Ecoutons et suivons la voie/voix du peuple so
Petites leçons ‘provisoires’ du 26 février
Le sang a beaucoup coulé sur une terre dite de paix, pays d’Ahmadou Bamba et d’El Hadj Malik Sy qui ont tant prié de leur vivant pour nous épargner des catastrophes humanitaires. A force de sacraliser ce Sénégal ‘havre de paix’, on en oublie presque les événements sanglants de 1962, 1968, 1988, 1989, 1993. Et le bateau Le Joola ? Alors ! Les organisations des Droits de l’Homme ont rué dans les brancards, appelé à la rescousse la communauté internationale qui a rappliqué dare dare en instrumentalisant un ‘mégaphone’ symbolique pour consacrer l’ironie de l’histoire. Obasango, l’ancien ‘putschiste’ au secours de Wade, le ‘champion’ de la démocratie. Les Africains aiment éteindre le feu, ils ne savent pas le prévenir. Leur solidarité est une solidarité de compassion, pas de nivellement par le haut. ‘Quand je m’ausculte, je me désole. Quand je me compare, je me console’. Ainsi va l’Afrique ! Ainsi ne voulait pas être le Sénégalais! Et pourquoi ?
Parce qu’il est un peuple démocratique, il vote depuis 1848, il a réalisé l’alternance en 2000, offert au reste du monde l’image impressionnante du vaincu qui félicite son vainqueur, confirmant ainsi ‘l’exception sénégalaise’. C’est la peur de voir disparaître cette ‘exception sénégalaise’ qui explique qu’Alioune Tine et Dansokho aient accepté, quelques jours avant l’élection, l’idée d’une négociation avec le Président dont ils connaissent assez les capacités manœuvrières faites de témérité, d’entêtement, de déraison, pour devoir anticiper, par devoir et par patriotisme. Ne leur jetons pas la pierre aujourd’hui qu’on célèbre avec enthousiasme et peu de recul, le génie du peuple sénégalais qui, dit-on, a encore donné une belle leçon de démocratie aux ‘porteurs de malheur qui espéraient du sang le jour du scrutin’. Prudence ! Vigilance ! C’est par ces mots que nous commençons à tirer quelques petites leçons de ce jour du 26 février 2012, mais que nous soumettons modestement au principe de falsifiabilité cher à Popper.
Scénario 1 : accepter les résultats
Wade accepte les résultats sortis des urnes et qui indiquent de façon claire qu’un 2e tour est incontournable. Ce qui signifie qu’il fera face à un candidat de l’opposition qui bénéficiera du report des voix de tout le reste des opposants. Ce qui signifie donc, in fine, une défaite irrémédiable de Wade et de son régime. Mars 2012 viendra ! Et viendra le temps du bilan Wade ! Il reste que ce 26 février, dans la perspective d’une acceptation des résultats, signifie concrètement que la page des Wade commence à être tournée définitivement.
Dans cette même perspective, l’idée qui sous-tend les futures alliances est simple, rappelant même un schéma expérimenté 12 ans avant, en mars 2000 : il s’agit de voter tous contre Wade comme on l’a fait hier contre Diouf. Et voter contre Wade, c’est tuer définitivement dans l’œuf le projet de dévolution monarchique. C’est mettre fin aux pratiques injustifiées d’un ‘prince au cœur du pouvoir’ que l’amateurisme politique poussa à s’imaginer des inimitiés et donc ‘fabriquer’ des ennemis qu’il s’est juré de ruiner : le résultat est là, l’engagement politique et citoyen précipité de Youssou Ndour et de Barra Tall a dopé le sentiment de dégoût du régime, amplifié les voix de la contestation, cristallisé les antagonismes et aidé à la mobilisation électorale. Ceux qui seraient tentés de marchander leur soutien ailleurs que dans cette dynamique de la sanction du régime de l’alternance, subiront les effets de la ‘jurisprudence Djibo Kâ’ : les votes ne sont pas les propriétés des candidats, ils sont les voix des peuples. Ces peuples ont un objectif : le changement. Ceux qui s’en détournent l’apprennent à leurs dépens et supporteront les jugements de l’histoire.
Reste la valse des transhumants sans dignité qui, bientôt, annonceront leur ralliement au potentiel vainqueur. De grâce, que la page de Wade qu’on s’apprête de tourner, puisse aussi entraîner la fin de ces pratiques nomades qui vampirisent ‘l’homo politicus’ sénégalais. Leçon de février : s’ils pouvaient gagner, ils n’auraient jamais perdu ! Que le nouveau vainqueur les aide à exorciser le mal du pouvoir en les laissant vivre dignement une opposition qui aurait valeur de catharsis.
Ce 1er scénario est le plus plausible, le plus positif.
Scénario 2 : refuser les résultats et confisquer le pouvoir
Wade refuse d’envisager un 2e tour, c’est-à-dire l’idée de sa retraite politique et s’arrange donc pour passer au 1er tour avec 50,01 %. La conférence du président sortant que l’on se dépêche d’applaudir en soulignant la sagesse, laisse pourtant pointer la possibilité pour lui de gagner au 1er tour. Rien ne doit plus surprendre, ni de l’homme, ni de son régime et surtout pas de ses collaborateurs à qui l’on colle l’étiquette de ‘faucons’. Ils peuvent même accepter de perdre au 1er tour et refuser de faire de même au 2e tour. Ces gens tiennent à leurs privilèges, craignent le jugement et voient déjà leur sommeil hanté par la vengeance de ceux qui furent victimes de leurs injustices. Ils ne supporteront l’humiliation que s’ils y sont contraints. Alors, vigilance ! Que ne tenteraient pas ceux qui sont persuadés que leurs noms figurent déjà dans les dossiers d’enquêtes de la Cour pénale internationale ? Si cette hypothèse encore peu envisageable s’avérait, que faudrait-il faire ? Combattre ! Le peuple contre la police de Wade, jusqu’à la victoire finale ! A quel prix ? Des dizaines, des centaines de morts ? Si cette hypothèse devait prospérer, on comprendrait alors les précautions d’usage d’Alioune Tine et de Dansokho, dans leur volonté de négocier pour le peuple, à la place du peuple, avant le verdict du peuple. Espérons qu’elle ne se réalise pas. Mais comme on travaille sur des hypothèses, il serait naïf de ne pas l’envisager.
Ce 2e scénario est le plus improbable et le plus négatif
A suivre…
Pr Ndiaga LOUM, Département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais (UQO)
Ecoutons et suivons la voie/voix du peuple souverain
Qui l’eût cru ? Le chaos annoncé se révèle finalement un cauchemar qui, pendant de longues nuits consécutives, a troublé notre sommeil. Le scrutin du 26 février 2012 a eu lieu, dans une ambiance qui rabat le caquet à plus d’un oiseau de mauvais augure, et donné raison à ceux qui n’ont jamais douté du peuple sénégalais, égal à lui-même, plus constant que ses politiciens. A l’heure du choix, sa capacité de discernement et son sens des responsabilités restent intacts.
Le Conseil constitutionnel a validé la candidature de Me Abdoulaye Wade, malgré la véhémente protestation de ses rivaux et des mouvements de la Société civile qui ont tenu à dénoncer un troisième mandat. La campagne électorale, ouverte dans un climat de confusion totale et de menaces latentes, s’est déroulée de façon inédite, dans la dispersion des candidats de l’opposition dont les uns, réalistes, ont battu campagne, et les autres, figés dans des positions radicales, se sont contentés d’organiser des marches et des rassemblements pour défier l’Autorité au nom des libertés garanties par la Constitution.
A la veille de l’élection présidentielle, aucun observateur objectif ne pouvait présager de ce que le lendemain réservait si bien des solutions de sortie de crise étaient échafaudées çà et là. La réaction des leaders politiques, suite aux imprudences d’Alioune Tine, Président du M23, est comme un avertissement très éloquent fait aux responsables de la Société civile qui se fourvoient en sortant de leur rôle de médiateurs (non pas d’arbitres) pour adopter des postures d’acteurs dans un conflit clairement politique et partisan.
Le peuple sénégalais a voté dans le calme. On déplore le faible taux de participation au scrutin, taux qui avoisine 58 % des inscrits. Comment pouvait-il en être autrement ? D’aucuns ont prédit l’impossibilité de la tenue d’une consultation paisible, compte tenu des déclarations bellicistes émises de part et d’autre et des images alarmantes diffusées par les médias. Beaucoup de citoyens ont préféré se barricader chez eux avec leurs familles plutôt que de prendre des risques en allant remplir leur devoir citoyen. Pourtant l’atmosphère qui a régné le 26 Février 2012 sur toute l’étendue du territoire national a surpris tout le monde, y compris les observateurs étrangers, présents en grand nombre, qui n’ont trouvé rien à redire. Les résultats sortis des urnes, jusqu’ici, reflètent le choix d’un peuple mature et jaloux de sa souveraineté, en même temps qu’ils rappellent, si besoin en était, la voie royale pour une paix réelle et durable.
Les candidats qui ont su écouter et suivre la voix du peuple se retrouvent en tête du marathon présidentiel, formant un trio logique : Abdoulaye Wade, Président sortant, Moustapha Niasse, porte-drapeau de la coalition Bennoo et Macky Sall, Président de l’Alliance pour la République et candidat de la coalition ‘Macky 2012’. A l’analyse des tendances telles qu’elles sont en train de sortir des urnes, on peut émettre quelques remarques et tirer des leçons.
La première remarque est en fait une question qui taraude l’esprit de bon nombre d’observateurs de la vie politique sénégalaise. En effet, on se demande pourquoi Ousmane Tanor Dieng et Idrissa Seck ne figurent pas à de meilleures positions. La seconde remarque est que la dispute du fauteuil présidentiel, si elle était rationnelle, aurait dû se jouer entre cinq leaders ou coalitions politiques dont le poids électoral est plus ou moins significatif.
Les leçons à tirer de ces remarques sont de trois ordres. D’abord la longévité au pouvoir ne nuit pas seulement à celui qui exerce la magistrature suprême mais aussi à son parti. Les quarante ans de règne sans partage du Parti Ups/Ps constituent un lourd héritage à porter pour les héritiers de Senghor et de Diouf, nonobstant leur sens de l’Etat et leur comportement républicain à toute épreuve. Par conséquent, après deux mandats consécutifs à la tête de la République, le prochain président élu devra, sans tergiverser, rendre au peuple le pouvoir que celui-ci lui a confié. Ensuite, tout homme politique doit s’évertuer à présenter un profil précis, adoptant une posture constante et une démarche cohérente car la politique constructive n’est pas du tout un jeu de dupes. Enfin, la multiplicité des candidatures aux joutes présidentielles n’a fait qu’émietter l’électorat de l’opposition et mettre à nu l’inopportunité ou le caractère proprement ridicule de certaines prétentions.
Outre les remarques et leçons inspirées par les tendances des résultats disponibles à ce jour, la perspective d’un second tour se dessine plus ou moins clairement. La déclaration du président de la République sortant faite dans l’après-midi du lundi 27 février 2012 rassure car elle n’exclut pas l’éventualité que certains de ses zélateurs semblent récuser.
Le scrutin du 26 Février 2012 s’est déroulé dans des conditions satisfaisantes d’organisation, de liberté d’expression des citoyens et de transparence dans la gestion des suffrages. En tant que ‘scrutateur’ dans le bureau où j’ai voté (Bureau 3 de l’Ecole Mor Tolla Wade de la Commune d’Arrondissement de Médina Gounass), j’ai assisté au dépouillement des résultats. Ces derniers (Macky Sall : 134, Abdoulaye Wade : 102, Moustapha Niasse : 42) confirment les tendances suivant lesquelles le trio gagnant reste inchangé et que le maître et l’apprenti pour ne pas dire le père et le fils sont au coude à coude si bien que, pour les départager, les électeurs devront reprendre le chemin des bureaux de vote, à moins que les résultats définitifs que la Commission électorale nationale autonome portera à l’appréciation générale démentent les tendances actuelles en prononçant la victoire au premier tour de l’un ou l’autre candidat formant le duo triomphal sur la ligne d’arrivée provisoire.
Si Wade sort vainqueur, dans la transparence absolue, ce sera tant mieux pour la Coalition Fal 2012. Macky a un bel avenir politique devant lui. Les prochaines consultations législatives et municipales lui promettent déjà de riches moissons. Mais si les urnes, au lieu d’être remplies d’épis de mil, sont bruyantes de hennissements, de grâce, que le camp adverse ne fasse point la sourde oreille.
Le peuple sénégalais, par son attitude, a démontré qu’il est le seul garant de la démocratie formelle qui souffre de l’opportunisme infantile des parasites qui grenouillent autour des leaders, surtout de ceux qui détiennent le pouvoir. S’il perd les élections, Wade est seul à décider de reconnaître sa défaite. Autour de lui, personne ne le fera, contre sa volonté. Celle-ci doit être la survie de la République pour que demeurent intactes son œuvre et son image d’exceptionnel bâtisseur mais d’abord de leader charismatique et visionnaire dont le Sénégal et l’Afrique ne peuvent être que fiers.
Au soir du 19 mars 2000, Abdou Diouf a, lui-même, appelé Abdoulaye Wade, son challenger, pour le féliciter de sa victoire, avant la proclamation officielle des résultats définitifs du deuxième tour de l’élection présidentielle d’alors. S’il avait écouté ses inconditionnels, il se serait agrippé au pouvoir et personne ne peut dire ce qui serait advenu du Sénégal.
Qui parle de sortie par la petite porte ? Pour un démocrate qui a favorisé l’explosion médiatique, renforcé les libertés d’expression, de mouvement et de manifestation, sortir par la voie des urnes est la sortie souhaitable parce que conforme aux dispositions de la Loi fondamentale. Ce que les esprits républicains ont refusé jusqu’au bout, c’est le verdict de la rue. Si Wade, bousculé par une meute sans visage ni couleur, avait démissionné ou bien si, harcelé par des organisations informelles, il avait retiré sa candidature, il serait sorti par la petite porte et livré le pays à un destin incertain.
Mais si, à l’issue des joutes présidentielles démarrées le 26 février 2012 dont les résultats définitifs et officiels seront bientôt portés à la connaissance de tous, sous le contrôle de la presse locale et internationale et de tous les observateurs d’ici et d’ailleurs, Abdoulaye Wade est amené à sortir du jeu politique national, ce ne sera nullement par la petite porte. Xandeer su dammee ca waar wa, jaanam wacc na ! dit l’adage wolof. En d’autres termes, ‘si l’hilaire se brise au cours du labour, c’est qu’il a bien rempli sa mission.’
Marouba FALL, Ecrivain marouba_fall@yahoo.fr
Les enseignements d’un premier tour
L’élection présidentielle du 26 février 2012 est riche d’enseignements sur plusieurs points. Le combat sociopolitique organisé et mené autour de l’illégalité de la candidature du Président sortant Abdoulaye Wade a produit des résultats mais avec des stratégies différentes.
L’opposition politique, en manque de représentation populaire a trouvé sa continuité dans le cadre qui lui est offert par le M23 pour retrouver une source de légitimité populaire qui a remis en cause le processus de confiscation du pouvoir politique par la Coalition des Fal et Alliés 2012.
Les candidats qui luttaient, tels que Idrissa Seck, Ibrahima Fall et Cheikh Bamba Dièye, pour la restauration de l’Etat de droit, la sauvegarde des principes démocratiques et l’effectivité des mécanismes d’actions de la démocratie, malgré leurs scores, ont participé fortement à la neutralisation d’un scénario de coup de force électoral du candidat Wade qui déclarait pouvoir gagner les élections à 53 % au premier tour. Cette stratégie de lutte est matérialisée par le candidat de la coalition ‘Macky 2012’ qui, en plus de sa déclaration d’appartenance au M23, a pris le risque de diversifier ses approches en allant très tôt en campagne électorale, suivi de Moustapha Niasse de Bennoo Siggil Senegaal et de Ousmane Tanor Dieng de ‘Bennoo ak Tanor’.
Ce qui ressort de cette configuration peut s’analyser comme une conjonction de lutte pour des principes basés sur des actions disparates dont une maîtrise imparfaite peut engendrer un résultat autre que celui qui est prévu : faire partir le président Wade.
Outre le fait que le processus électoral a été mal enclenché par ce débat sur la violation de la Constitution par la participation du candidat Abdoulaye Wade, la multiplication des cadres de contestation n’a pas été prévue par le pouvoir en place dans sa stratégie de conservation du pouvoir.
L’incident survenu à la Zawiya El Hadji Malick Sy, avec ses conséquences à Tivaouane, la crise universitaire qui prend en otage les étudiants et élèves, la contestation sociale à Cambérène, les pertes en vies humaines suite à l’interdiction faite à certains candidats de battre campagne ou de manifester à la Place de l’indépendance, constituent autant d’éléments qui font que le Président Wade ne peut pas gagner l’élection du 26 février 2012 au premier tour.
Cette dynamique contestataire a justifié la victoire de l’opposition plurielle dans ses composantes les plus représentatives dans tous les bureaux de vote du Sénégal et de la Diaspora comme en témoigne la défaite du président de la République dans son bureau de vote au Point E et des ministres de la République dans leurs villes.
Cependant, l’opposition politique gardera-t-elle cette ligne de conduite pour pousser le président Abdoulaye Wade vers la sortie ou ce dernier cherchera-t-il à forcer le passage avec d’autres données dont on ignore l’existence ? Le deuxième tour qui va s’ouvrir n’exclut pas le jeu des alliances pouvant fragiliser le M23 comme un cadre nouveau du ‘mouvement de la société civile’.
Demba FALL, Docteur en Science Politique CERTAP/UPVD
ELECTIONS 2012 - Le peuple sénégalais est seul arbitre
Quoiqu’il arrive dorénavant, il a été démontré ce 26 février que le peuple sénégalais a décidé dé se prendre en main pour arbitrer lui-même tous les débats sur la bonne marche de son système démocratique. Tout recul ou tentative de forfaiture sera sanctionnée par les urnes, à la toute prochaine échéance.
Au-delà du mérite indéniable des candidats, les résultats obtenus signent la victoire du « Daas fanaanal » des jeunes du mouvement « Y en a marre » qui ont fini par coaliser les électeurs pour relever le flambeau que le Conseil constitutionnel n’avait pas pu allumer. Deux attitudes se dégagent cependant qui pourraient être lourdes de conséquences. Celle qui veut que les alliances futures soient négociées avec Macky Sall et celle qui voudrait installer un front autour du second tour. C’est qu’on n’a pas retenu les deux leçons de ce scrutin.
Les électeurs choisissent l’unité et sanctionnent tant la désunion (Bennoo Siggil Sénégal a payé pour ça) que la démarche solitaire qui est celle de ceux qui n’écoutent que cette petite voix intérieure de l’ambition (Cheikh Bamba Dièye peut être « attristé » de n’avoir pas médité le verset « Khoulhan Ounzou birabi nassi », tout comme Cheikh Tidiane Gadio).
Toujours est-il qu’avec la première lecture du baromètre électoral, comme le suggérait Sidy Lamine Niasse (sur Walf Tv), les candidats de l’opposition devaient logiquement se ranger sur la position tranchée qui les avaient réunis autour du refus de la candidature du président sortant. C’est le seul dénominateur commun qui n’ait pas varié. Ainsi, l’annonce des résultats partiels donnant deux favoris n’aurait dû susciter qu’une réaction politiquement correcte : « soutien automatique » au candidat arrivé deuxième. Or, seuls les camps d’Idrissa Seck et Ousmane Tanor Dieng (dans une moindre mesure) semblent avoir retenu ce scénario, en tous cas parmi ceux qui peuvent peser sur la balance.
La position attentiste de Niasse et la proposition d’un front M23 par Gadio laisseraient planer un doute quant à la suite du débat. C’est certainement ce que le candidat du Fal 2012 a si bien anticipé. Puisqu’en annonçant qu’ils allaient « explorer toutes les possibilités d’entente avec d’autres forces politiques », Me Wade ne fait que jeter un ballon de sonde à double objectif.
En fait, il est clair que MM Niasse, Dieng et Seck ne le soutiendront pas, parce que leurs militants ne les suivraient pas. Ce n’est donc pas à eux que s’adresse cet appel du pied. Il n’est pas besoin non plus d’anticiper sur un éventuel ralliement des neuf autres qui font totalement moins de 10 % et n’apporteront pas grand chose à un candidat qui n’a mobilisé à son compte que 32 % des 60 % d’électeurs ayant fait le déplacement. Mais en tenant compte de la baisse plus que probable du taux de participation (c’est la règle dans les deuxièmes tours), le ballon de sonde peut s’adresser aux indécis et à des porteurs de voix et grands électeurs identifiés qui vont à coup sûr être démarchés.
C’est pourquoi l’attitude qui consiste à annoncer des négociations ou des propositions à Macky Sall (déjà à la tête d’une coalition) risque davantage de faire diversion. En effet, ce dernier avait signé les conclusions des assises nationales « avec des réserves ». Il serait inopportun de vouloir y revenir avant l’issue définitive du vote. Le vainqueur pourra alors y puiser, selon son bon vouloir, comme l’avait d’ailleurs dit Abdoulaye Wade lui-même.
Ainsi, même si l’attitude républicaine et la posture diplomatique commandent une déclaration comme celle de Moustapha Niasse qui dit attendre « les résultats de la commission de recensement », le politiquement correct aurait été de ne pas laisser planer le doute dans l’esprit des souteneurs intéressés qui ne manqueront pas de rejoindre Wade.
C’est aussi ça la liberté de choix. Même si Me Alioune Badara Cissé a annoncé la posture responsable qui consiste à consulter tout le monde, il aurait été plus judicieux de fermer cette probabilité, même si on va discuter en coulisses, plutôt que d’indiquer qu’il y a matière à négociation, comme Me Elhadj Diouf (à 2stv).
Sur un autre plan, les tiraillements des derniers jours de campagne entre Macky Sall et le M23, ainsi que la sanction négative que les électeurs ont infligée aux tenants invétérés de cette démarche (Ibrahima Fall, Idrissa Seck mais, surtout, Cheikh Bamba Dièye et Cheikh Tidiane Gadio) indiqueraient qu’il n’est guère opportun d’aller actuellement vers des positions susceptibles de réveiller des dissensions. Vouloir installer un front du M23, ce que préconise Gadio, relève d’une telle approche qui risquerait de faire resurgir la discorde. Est-il possible, en outre, de nouer des alliances programmatiques en quinze jours, sans que cela ne soit une sorte de rafistolage qui va éclater dès les premiers mois ?
C’est en tout cas seulement dans ce sens qu’on peut –se permettre- de dire que le scénario de 2000 se dessine. Car les élections de 2012 sont inédites, en tout autre point. L’électorat sénégalais ayant démontré, au-delà de toute contestation, qu’il est le seul juge.
Fara SAMBE
Analyse philosophique du contexte pré-électoral au Sénégal : le contrat social sénégalais est-il devenu obsolète ?
Dans ce contexte de chaos généralisé, chacun d’entre nous, quel que soit le camp dans lequel et à partir duquel, il fait la lecture des choses, est traversé par une rage intérieure, une envie de sortir et de crier fort son ras-le-bol. Nous avons tous envie de dire basta ! Tellement la situation est intenable et regrettable. Intenable parce que nous sommes tous entrain d’expérimenter individuellement les affres d’une situation de guerre où l’on ne peut plus vaquer aux occupations ordinaires de la vie comme aller à un rendez-vous intime ou d’affaire, comme amener ces enfants à l’école, comme aller assister à un match de foot au stade, comme faire son jogging, comme aller errer au centre ville, comme aller en boite la nuit ou tout simplement aller à l’église, à la mosquée et prier avec sérénité.
Bref, vivre normalement le plus normalement du monde devient de jour en jour quelque chose qui s’éloigne des rivages sénégalais. Regrettable également parce que nous tous savons maintenant que désormais plus rien ne sera plus comme avant : le contrat social sénégalais est rompu. Pour la première fois, dans l’histoire de ce minuscule pays, mais grand et merveilleux par ses hommes et son histoire singulière, certains d’entre-nous sont prêts à tuer d’autres parmi nous parce qu’uniquement ils ne sont pas du même camp ou ne pensent pas de la même façon.
En effet, il ne faut pas se leurrer, le Sénégal d’aujourd’hui vit une situation d’anomie généralisée. Il n’y a plus une règle de respecter qu’elle soit d’ordre juridique avec les violations constantes de tous bords de la loi, d’ordre moral avec les actes de dépravation sociale constatés quotidiennement et relayés amplement par les médias, ou d’ordre culturel et religieux avec les agressions des fondamentaux du vivre ensemble qui faisaient la particularité de l’homo senegalensis (la profanation de la zawiya est le paroxysme de cette indécence dans la démesure du non respect des règles et autres coutumes sociales).
Aujourd’hui, il faut être frappé d’une cécité incapacitante pour ne pas voir cette rupture du contrat social et son origine. On n’a pas besoin d’être un fin analyste ou un érudit de la chose politique pour voir le chaos et présager de l’avenir sombre qui profile à l’horizon. Comme Jean Jacques Rousseau l’avait établi des siècles derrière nous, l’addition de l’inégalité des biens, qui est plus ou moins une chose normale, et de l’inégalité devant la loi entraine inexorablement la désagrégation d’une société et l’apparition de la tyrannie.
Chez Rousseau l’égalité conditionne même la liberté et la fraternité qui sont les mamelles indispensables pour nourrir une société démocratique. C’est d’ailleurs ce que les révolutionnaires français avaient compris avec intelligence, en lançant leur triptyque comme devise de la Nation : liberté, égalité, fraternité. Le pacte social doit constamment être traversé par un triple caractère. Il y a d’abord un moment d’entière renonciation à tout intérêt personnel au nom du vivre ensemble, c’est-à-dire l’égalité ; l’auteur de Du contrat social dit à ce propos « chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous ». Il y a, ensuite, le moment où chacun se donne sans réserve au nom du bien de tous et de la communauté, c’est-à-dire la fraternité où, selon ses propres termes, « l’union est aussi parfaite que possible ». Et enfin, il y a celui où chacun se donnant à tous ne se donne finalement à personne, c’est-à-dire le moment de la liberté. C’est ce triple caractère du lien social qui garantit l’égalité mais aussi, la liberté et le respect de la loi.
Et c’est pourquoi la justice qui assure l’égalité des droits constitue le plus grand bien public. Aussi, le premier et le plus grand vandale est celui qui a violé la justice de quel que bord qu’il se situe. D’ailleurs Rousseau ne s’y était pas trompé en déclarant dans les Lettres écrites de la montage ceci : « le premier et le plus grand intérêt public est toujours la justice. Tous veulent que les conditions soient égales pour tous et la justice n’est que cette égalité. »
Aujourd’hui, pour refonder le contrat social sénégalais, il est essentiel de revenir à cette notion de justice dans sa dimension polysémique en en retenant deux significations déterminantes : celle qui renvoie à l’équité et celle qui renvoie à l’égalité. Car, devant le chaos que la violation de la justice, jusque dans sa partie la plus fondamentale et la plus sacrée à travers la décision cocasse du Conseil constitutionnel, il est désormais primordialement de décrypter et de donner un contenu acceptable de tous aux deux sens du mot de justice susmentionnés.
Dans le premier, la connotation morale est l’élément essentiel tandis que dans le second, c’est l’élément objectif du droit qui prédomine. Ainsi, au premier sens est juste celui dont le jugement et l’action sont entièrement motivés et inspirés par des impératifs moraux. Et cela renvoie davantage à une disposition intérieure, à une vertu morale, qui par exemple chez Platon, récapitule toutes les autres vertus et définit l’accomplissement de la fonction qui est dévolue à chacun dans l’organisation sociale. Au second sens, est juste ce qui s’inscrit dans une réalité objective, selon un principe d’ordre et d’équilibre préalablement établi, qu’elle soit sociale ou économique. Dans ce cas, la justice est l’attribution à chacun de ce qui est sien.
Aristote dans l’Ethique à Nicomaque ne s’y est trompé en s’attachant à bien différencier les formes de la justice qui, loin de se contredire, se complètent pour la bonne marche d’une société. Il y a ainsi la justice générale ou légale qui concerne le bien commun, l’intérêt général, auquel chaque individu dans la cité, par la vertu, doit participer, et qui chez les Stoïciens par exemple doit s’étendre au monde entier au nom du cosmopolitisme (mondialisation avant l’heure). A côté de cette justice, il y a celle, particulière, en laquelle, il faut distinguer la justice commutative qui concerne les échanges, les rapports entre les humains, et la justice distributive, celle de la répartition des biens. Et l’une comme l’autre est à la base de l’égalité, et leur lieu commun est celui de la balance. Autrement dit, sans cet équilibre qui combine l’équité et la légalité au nom du vivre ensemble, qui doit subtilement combiner le souci de juste milieu et la nécessité de la viabilité sociale, il ne peut y avoir un avenir pour une société.
Aujourd’hui, la société sénégalaise, comme avant lui beaucoup parmi ses voisins subsahariens, a perdu le pied devant cet océan d’injustices qui inonde depuis bientôt une décennie le long fleuve tranquille qu’il fut naguère. Ce qui a provoqué cette situation chaotique, c’est avant tout le scandale que constitue, depuis bientôt une décennie, l’accumulation des biens du plus grand nombre par une clique dirigeante, très peu soucieuse des considérations morales. En effet, par le chapelet ininterrompu de scandales financiers et la boulimie foncière qui l’a accompagnée, nous avons la preuve que l’inégalité est le mal absolu. Car c’est l’inégalité des richesses entretenue par des mécanismes tels que les réseaux et autres affairismes d’Etat qui entraine toutes les autres.
Rousseau l’a admirablement décrit dans le Contrat social en ces termes : « A l’égard de l’égalité, il ne faut pas entendre que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que, quant à la puissance, elle soit au-dessous de la violence et ne s’exerce jamais qu’en vertu du rang et des lois et, quant à la richesse, que nul citoyen ne soit assez opulent pour pouvoir en acheter un autre et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre ».
A travers ce propos lumineux de Rousseau, on voit bien que le pacte social ne peut s’accommoder du clientélisme tel que nous sommes entrain de le vivre au Sénégal. La fortune ne doit aucunement être le critérium de la justice ; la force de la loi doit toujours résider dans le juste équilibre de l’équité et de la légalité qui permettra à tout un chacun de s’adosser sereinement sur le principe d’égalité pour protéger jalousement sa liberté en vue d’œuvrer pour la fraternité indispensable au vivre ensemble.
Aujourd’hui, la part de violence qui sévit un peu partout dans le pays ne doit pas être interprétée comme un épiphénomène des intrigues électorales, mais elle doit plutôt être considérée comme un effet du désespoir naît d’une condition sociale misérable et indigne d’une jeunesse qui ne peut plus se considérer comme sujet de droit (droit à l’éducation et à la formation, droit à l’emploi, droit à la santé, droit à la vie tout court) et surtout comme acteur dans la création de richesse qui est le moteur du monde globalisé.
Aussi, il faut voir dans cette détermination et cette rage de détruire certains symboles (les mairies, les routes goudronnées, d’accéder au centre-ville et à Sandaga haut lieu d’enrichissement national), des tentatives de reconquérir cette dignité perdue au-delà de toute forme d’instrumentalisation politique ou électoraliste. Et cela ne date pas d’aujourd’hui ; depuis plus de quatre ans on assiste de façon épisodique à ces poussées de violence. On peut se rappeler des émeutes des marchands ambulants en 2008 qui étaient prêts à y laisser la vie devant l’injonction de quitter Sandaga et le centre-ville de Dakar symboles de la richesse et des affaires dans ce pays. Ou encore, l’aventure suicidaire et meurtrière des embarcations Barça ou barsakh, qui était une véritable négation de la condition même de jeune, c’est-à-dire d’un être d’avenir, devant l’absence de perspectives d’insertion que le régime en place leur offrait.
C’est cette injustice totale qui pousse les jeunes, quitte à tomber les uns après les autres sous les tirs des forces dites de sécurité, à investir les rues, à bruler des pneus, à saccager des symboles, malgré les appels incessants au calme des notabilités et autres porteurs de voix de ce pays. Aujourd’hui, le seul appel qu’ils pourront entendre, c’est celui qui s’inscrit dans la mise en œuvre d’une justice véritable qui concilie l’équité et la légalité à travers une redistribution des rôles et des richesses du pays.
Malick DIAGNE
Enseignant-chercheur au Département de philosophie UCAD