent leur peuple au nom d’une obsession inavouée : le culte de la personnalité.
En voulant ériger le monument de la Renaissance de l’Afrique, le président de la République s’inscrit dans cette lignée de rois qui se trompent croyant mener leur peuple en bateau. Le procédé de Maître Abdoulaye Wade révèle, à bien des égards, un Sénégal qui sombre dans les abysses de l’océan Atlantique du fait des caprices d’un roi ; d’un roi qui ne peut mal faire aux yeux de ses courtisans. Ce que veut le roi veut la loi dans notre pays. «Le pharaon est mort, vive le fanfaron !» est l’histoire d’un homme qui voulait être pharaon. Dans son livre Un destin pour l’Afrique, Maître Wade, habité par la peur de mourir, laisse apparaître en filigrane son rêve du monument de la Renaissance de l’Afrique en ces termes :
«Si j’étais sculpteur, je mettrais en place trois personnages les bras ouverts dans un élan d’étreinte, deux sur une marche supérieure, l’Europe et les Etats-Unis sont plus rapprochés. Le troisième un peu éloigné aux forces saisissantes de pureté et de force, tend aussi les mains.»
Le ministre de l’Urbanisme Oumar Sarr traduisit ce rêve en une réalité tronquée par la signature du contrat de construction du monument le 28 juillet 2005 avec l’entreprise coréenne Mansudae Overseas Project Group d’un montant de 15 millions d’euros, soit 10 milliards de francs Cfa. Le ministre dira, séance tenante, que «ce monument sera un symbole, une œuvre d’art typiquement africaine avec une esthétique fantastique pour le Sénégal et le continent». Et le ministre d’ajouter : «Le monument va symboliser la lumière de la Renaissance de l’Afrique. Ce monument sera un lieu de pèlerinage pour les Africains.»
L’iconographie de ce monument proposée en premier par le Président Wade ne ressemble pas à l’Afrique que les Africains attendent. Elle a la faiblesse de représenter un esclave qui brise ses chaînes avec le dessein de ressembler à son maître. Si mettre l’Europe et les Etats-Unis sur une marche supérieure et laisser l’Afrique un peu loin, est le rêve de «l’Africain le plus diplômé du Cap au Caire», alors nous disons que la Renaissance africaine de Cheikh Anta Diop attendra. Cette vision du Président Wade traduit plutôt le signe de son ivresse d’Occident qui dépouille l’Afrique de tous ses marqueurs identitaires.
Qu’on ne s’étonne pas alors que le Président Nicolas Sarkozy ait osé se servir de l’Université Cheikh Anta Diop pour nous faire le refrain du discours de Hegel sur l’Homme africain dans La Raison dans l’histoire. La première maquette du Président Wade crédibilise même les stéréotypes sur l’Homme africain en symbiose avec la nature, vivant dans la répétition, au rythme des saisons.
Ce monument ne peut donc être une œuvre d’art typiquement africaine comme on a voulu nous le faire croire. Ceux qui adorent ce veau d’or de notre époque savent que cet objet d’idolâtrie n’est pas une œuvre africaine. Pétri des mains des ouvriers nord-coréens, ce monument de la Renaissance de l’Afrique, sans âme, restera toujours un clone de ces statues magnifiant le culte du chef Kim Il Sung.
De l’idée insaisissable du sculpteur Ousmane Sow, le rêve difforme du Président Wade changea de forme et de personnages pour laisser place aujourd’hui à un couple et un enfant : un homme tendant un bébé vers le ciel ; et derrière cet homme, une femme placée à un niveau inférieur.
Où est donc l’Afrique, la terre-Mère, dans ce monument qui plonge ses racines dans l’héritage gallo-romain du pater familias ?
La femme est mise sur un piédestal dans les croyances de l’Afrique Noire.
Tous nos génies-ancêtres et ancêtres divinisés de la zone des Mamelles, du Nord au Sud du Sénégal, sont des femmes : Mame Coumba Bang de Saint-Louis, Mame Ndiaré de Yoff, Ndeuk Dawour Mbaye de Dakar, Coumba Castel Ndoye de Gorée, Mame Coumba Lambe Ndoye de Rufisque, Maa Toulli de Bargny, Mame Mbossé de Kaolack, Mamy Wata pour la Guinée et la Côte d’Ivoire, sont des femmes.
Ainsi, la femme, reléguée en contrebas de cette statue, dévoile la représentation misogyne que le Président Wade laissera au monde. Tous ses discours sur la parité homme-femme sont à décrypter à la lumière de la place de la femme dans cette œuvre «artistique» qui toise du haut de sa colline les populations souffreteuses de notre pays.
Une image vaut mieux qu’un long discours sur l’Afrique.
L’opportunité d’ériger ce monument se mesure en mettant en balance son coût (13 milliards de francs Cfa), ses avantages (on les a cherchés en vain !) et les besoins urgents de nos populations traduits dans deux secteurs clés : l’Education et la Santé.
Qu’aurions-nous pu faire avec 13 milliards de francs Cfa face aux inondations de la banlieue de Dakar, de Saint-Louis, de Kaolack, de Louga ?
Qu’aurions-nous pu faire avec 13 milliards face à la misère de notre jeunesse qui a signé, le couteau sur la gorge, le choix douloureux entre «Barça ou Barsàq» dans les pirogues de la mort ?
Le préjudice, subi par notre pays du fait de ce monument, est immense. Il est d’abord d’ordre esthétique. Le Sénégal, «ce pays au visage de basalte balayé par les vents de l’Atlantique», selon la formule heureuse de Léopold Sédar Senghor, aurait pu se passer d’un tel implant mammaire.
Le sculpteur Ousmane Sow, affirmant avoir eu en premier l’idée de ce monument sur Rfi, le 06/09/2009, parle même de lieu saccagé pour prédire la nouvelle configuration du site profané.
Pourtant, le site des Mamelles reçoit, chaque année, depuis 1909, la procession de la confrérie Layène pour vivifier l’héritage spirituel de son fondateur Seydina Limamou Laye. Fallait-il défier les lois de la résistance des matériaux pour y ériger une mosquée ? Je ne le crois pas. Car Limamou Coumba Ndoye est dans le cœur de chaque Layène pour son humilité, sa piété et son combat contre l’ostentation sous toutes ses formes.
Mais la zone des Almadies a beaucoup perdu de son âme. Elle est devenue le lieu d’une spéculation foncière qui viole les règles les plus élémentaires de la domanialité publique.
Le site pittoresque des Almadies que chante Léopold Sédar Senghor, du haut d’un hélicoptère, dans son poème Retour de Popenguine, défloré, cherche son vrai visage loin du gigantisme du monument du Président Wade.
Les Mamelles de Ngor ne feront plus rêver le soir les enfants lisant l’histoire de deux bosses de Khary-Khougué des Contes d’Amadou Coumba de Birago Diop.
Le chirurgien plastique, persistant à implanter le greffon de cette tétine dorée sur cette mamelle, reçoit déjà les signes avant-coureurs d’un rejet du corps social.
Le préjudice, causé par ce monument tant décrié, est ensuite d’ordre matériel. Il nous coûte trop cher, même si son auteur moral soutient le contraire. «Le monument n’a rien coûté au Sénégal. Il a été construit en contrepartie des terres que l’Etat du Sénégal va donner… », déclare le chef de l’Etat le 1er août 2009 comme si le domaine national n’avait pas de coût. Maître ! Même les choses sans maître (les res nillius) ont un coût.
La colline sur laquelle trône votre monument, de par sa nature, ne peut être appropriée et appartient à tous les Sénégalais. Les 35 % de dividendes que vous réclamez, en tant qu’auteur moral de cette œuvre et la désignation de votre fils pour les gérer, traduisent votre conception patrimoniale du Pouvoir. Toute bonne gouvernance démocratique devrait s’interdire d’assimiler les Finances publiques aux finances privées. Ainsi, la République a eu le tort de vous laisser installer dans une omni compétence sans contrepoids.
«Dura lex, sed lex» (La Loi est dure mais c’est la Loi).
Et si la loi ne reflète plus l’expression de la volonté générale mais celle d’un seul homme ?
Face à la loi de ce seul homme, la loi des forces telluriques a construit dans notre pays un peuple-volcan aussi calme que cette mamelle malmenée vous invitant ainsi à méditer cet extrait du poème Dorsale bossale, œuvre d’un illustre fils de l’Afrique : Aimé Césaire.
«Il y a des volcans qui se meurent
Il y a des volcans qui demeurent
Il y a des volcans qui ne sont là que pour le vent
Il y a des volcans fous
Il y a des volcans ivres à la dérive [….]
Il ne faut pas oublier ceux qui ne sont pas les moindres
Les volcans qu’aucune dorsale n’a jamais repérés
Et dont de nuit les rancunes se construisent
Il y a des volcans dont l’embouchure est à la mesure
Exacte de l’antique déchirure.»
C’est par cette sagesse qu’il convient de clore une autre page sombre de l’histoire de notre politique culturelle, souhaitant de tous nos vœux que la raison guide vos pas, monsieur le Président, dans ce pays qui vous a tout donné depuis le 19 mars 2000.
*Juriste, Docteur en Sciences de l’Education, Ecrivain, poète et traducteur, Daouda Ndiaye est né à la Médina à Dakar (Sénégal). Auteur des recueils de poèmes en wolof, l’Ombre du baobab (Keppaarug guy gi), l’Exil (Gàddaay gi) et Les sillons (Saawo yi), sa poésie en wolof prend sa source dans le tréfonds du terroir sénégalais tout en s’ouvrant aux autres aires géolinguistiques. Il traduit lui-même ses poèmes en français, en espagnol et en anglais.
Consultant international en Sciences de l’Education, Daouda Ndiaye vit en région parisienne.
Ma vision du Sénégal en 2010
«Un Sénégal qui renoue avec les fondements d’une République laïque. Entre César et Dieu, nos concitoyens savent à quel Saint se vouer. Ils iront forcément chercher protection dans les confréries religieuses, guidés par l’instinct de survie et l’absence de rêve qu’ils voient dans les actions du chef de l’Etat. Ce qui nous amène à envisager la restauration de l’autorité de l’Etat en faisant prévaloir au moins deux priorités : l’Education et la Santé. C’est le gage de la légitimité de l’Etat et d’une paix durable dans notre pays.»