Une année dé-sculptée
Par Ousmane SOW *
Je tiens à préciser tout d’abord que, vivant au Sénégal, je ne fais pas partie de la diaspora sénégalaise. Néanmoins la pertinence de vos questions appelle des réponses claires :
En ce qui concerne les différentes élections dont les élections municipales, je ressens un certain réconfort pour la manière dont les citoyens, vrais souverains dans un Etat, ont démontré qu’ils étaient capables de sanctionner ceux qui ne font pas correctement leur travail.
Je ne m’étendrai pas sur le cas du doyen Mamadou Dia. La probité intellectuelle de cet homme fait l’unanimité. Les gens de mon âge, qui se sont battus dans leur jeunesse pour défendre ce qu’ils croyaient être justes, pensent que c’est aujourd’hui au tour des jeunes de prendre le relais. Mamadou Dia a su nous montrer, à plus de quatre-vingt-dix ans, que la lutte est une chose permanente. Si je suis encore sur la brèche, c’est un peu grâce à lui.
Pour ce qui concerne la franc-maçonnerie, je suis plus gêné par le côté cachotier de certains adeptes que par leur appartenance à cette communauté. Si les valeurs qu’ils défendent sont réelles, ils devraient s’enorgueillir plutôt que de prendre pour insulte le fait d’être traiter de franc-maçon. L’essentiel est d’avoir le courage d’assumer ce que l’on est en toute chose.
L’affaire dite de la mallette (plutôt que «l’affaire Ségura», du nom de l’homme qui a apparemment agi pour simplement mettre à jour une tentative de corruption), s’ajoute au fait que je ne me suis jamais trouvé, comme c’est le cas en ce moment, dans un état d’écœurement et de désespoir pour mon seul et unique pays : les dépassements budgétaires, le nombre de ministres qu’on n’arrive plus à identifier tant ils sont nombreux et éphémères, et surtout les dépenses inhérentes aux voyages présidentiels.
Je me souviens qu’au début des années 60, les journalistes reprochaient au Général de Gaulle de se servir d’un hélicoptère lorsqu’il quittait tard l’Elysée pour rentrer à Colombey les deux églises. Il reprit alors sa voiture Ds qui fut mitraillée lors de l’attentat du petit Clamart.
A l’époque l’heure de vol était estimée à 10 000 NF (rien à voir avec le coût de l’heure de vol d’un Boeing).
Si l’on avait sanctionné sévèrement les agresseurs de Talla Sylla, il n’y aurait peut-être pas eu l’affaire de saccage des locaux de 24H chrono, Walf et tant d’autres. C’est l’impunité qui encourage les délits, et qui, à l’extrême, peut conduire à des meurtres d’un autre âge comme pour ces malheureuses femmes.
La victoire des Lionnes est un éclairci dans un ciel triste. Encore Bravo !
L’hivernage est dans un peu plus de six mois : ceux qui sont aujourd’hui les pieds dans l’eau n’ont aucune chance de voir leur sort s’améliorer. Certes il y a eu inondation ailleurs dans le monde, mais le traitement de ce fléau n’a pas été partout le même.
J’aimerais en finir par ce qui me concerne : l’idée de mettre une sculpture sur une des Mamelles et d’y faire un haut lieu culturel est effectivement de moi. Tout comme le thème imaginé pour cette sculpture, à savoir L’homme libre rentrant au pays avec sa femme et son enfant. Il n’était pour moi aucunement question de «Renaissance africaine».
Dans les journaux qui traitaient à l’époque de la conférence qui s’était tenue au Palais sur l’urbanisation de Dakar, Maître Wade disait en parlant du projet de mémorial Gorée Almadies (je cite de mémoire) : «La mariée est peut-être très belle, mais je ne l’aime pas. Par contre, je soutiens le projet de Ousmane Sow sur les Mamelles.» (Il n’a pas dit : «Le projet que j’ai avec Ousmane Sow.»).
Le Président Diouf et ses ministres connaissaient mon projet, instruit par Maître Wade lui-même. Sinon comment Moustapha Niasse et Tanor Dieng ont-ils su avant que j’en parle qui en était le père ? Je ne les avais en tout cas pas informés.
Que l’on s’entende bien là-dessus : trouver refuge dans un écrit parlant d’une sculpture qui n’a rien à voir avec mon projet, c’est manquer d’argument (ce n’est pas en parlant de sculpture que l’on devient sculpteur).
Je n’ai jamais présenté la maquette à Me Wade. Les photos de la maquette terminée, que j’ai réalisée, et qu’il m’a demandé de lui faire porter, sont arrivées… deux jours après qu’il ait posé la première pierre avec une statuette n’ayant strictement rien à voir avec mon travail. Mais reprenant le thème de l’homme libre avec sa femme et son enfant.
Il m’avait envoyé une équipe de la Rts pour filmer l’ébauche…
Je suis habituellement plutôt flatté que l’on emprunte mes idées, cela prouve que j’ai quelque chose à apporter.
Mais que l’on se les approprie en les déformant au niveau du sens, NON ! Surtout pour aboutir à ce que l’on voit aujourd’hui sur les Mamelles.
*En 1957, Ousmane Sow quitte le Sénégal pour la France où il doit renoncer à son projet d’intégrer l’école des Beaux-arts. Il y obtient le diplôme d’infirmier, puis de kinésithérapeute. Ce métier, qu’il exerce durant une vingtaine d’années notamment à l’hôpital Laennec de Paris, n’est pas sans influence sur son travail de sculpteur, grâce à la connaissance et l’approche du corps humain qu’il lui a apporté. Durant toute cette période, en autodidacte, il consacre l’essentiel du temps que lui laisse sa profession à perfectionner sa technique artistique et à faire des recherches sur les matériaux.
A l’âge de cinquante ans il se consacre entièrement à la sculpture. Il finit de mettre au point une technique très personnelle, dont il garde jalousement le secret.
Ousmane Sow est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands sculpteurs contemporains.