Place à la Méta-économie
Quand on regarde sur le rétroviseur, les différentes politiques économiques de l’Etat du Sénégal depuis 1960, on retiendra deux (02) politiques (choix) économiques majeures. Celle qui va de 1960 à 2000 et durant laquelle, l’Etat avait intervenu de manière directe dans l’Economie nationale ; et celle qui va de 2000 à nos jours, durant laquelle l’Etat intervient de manière indirecte dans la création de richesses.
En 1960, coïncidant avec l’indépendance, l’Etat du Sénégal avait choisi pour dérouler sa politique économique, la voie socialiste « à l’africaine ». Cela se traduisait par son intervention directe dans l’Economie, et qui a fait que l’Etat du Sénégal était le principal acteur du développement économique du pays. L’objectif à long terme, dans cette perspective de voie socialiste « à l’Africaine », était de libérer le monde rural, de sa forte dépendance vis-à-vis des commerçants « traitants » considérés comme des exploitants. Ainsi, de la volonté clairement affichée par Léopold Sédar Senghor, alors Chef de l’Etat et Mamadou Dia, alors Président du Conseil, l’Economie sénégalaise devrait avoir pour socle, le secteur primaire dans toutes ses composantes (Agriculture, Elevage et Pêche). Nous sommes dans la décennie 60 – 70.
Ensuite, entre 70 et 80, l’Etat du Sénégal va profiter de l’arrivée massive en Afrique, des fonds spéculatifs des pétrodollars qui fuient le choc pétrolier de 1973 et du « boom » sur les cours des matières premières notamment l’arachide et le phosphate, en développant un tissu industriel structurant pour accompagner le développement du secteur primaire.
C’est durant cette décennie que le Sénégal va mettre sur pied la Zone franche industrielle (1974) pour encourager les exportations dans le but d’avoir un solde commercial (la différence entre les exportations et les importations) afin de se prémunir de tout aléa économique et de toute destruction de valeur dans le moyen et long terme.
Mais voilà, vers la fin des années 80, l’économie mondiale se globalise avec son lot de déréglementations et de surchauffe des marchés. L’Etat du Sénégal qui avait fait de gros investissements dans le secteur secondaire (on a estimé à 70, le nombre de sociétés para-publiques crées entre 1970 et 1976) attendait, naturellement, des retours sur investissements pour payer ses dettes. Malheureusement, les espérances de rentabilités financières n’ont pas été à la hauteur des résultats du Marché. C’est ce que Abdou Diouf désignait par l’expression « la détérioration des termes de l’échange » et qui revenait souvent dans ses discours pour expliquer les situations intermédiaires que traversaient le Sénégal.
Conséquence, il fallait passer à un recadrage macro-économique. Cela s’était fait en deux (02) phases. Une première phase (1979 -1984) marqué par des politiques de stabilisations dont le but était d’assainir les Finances publiques. Et une deuxième phase plus connue sous le nom des Ajustements structurels (1985 – 1991) et durant laquelle, l’Etat allait arrêter les subventions qu’il accordait aux entreprises publiques et para-publiques.
La troisième et dernière phase de ce recadrage macroéconomique est l’approfondissement de l’ajustement dont le but était de permettre aux entreprises sénégalaises d’être compétitives sur le Marché mondial. C’est l’ère des privatisations et des libéralisations, dopée par la dévaluation de 50% du franc Cfa. C’est la période comprise entre 1994 et 2000.
A partir de cette date, c’est-à-dire en 2000, le Sénégal a connu un changement de régime politique- donc de choix économiques. Dans l’ensemble, le Président de la République, Me Abdoulaye Wade a fait les choix économiques qui s’imposent dans un contexte de mondialisation, c’est-à-dire agir indirectement dans l’Economie. Cet agissement indirect dans l’Economie s’est traduit par la mise sur pied d’un environnement des affaires attractifs qui se reflète par une baisse de l’impôt sur les sociétés, même si Wade s’est fait avoir par les Grandes Entreprises sur les dépenses fiscales ; un cadre juridique sécurisant, un accent particulier sur le développement, l’accessibilité et la domestication des Télé- technologies, une situation macro-économique stable, une politique soutenue en matière d’infrastructures et de mobilité urbaine.
En agissant indirectement sur l’Economie, le régime libéral crée par la même occasion, les conditions nécessaires et favorables pour un développement d’un secteur privé national qu’il faudra davantage protéger et soutenir pour l’avènement, non pas « d’une bourgeoisie nationale des affaires » souhaitée par Senghor, mais des investisseurs aux capitaux nationaux puissants comme en Côte d’Ivoire. Cette dynamique que Wade est entrain de propulser pour la géographie des capitaux dans les nouvelles entreprises et sociétés à créer sera salutaire pour le Sénégal. Car, si la Côte d’ivoire continue à représenter, à elle seule, 40% de l’économie de l’Uemoa, malgré la crise ivoirienne, elle la doit en grande partie à ses capitaux nationaux puissants qui sont le lie de l’économie ivoirienne.
Car, tous les pays (surtout ceux du Sud –Est asiatique, Brésil, Russie, Inde et Chine) qui ont le plus résister face à la crise financière internationale et à la récession mondiale, le doivent en grande partie, à leurs capitaux privés nationaux qui ont investis d’abord chez eux. Mais cet élan salutaire pour toute économie qui se veut d’abord endogène risque d’être inhibé par un déficit de communication-débat et de compréhension-adoption du libéralisme-protectionnisme, qui tout en ouvrant les frontières, privilégie la préférence nationale.
Ainsi, aujourd’hui, plus que jamais, Wade doit passer à la Méta-économie - palier supérieur de la Macro-économie, dont le critère de compétitivité est, la stabilité sociale, la cohésion sociale.
Car, à peine la rentrée des classes, les syndicats d’enseignants menacent de paralyser l’année scolaire. Que dire des remous dans le secteur de la santé avec le « blues » des blouses blanches.
Or, ce sont les secteurs de l’Enseignement, de la Santé publique et des Investissements que l’allocation des ressources publiques doit être le mieux consentie pour arriver à la Méta-économie. D’autant plus que la transition d’une économie socialiste ( planification) vers une économie de marché (libéralisme), avec un virage à 180 à l’heure, demande un sacrifice de part et d’autre des gouvernés et des gouvernants, pour résister à cette mondialisation tout crin.
A titre d’exemple de sacrifice, celui du peuple japonais mérite méditation. En effet, au lendemain du bombardement de Hiroshima et de Nagasaki, les dirigeants nippons ont constaté que leur pays devra redécoller à partir du néant. Pour rattraper leur retard, les dirigeants japonais ont misé sur les Ressources humaines et les Télé-technologies. Suite à une vaste campagne de communication-explication- débat, les autorités nipponnes ont réussi à arracher des générations entières de japonais à leurs familles.
Des familles se sont débarrassées de leurs enfants en bas âge (6 ans) et les ont confiés à l’Etat japonais, au nom de l’intérêt général. Internés et pris en charge totalement, ces enfants ont travaillé durant des vingtaines d’années sur les Télé-technologies qui ont permis, en grande partie aujourd’hui, au Japon (là où on trouve le plus grand nombre d’ingénieur au mètre carré) d’occuper la place de 3éme puissance économique mondiale. Seulement à côté du slogan « Travailler, encore travailler, toujours travailler », ne faudrait-il pas lui adjoindre « Communiquer, encore communiquer, toujours communiquer ». Car, depuis 2000, le ratio entre les erreurs et fautes de gestion de l’Alternance (ses errements) sur ses réalisations et choix économiques (ses bons points) est positif dans l’ensemble. Cela veut dire que Wade tient la baraque économique du Sénégal.
La volonté de Wade à réaliser ses choix et visions économiques passe par une stabilité sociale, par une Méta-économie, laquelle dépendra en grande partie, de sa capacité à communiquer avec une bonne frange du Peuple sénégalais, à qui on n’a pas expliqué jusqu’ici, à sa juste valeur, les enjeux de ces choix économiques. Seulement, cette Communication- échange, jusqu’à ce qu’il y ait épuisement des facultés réciproques de convictions, repose d’abord, sur beaucoup plus de rigueur de la part des Gouvernants, du sommet à la base, dans la gestion des derniers publics. Car, le Peuple juge sur pièces et sur actes, les « hauts d’en hauts » avant d’adhérer à toute vision ou projet économique.
Des chefs d’Etat, sur le continent africain, ont réussi à communiquer avec une bonne frange de leurs Peuples jusqu’à les amener à épouser les contours de leurs visions du développement économique. Même si, l’unanimité n’est pas de ce monde, des Chefs d’Etat africains ont réussi à s’appuyer sur un levier (l’Agriculture), pour fédérer les énergies et la disponibilité de leurs Peuples.
Par exemple, en Tanzanie, Julius Nyéréré avait développé l’ »Oujama », c’est à dire l’émergence des coopératives agricoles articulée à une dynamique d’alphabétisation. Au Burkina Faso, Thomas Sankara avait convaincu son peuple à la mode du « Faso Dan Fani » en l’érigeant au rang de tenue traditionnelle nationale. Ce qui a permis aux tisserands et aux cultivateurs du coton, d’écouler leurs produits. Au Rwanda, Paul Kagamé a fédéré son peuple autour du « Oumouganda », c’est à dire les travaux communautaires pour la gestion de l’environnement, dans le cadre de l’après génocide de 1994. Ainsi, une vision, sans épithète, quoique salutaire, doit être largement partagée, surtout avec ceux (le Peuple) qui sont censés la traduire en actes. Et c’est là, entres autres, l’un des plus grands problèmes du Sénégal. A côté, bien sûr, d’une campagne électorale permanente, qui risque de relèguer le capital travail au second plan.
Mohamadou SY « Siré »
Journaliste économique et financier / Conseiller en Intelligence économique
siresy@gmail.com