La voix de You ou la force symbolique d’une v
La voix de You ou la force symbolique d’une voie !
Article Par Ibrahima Ndoye, journaliste,
Paru le Mercredi 9 Sep 2009
"Je me sens engagé avec ma musique. Je ne fais pas de la politique politicienne, mais je sais marquer les événements ! ". A maintes reprises, la star sénégalaise a décrit sa mission citoyenne et défini les actions qu'il mène pour marquer sa présence dans le débat public ou manifester son existence dans « l’espace public » notion chère à Habermas.
Aujourd'hui que les Sénégalais sont confrontés à des difficultés multiples que les pouvoirs publics ont du mal à juguler, un acteur social de la dimension de Youssou Ndour qui prend son courage à deux mains, et sa voix très influente, pour exprimer une solidarité agissante aux populations, mérite de la part de tous une certaine reconnaissance. Mais l’homme Youssou Ndour ne peut que suivre cette voie qu’il a tracée depuis des lustres. A l'image de nombreux autres patriotes épris de justice et qui sont conscients de leur responsabilité historique, il a su forger son existence sociale à la sueur de son front et sur la base de son talent incommensurable d'artiste dont la renommée mondiale contribue de manière consistante au renforcement de la réputation honorable du Sénégal. Autrement dit, l'art lui a permis, pour reprendre Merleau Ponty, de réveiller "dans sa vision ordinaire de puissance dormante, le secret de préexistence". Plus que la préexistence l’art a permis à Youssou Ndour aujourd’hui d’effleurer les cimes de l’immortalité.
Durant une trentaine d'années, nonobstant les manquements inhérents à la nature humaine, constatés sur les chemins de sa riche carrière, Youssou Ndour a su montrer qu'il n'y a pas forcément une "bonne naissance" et repousser les frontières des préjugés culturels traditionnels encore profondément ancrés dans les consciences populaires, lesquels veulent que quand on est identifié à une certaine catégorie sociale ou qu'on n'est pas "le fils de", on ne peut trouver son salut, suivant les normes que je trouve absurdes et injustement prédéfinies, dans ce monde de toutes les contradictions existentielles. C’est là tout le mérite d’un homme dont le parcours professionnel est plus que respectable et respecté.
Aujourd’hui, dans un pays en quête de repères et dont les fondements de la société qui le caractérise subissent progressivement une agression morale des pires formes de dégradation, il y a de quoi dérouler le tapis rouge à ces rares «valeurs nationales» qui acceptent comme disait Hamelin de « soutenir les grandes querelles». Personne n’ignore comment sous les tropiques, dans les démocraties africaines, on traite ceux qui assument leur devoir de citoyenneté en se signalant dans l’espace public par des positions qui ne cadrent pas avec les petites combinaisons politiciennes des gouvernants. Si on ne vous exécute pas au vu et au su de tout le monde, c’est la méthode douce mais avilissante de la « pression intelligente » qui est le plus souvent adoptée pour vous asphyxier financièrement ou vous pousser à vous départir de cette posture qu’ils ne peuvent trouver que « suicidaire ».
Artiste émérite, Youssou Ndour n’en est pas moins un homme d’affaires dont les activités ne peuvent, indiscutablement, laisser indifférentes les autorités gouvernementales. Or c’est là que se justifient toutes les craintes de ses admirateurs et amis par rapport à d’éventuelles représailles dont il pourrait faire l’objet. Les exemples peuvent être multipliés à l’envi ; depuis près de dix ans, combien d’entrepreneurs et opérateurs économiques, pourtant jouissant de la réputation d’hommes et femmes solides comme le chêne, ont plié pour finir par rompre ? Dans l’indifférence passive des masses et une certaine complicité active de l’élite intellectuelle du pays. Youssou est assez grand pour se défendre et je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il pose ainsi un « acte suicidaire ». C’est un homme extrêmement réfléchi qui a su faire, dans un passé encore frais, montre d’une extrême dextérité et d’une finesse sublime pour nager allègrement dans la boue sociale. Comme toujours, il a fallu du temps pour que ses actes soient suffisamment compris.
En produisant un tube musical pour s’exprimer à sa manière sur la gestion des affaires publiques, il n’a fait que s’inscrire dans une dynamique personnelle enclenchée depuis qu’il a senti sa carrière prendre une envergure internationale. C’est l’engagement sans réserve sur les causes sociales qui constitue la sève nourricière d’un leadership en gestation. On n’a pas besoin d’être d’une intelligence supérieure pour percevoir une telle approche. Il suffit de convoquer l’histoire et l’itinéraire de l’homme pour s’en donner une idée. En 1998, au plus fort de la crise sociale marquée par le bras de fer opposant la puissante centrale syndicale l’Unsas au gouvernement socialiste du duo Abdou Diouf – Habib Thiam, avec pour point focal l’emprisonnement du bouillant Mademba Sock, l’artiste s’était signalé par une prise de position courageuse qui avait fait couler beaucoup d’encre. A la tête des avocats politiques ayant pris la défense d’un Youssou Ndour taxé d’opposant par les tenants du pouvoir, se trouvait, ironie du sort, un certain leader charismatique nommé… Me Abdoulaye Wade, l’inégalable tribun hors-pair qui savait gérer le mécontentement populaire.
Ceux qui crient au scandale aujourd’hui, lui avaient enfilé les oripeaux d’un citoyen engagé modèle qui sait mesurer ses actions à l’aune des pulsions du peuple. En 1997, quand le régime socialiste en mal d’amour avec la «jeunesse malsaine» refusant systématiquement d’entendre son discours pourtant mirifique et rêveur incessamment cousu à son endroit, peinait à trouver les mots justes, c’est le même artiste qui a aidé (encore à sa manière !) à réconcilier Abdou Diouf avec cette frange de la population, même si cela n’a duré que le temps d’une rose. C’est en cette année qu’il a eu, par le miracle de sa voix, à produire son tube fétiche « Birima » et aider à mobiliser près de 100 000 mille jeunes au stade Léopold Sédar Senghor dans le cadre des festivités d’une Semaine nationale de la Jeunesse alors abandonnée des années durant. Cela avait contribué à apaiser le front social. Et personne n’avait trouvé à redire !
Récemment, le 22 septembre 2004 plus exactement, quand dans les salons luxueux de l’hôtel new-yorkais Waldorf-Astoria, le président Abdoulaye Wade recevait la prestigieuse distinction du prix de la Ligue Internationale des Droits de l’Homme, c’est un Youssou Ndour, aux anges, qu’on a vu décliner devant d’éminentes personnalités du monde, une très belle chanson « Yoon-Wi » dans laquelle il exhorte le chef de l’Etat à ne jamais se départir de cette voie qui lui a valu une si considérable attention. Non pas pour les beaux yeux du « Roi », mais parce que tout simplement, à l’image de ses autres compatriotes, il a voulu s’approprier l’honneur ainsi fait à notre pays, dans ce que nous avons en commun : son image ! Face à la communauté sénégalaise établie à New-York, les mots d’un Me Wade ravi et rassasié, résonnent encore dans nos oreilles quand Youssou a fini de lui rendre hommage après la remise de la distinction : ‘'Ma conviction est que si je n'étais pas Sénégalais, je ne l'aurais pas reçue. (…) Je travaille selon ma culture et les traditions dont j'ai héritées. Vous avez tous une grande part dans ce prix !'' C’est dans ces valeurs culturelles spécifiques qui fondent notre « sénégalité » qu’il faut puiser les ressorts sur lesquels repose l’initiative de l’artiste. « La liberté d’aimer n’est pas moins sacrée que la liberté de penser », disait Victor Hugo. Et c’est tout le sens de cette démarche citoyenne entreprise par celui qui n’a jamais voulu se priver l’ingrat devoir de marquer les évènements.
D’aucuns ne manqueront certainement pas (encore !) de souffler dans l’oreille du chef de l’Etat cette rengaine aux relents d’alerte sentant les miasmes dégoûtants de la délation : « Faites attention M. le président, cet homme est votre ennemi. Je sais qui l’a armé pour qu’il vous attaque ! » Alors que l’attitude la plus sage, utile aux populations, est de percer le message des «vox populi» de son genre et de comprendre la valeur symbolique dont regorge le cri du cœur de l’artiste pour en faire le meilleur usage, il ne serait pas surprenant que des illuminés suggèrent avec zèle de lui infliger le supplice de l’autodafé pour ce crime impardonnable d’avoir ramé à coutre courant des désirs de Sa-Majesté. Or c’est là que se situe tout le danger qu’encourt le régime libéral qui souffre aujourd’hui d’une popularité de plus en plus abaissante. Une telle attitude s’assimilerait plutôt à de la terreur qui, faut-il le rappeler, ne l’emporte pas toujours surtout quand on a en face un symbole incarnant à travers l’acte ainsi posé, un mouvement de protestation généralisée. Et on ne tue pas un symbole ! On a beau aimer ou respecter un roi, celui-ci doit être conscient que l’appel de la liberté est quelque chose d’irré-sis-tible ! « Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur », Beaumarchais dixit. Rien n’est alors nouveau sous le soleil.
Dans la torpeur de cet hivernage calamiteux, entre un pouvoir arrogant et une opposition indolente, à la passivité affligeante (plus soucieuse des questions électorales), l’initiative de l’artiste apporte un peu de lumière dans un tunnel social auquel le pays a du mal à sortir. Il s’est engagé à aller jusqu’au bout. Dès lors, tous les efforts fournis présentement par les chefs religieux, politiques, affairistes et décideurs publics pour l’en empêcher auraient mieux servi s’ils avaient été consacrés à renouer les fils du dialogue entre tous les acteurs de la vie nationale. Une telle conduite nous éloigne de cette mélancolie générale qui inhibe toutes les activités économiques, restaure la confiance et l’espérance, et donne encore plus de sens à la République.
Youssou Ndour a parlé. Son message traduit-il les aspirations des populations ? Celle question me semble la seule qui vaille. Si oui, alors l’initiative mérite l’adhésion des consciences populaires et l’approbation des élites intellectuelles. Tout le reste ne serait que de la vaine littérature.