jusqu’en 2012»
Pour le journaliste politique basé au Canada, il ne devait pas y avoir débat sur la déclaration de candidature de Wade qui viserait plutôt à desserrer l’étau autour de son fils Karim. Et selon Souleymane Jules Diop, «on n’ira pas jusqu’en 2012». De passage à Paris où il tenait une conférence, dimanche, sur la situation au Sénégal, il a également soutenu face aux journalistes qu’une candidature unique de l’opposition en 2012 ne serait pas «réaliste», car «il y a des gens qui ne seront jamais ensemble».
Vous n’êtes visiblement pas favorable à une candidature unique de l’opposition au premier tour de la présidentielle de 2012 ? Qu’est-ce qui motive votre position?
Ce n’est pas que je ne suis pas favorable, c’est que je sais que ce n’est pas faisable ; c’est différent. Je sais que la candidature unique ce n’est pas réaliste, parce que ce n’est pas faisable. Et quand on présente la candidature unique comme objectif, si ça ne se réalise pas, ça risque de démoraliser l’opinion, le peuple sénégalais; et après ça risque aussi de donner argument à ceux qui vont gagner demain par d’autres manières pour dire aux Sénégalais s’ils (les gens de l’opposition) n’ont pas gagné, c’est qu’ils ne se sont pas unis. C’est ça que je veux éviter. Ensuite, il ne faut pas de cette façon couper le souffle du peuple en disant qu’on va en candidature en unique, alors qu’on sait qu’au final il y a des gens qui ne seront jamais ensemble.
C’est quoi alors à vos yeux la meilleure solution pour une victoire de l’opposition ?
La solution, c’est d’être réaliste et d’être véridique avec le peuple sénégalais en lui disant: «la candidature unique, c’est l’idéal, mais il y a parmi nous qui défendent la candidature multiple. Nous allons faire l’équilibre de toutes les propositions, et au cas où la candidature unique ne serait pas retenue, nous allons tout faire pour qu’au deuxième tour les candidats malheureux reversent leurs voix à celui qui arrive en tête parmi eux». On doit signer pour cela un accord de désistement entre candidats de l’opposition pour un éventuel second tour. Et s’il faut le faire, c’est maintenant qu’il faut le faire, tout en évitant de se donner des coups. En effet, quand on dit que tel va être candidat unique et que tel autre ne doit pas l’être, les gens vont s’attaquer entre eux, comme cela est arrivé la semaine dernière. Il faut donc éviter cela, parce que c’est un mauvais signal que l’on donne à l’opinion en donnant l’impression que l’opposition sénégalaise est condamnée à la division, alors que de l’autre côté, c’est pour condamner les divisions dans son parti qu’Abdoulaye Wade a dit qu’il va être candidat. Vous voyez donc ; il fait taire les divisions, il fait taire ceux qui sont contre Karim et il repositionne ceux qui ne sont pas d’accord avec ce projet-là en disant : «moi j’y vais ; mettez-vous derrière moi». A contrario, l’opposition doit dire : «nous ne pouvons pas faire un candidat unique» Moi, contrairement à beaucoup de gens, je ne suis pas convaincu que la candidature unique sera la solution dans une élection à deux tours. Parce que si vous mettez Moustapha Niasse, il y a des socialistes qui ne voteront pas pour lui, et si vous mettez Tanor Dieng ; il y a des gens de l’Afp qui ne vont jamais voter pour lui. La seule alternative à la candidature unique, c’est accepter les candidatures multiples et signer un protocole de désistement au second tour.
Sauf que cette pluralité des candidatures risque d’entraîner une dispersion fatale des voix...
Nous l’avons fait en 2000 ; ça a marché. Pourquoi ça ne marcherait donc pas en 2012?
Mais, ce n’est plus le même contexte.
Oui, mais c’est le même dispositif électoral qui est en place, c’est-à-dire celui qui n’obtient pas 50% au premier tour est conduit à un second tour. Mais aujourd’hui, vu la configuration des forces même au sein du parti présidentiel, il est difficile de penser qu’Abdoulaye Wade qui n’a pas eu 50% aux dernières élections (les Locales de mars 2009 : ndlr), avec le départ de Macky Sall et bientôt d’Aminata Tall, pourra faire plus de 50%. Donc, le combat se situe évidemment au niveau de ce qu’ils veulent faire. Apparemment, le Pds veut supprimer le second tour. Si c’est le cas, les gens vont se battre pour que ça ne se réalise pas. Mais dire que «s’il supprime le deuxième tour...», à mon avis ce n’est pas un discours conséquent, parce qu’il ne doit pas le faire.
Et s’il le faisait ?
Je ne veux pas polémiquer sur l’hypothétique. Il faut juste dire à Wade : «ne supprimes pas le deuxième tour, parce que c’est antidémocratique». C’est un recul. Il ne faut pas le faire surtout après les engagements qu’il a pris auprès des Américains, la semaine dernière. Les Américains ont, en effet, promis de veiller eux-mêmes à ce que le Sénégal reste sur la ligne qui est celle de la démocratie et de la transparence électorale sur laquelle nous nous sommes inscrits au moins depuis 2000.
Pendant votre conférence, vous disiez que l’opposition doit prendre toute sa responsabilité historique pour empêcher la réélection d’Abdoulaye Wade en 2012. Vous voulez dire qu’elle doit être plus réaliste ?
Ces gens-là doivent comprendre -s’ils sont conscients des problèmes des Sénégalais- que l’enjeu aujourd’hui n’est pas la vie politique de chaque homme ; il s’agit d’un enjeu national. Et les gens doivent se dépasser pour voir ce qui va dans l’intérêt de la majorité. Mais je pense que chaque homme politique, quand il se réveille, doit se poser la question de savoir c’est quoi l’intérêt de la majorité et agir dans cet intérêt.
Quelle lecture faites-vous de la déclaration de candidature de Wade pour la présidentielle de 2012?
Je pense qu’il est très intelligent ; c’est un grand communicateur. Encore une fois, il réussit à éclipser totalement la question de la polémique après la sortie du livre de Latif Coulibaly et il dessert l’étau sur son fils. Aujourd’hui, on ne parle que de sa candidature, alors qu’elle va de soi, parce que c’est son droit, ou bien il ne sera pas là et il ne pourra se présenter. Donc la question de la candidature d’Abdoulaye Wade ne se pose. Ça ne doit pas faire l’objet d’un débat. Il a dit lui-même qu’il sera candidat, s’il est en bonne santé et s’il a toute sa tête. Heureusement, parce que pour la première fois, j’entends Abdoulaye Wade dire «si». C’est assez rassurant. Mais de toutes les façons, ce qui est important, et c’est sur quoi il faut se concentrer, c’est l’ensemble des moyens que l’opposition et le peuple sénégalais ensemble vont mettre en place pour arrêter ça. Parce que je ne pense que le Sénégal ait besoin d’une succession monarchique.
C’est comme si vous ne croyez pas en la bonne foi de Wade, quand il dit qu’il est candidat…
Je ne vois pas comment à son âge, tel que je l’ai vu la dernière fois le 16 septembre, il va se présenter comme candidat. L’avenir nous le dira. Ce que je dis là n’a rien de rationnel, mais on n’ira pas jusqu’en 2012.
Dans ce cas, qui à votre avis serait à même de diriger conduire le Pds à la présidentielle ?
Personne ! Je ne vois personne. Abdoulaye Wade a réussi, et c’est ça son malheur, à faire de sorte qu’il n’y ait pas d’alternative à Karim Wade. Il a liquidé tout le monde pour placer Karim Wade. Aujourd’hui, tout le monde est parti. Aminata Tall, si on suit sa logique, va partir. Macky Sall va partir, Idrissa Seck va partir. Si vous voyez bien chronologiquement dans l’ordre de responsabilité au sein du Pds, c’est le deuxième, troisième et le quatrième qui ont été liquidés. Idrissa Seck était numéro 2, Macky Sall numéro 3 et Aminata Tall numéro 4 du Pds. Ils sont tous liquidés pour un jeune qui n’a même pas sa carte de membre. Je le dis ici -et je le défie- il n’a pas la carte du Pds ; il ne l’a pas. Karim Wade n’a jamais acheté la carte du Pds. Qu’il dise qui lui a vendu la carte et à quel moment. Mais ça les regarde. Nous, ce qui nous regarde, en tant que Sénégalais, c’est de nous battre pour que demain tout le monde puisse dire ce qu’il pense, et les journalistes faire leur travail. Pensez-vous normal qu’on mette en prison des correspondants dans une histoire de diffamation qui relève purement du privé ? Aujourd’hui, pour des questions privées, on amène des journalistes à la Dic (Division des investigations criminelles) ; c’est ça qui est inadmissible. Mais sur ces questions-là, nous devons faire l’unanimité. Après les gens pourront dire qu’ils ne sont pas d’accord avec Jules, avec celui-ci ou celui-là; mais il y a des questions sur lesquelles il faut être intransigeant. Nous devons donc nous battre ensemble, quand il y a des questions qui menacent ce que nous faisons ensemble. Maintenant, si nous ne sommes pas d’accord, c’est autre chose. Vous pouvez ne pas partager ce que je dis, mais ce qui est important, c’est qu’on se batte pour continuer à exercer ce métier qui est fondamental, car il est lié à la liberté d’expression et la liberté de penser. Donc, ce n’est pas seulement vous, mais c’est aussi les gens qui vous écoutent et les gens qui vous suivent…
Justement, quelle est votre appréciation sur la récente convocation de Pape Alé Niang de la 2Stv à la Dic, consécutive à l’affaire qui l’oppose à son patron El Hadj Ndiaye ?
Ce n’est pas seulement Pape Alé Niang, il y a aussi d’autres, notamment un certain Niang (le blogueur Mody Niang, ndlr). C’est regrettable, parce que c’est dans des affaires privées. On instrumentalise la Division des investigations criminelles, qui est une police nationale qui doit connaître des crimes tout court, normalement pour des gens dont la peine doit excéder deux ans. Il y a là-bas deux brigades: une brigade financière et une Division des affaires générales. Mais des affaires de diffamation doivent normalement relever du civil et non du pénal. Dans certains pays, on emprisonne des journalistes, je trouve que c’est inadmissible. Et tous les journalistes doivent faire corps pour défendre ça, parce que c’est l’avenir aussi de ce métier qui est en jeu. (…)
Propos recueillis par Thierno Diallo - Correspondant permanent en France "le quotidien"