Cinquante temps percez les balafons !
C’est par cette invite festive que notre hymne national célèbre notre liberté retrouvée. Sans fausser la symphonie, on peut placer un bémol et se demander si le lion a rugi ou s’il a plutôt rougi de nous après cinq décennies d’Indépendance.
En 1960, la France colonisatrice nous offrit notre Indépendance presque sur un plateau d’argent.
Les infrastructures qu’elle nous a laissées auraient pu être un bond pour nous lancer et, par ricochet, dissiper les ténèbres coloniales. Mais le soleil des Indépendances, loin de chauffer l’espoir a plutôt brillé pour le petit cercle des gouvernants, laissant dans la nuit de la misère les gouvernés incapables de trouver un bout à leur tunnel de difficultés. Ainsi donc le mieux être attendu de notre Indépendance va devenir, au fil des ans, un riz de grenier. Chaque jour il diminue d’une mesure. Et, après s’être libérés des chaînes coloniales on peut bien se demander qu’avons nous fait de notre Indépendance ? Certainement nous ne nous étions pas demandé ce que nous allions faire de notre liberté. Et quand on ne sait pas ce qu’on cherche, on ne sait pas ce qu’on trouvera. En vérité, nous sommes dans l’errance. On a jusqu’ici tâtonné avec des politiques et de nouvelles politiques. Les plans et les réformes dans tous les secteurs n’ont pas permis le décollage. Et vinrent les ajustements structurels qui, se sont avérés conjoncturels. Le «moins d’Etat mieux d’Etat» fut cautère sur jambe de bois. Le fusil avait changé d’épaule. La domination militaire fut remplacée par celle économique. Le Fmi et la Banque mondiale sont devenus les maîtres et on se bombe honteusement le torse d’être un bon élève de ces Institutions.
A quoi bon pincer les koras si c’est pour chanter le néocolonialisme?
Au lieu de comprendre très tôt que l’Indépendance imposait plus d’obligations que la colonisation, on a préféré frapper les balafons, danser et gaspiller.
Au lieu de fouetter le culte du travail et l’esprit d’initiative, l’Indépendance a semblé octroyer au peuple une «heure sénégalaise». C’est-à-dire l’heure Gmt, plus deux ou trois autres. Le retard est la règle et la ponctualité l’exception. On présente sans gêne ses excuses pour les «légers retards». Pire le «geume service» (la foi au travail) est un défaut au pays de la téranga.
Par un attentisme coupable, le rêve d’unir la steppe et la forêt se brise comme du reste tous les rêves qui ont peuplé les premiers jours de 1960. Cinquante ans après, notre Indépendance n’a pas réussi à nous affranchir de l’hypocrisie politique. Comme habités pas Satan, certains politiciens délirent pour les «qualités exceptionnelles» du Président Wade, après l’avoir voué aux gémonies. Wade le bon fut de démon. Ces laudateurs sans scrupules étaient avant hier senghoristes, hier dioufistes et aujourd’hui wadistes. La bestialité qui sommeille en chaque homme est en éveil chez ces politiciens pour qui, la transhumance est la seule voie pour brouter à l’herbe du pouvoir.
Notre Indépendance doit faire le constat de son incapacité à faire de certains politiciens d’honnêtes hommes qui ne font pas du vol de deniers publics un simple détournement. L’Indépendance ne vaut que pour ce qu’elle représente de bien. Savoir qu’on l’a employée à se payer de belles villas et à garnir des comptes bancaires, a supprimé tout le plaisir de l’avoir obtenue. C’est cela qui pousse certains vieux, nostalgiques du passé colonial, à ce demander à quand la fin des Indépendances? Les plus jeunes en tout désespoir de cause préfèrent «barça ou barçakh» à leur pays. Ça ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va. Les jeunes veulent qu’on leur dise ce qu’ils ont fait pour mériter de vivre le chômage du travail. Les rares offres d’emploi exigent une expérience professionnelle qui les exclut d’avance. Si par bonheur ils trouvent un travail, il est précaire. La contractualisation et la vacation sont maintenant les modes de recrutement. La Fonction publique se dépeuple et on demande aux jeunes de garder espoir. Il faudra bien qu’on dise aux jeunes ce qu’ils vont hériter de leur pays, avec toutes ces terres qui connaissent une spéculation à vous enterrer vivant. Si rien n’est fait à ce niveau les jeunes d’aujourd’hui risquent d’être des Sans domicile fixe demain.
Après un demi-siècle d’Indépendance on ne doit plus se demander si la chance nous a souri une fois. On doit simplement s’interroger sur le nombre de fois qu’elle nous a visités sans bénéficier de notre hospitalité. Le duo Senghor Mamadou Dia qui avait le mérite d’être une complémentarité a été brisé par les comploteurs. La chance d’une gestion ri-goureuse et intelligente partit sur la pointe des pieds. Dans la troisième décennie d’après 1960, la confédération séné-gambienne sera créée mais quelques années après elle va se disloquer. Une fois encore la chance retourna bredouille de sa visite. En 2000, l’Alternance se réalisa. Les attentes légitimes de conditions de vie meilleures vont augmenter. La démocratie est à son paroxysme. Sans coup férir, Abdou Diouf reconnut sa défaite et félicita son vainqueur. Abdoulaye Wade prit les commandes et la démocratie fit marche arrière et semble même dériver vers la monarchie. Le père de la Nation ne voit que son fils comme seul digne de confiance. Tout lui est confié, rien ne lui est reproché. La chance d’une consolidation de notre démocratie fond comme karité au soleil. Nous voilà affranchis du joug colonial, nous voici maintenant dans les liens de la dépendance à une dynastie qui nous offre un père omniscient et un fils omnipotent. Chaque cas rime avec Karim. Si vous êtes de la Génération du concret, ça passe. Si vous êtes d’une autre génération, ça casse. C’est cela la norme. Tout ce que fils veut papa veut. Mais ce que veut le peuple après un demi-siècle de liberté c’est de meilleures conditions de vie. C’est cela seulement, qu’on pourra pincer les koras et frapper les balafons pour fêter notre Indépendance.
Sabéye NIANG
Professeur de lettres modernes à Sandiara / sabeyeniang@yahoo.fr