MONUMENT DE LA RENAISSANCE AFRICAINE
L’ELOGE DE LA FOLIE : LE MONUMENT DE LA RENAISSANCE AFRICAINE, PROPRIETE DU MONDE NOIR
Article Par Dr Assitou Ndinga, Ndinga_assitou@yahoo.fr,
Paru le Samedi 2 Jan 2010
Le Sénégal débat sur le Monument de la Renaissance africaine. Ce débat, légitime, est sénégalo-sénégalais mais aussi africain.
Tout d’abord, situons-nous. Quand j’étais élève, souvent, je déclamais la femme noire de Senghor seul sur mon lit. Exalté. La beauté de la femme noire, femme nue, devenait images réelles même pour le jeune enfant que j’étais. Plus tard, je rencontrais cette beauté dans les photographies de Uwe Ommer [1].
Je me souviens aussi de la volupté qui m’envahit quand je vis, pour la première fois, la statue de Vénus de Milo de même que de l’expressivité des formes et de la sensualité des sculptures de Rodin : il y eut de grands moments de contemplation, d’évasion, d’allégresse, de communion et de convergence d’idées avec les créateurs de ces œuvres. Des moments que je désire aujourd’hui encore partager avec mes enfants. Pareil ! J’ai dit à Ndiaye, le chauffeur qui m’a emmené à Ouakam, tout le bien que je pense du Monument de la Renaissance africaine. Je le redis.
Il n’est jamais opportun pour en créer. Quelques exemples. En 1876, la Liberté éclairant le monde, plus connue sous le nom de statue de la Liberté et l'un des monuments les plus célèbres de la ville de New York, fut inaugurée. A l’époque, le pays était en pleine période de reconstruction. A la fin du XIXème siècle, la construction de la tour Eiffel fut contestée par certains. Elle ne connaîtra véritablement un succès massif et constant qu’à partir des années 1960 (soit plus de 70 ans après son inauguration !), avec l’essor du tourisme international [2]. Faut-il croire, comme le laisse entendre cet habitant de Dakar cité par Tuquoi [3] qu’ « avant de construire la tour Eiffel, en France, on avait donné à manger au peuple » ? Non ! Tous les habitants de Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis par exemple, tous des entités de l’Empire français à l’époque de la construction de la Tour d’Eiffel, ne mangeaient pas à leur faim et certains souffraient de mauvais traitements. Encore n’évoquons-nous pas la condition paysanne dans le Languedoc au XIXème siècle, par exemple.
Plus près de nous, en 1992, visitant le musée national de l’air et de l’espace à Washington, j’entendis certains protester vigoureusement contre les investissements dans des véhicules spatiaux alors que de nombreux citoyens américains souffraient encore de la pauvreté et des difficultés d’accès aux soins de santé. Devrait-on ajouter que l’on grogne aussi en Guadeloupe, c’est-à-dire en France, et en Russie ?
Il est connu de tous que le Sénégal est pauvre. Chacun sait aussi qu’il est culturellement différent de la France par exemple. Pourtant les enfants du Sénégal, comme ceux d’ailleurs, semblent ne pas vouloir vivre que de riz au poisson. Récemment, me promenant à Ouakam, j’ai interrogé, sans qu’il s’agisse d’une étude sur le sujet, quelques enfants (des jeunes filles et de petits garçons de 12 à 16 ans) sur ce qu’ils pensent du Monument de la Renaissance africaine. Les réponses furent nombreuses mais éloquentes. Contrairement aux bruits des adultes, beaucoup d’enfants, chacun avec ses mots, sont plutôt fascinés par ce Monument. Ces enfants et nous-mêmes (sans parler de nos générations futures !) avons aussi droit, dans nos pays comme les Occidentaux chez eux, aux grandes œuvres de l’esprit humain. Le Monument de la Renaissance africaine en est une, immense reflet d’une grande ambition pour l’Afrique, et en particulier le Sénégal.
Pourquoi ce Monument est-il immense ? C’est certainement parce qu’il peut contenter la générosité et le désir immenses qui sans cesse sollicitent Wade, comme ils ont sollicité d’autres intellectuels africains tels Cheick Anta Diop, Senghor et Tabo Mbeki, à réhabiliter l’histoire du monde noir. Les clefs de la compréhension de l’érection du Monument de la Renaissance africaine se trouvent donc aussi dans une analyse de la période d’éveil du jeune Wade au monde occidental mais ce sujet dépasse largement le présent article.
Ce Monument pâtirait, selon certains, de la main d’œuvre nord-coréenne. [4] A ce propos, je suis clair. Tenant compte des particularités de notre histoire, j’encourage les artistes africains en demandant que l’on favorise leur savoir-faire au détriment des autres. Une discrimination en ce sens me paraît indispensable pour accroître la richesse de l’Afrique et améliorer nos conditions de vie. Cependant le fait que le Monument de la Renaissance africaine a été matérialisé par la main d’œuvre étrangère ne me conduit pas à le déprécier. Le symbole lié à cette œuvre ne connaît pas de frontières. Il en est de même de celui de la statue de la Liberté ; celle-ci n’a pas été érigée par les nationaux non plus.
Que dire des termes du débat relatif au coût ou surcoût de ce Monument ? D’abord ce sont les gestionnaires concernés qu’il faut inviter à plus de transparence et de rigueur dans la gestion de ce qui touche à ce symbole ; ce qui réduirait considérablement la portée des rumeurs. Ensuite, il est évident que la surfacturation de ce type d’ouvrage, s’il y en eût, et le détournement des fonds liés à celle-ci gangrènent les sociétés sénégalaise, africaines et annihilent nos efforts allant dans le sens du progrès. Il ne s’agit pas de se voiler la face mais d’aborder cette question avec courage et lucidité. Chaque Africain doit balayer devant sa porte. C’est de Lapalisse : le mal (la surfacturation, le détournement des fonds, la corruption et la concussion) est profond ; beaucoup d’Africains, singulièrement les intellectuels, qu’ils soient fonctionnaires d’organisations internationales ou non [5], en sont atteints. C’est peut-être le lieu de déplorer, encore une fois, la valise remise à Segura qui a contribué aussi, avouons-le, à la ruine de notre crédibilité à l’échelle internationale et c’est cette affaire qui est parfois convoquée pour corroborer, de façon insidieuse, la surfacturation, non encore avérée, des travaux de construction du Monument de la Renaissance africaine.
Le débat sur ce Monument se confond parfois avec celui sur la politique intérieure. Les orateurs ici sont passionnés, et les propos durs. Je ne mêle pas de ça, même si j’avoue ici mon admiration pour la profondeur de la culture démocratique sénégalaise. Subsistent d’autres termes du débat : ceux qui renvoient à la lecture du Coran, par exemple. Mais comme j’aime, vous l’avez compris, l’art, je ne vois que ça et son symbole – l’Afrique qu’il faut tirer vers le haut. Mon ami Demba, lui, est d’un avis différent. Qu’importe ! Son point de vue est aussi valable que le mien. Au-delà, tous deux nous célébrons l’Afrique, l’Univers et Dieu. Chacun à sa façon.
Dans la clameur des débatteurs, j’entends aussi Sisyphe. Il appelle à refaire la Mamelle qui aurait été amputée par Wade. C’est l’éternel recommencement : serions-nous irrémédiablement condamnés ? Non ! je pense que le Sénégal, singulièrement Dakar, peut capitaliser sur le Monument de la Renaissance africaine. Imaginons, au cas où cela n’aurait pas été déjà fait, un centre de recherches sur l’héritage et les futurs africains ou une cité des Afriques par exemple autour de ce Monument. Suivons le doigt de l’enfant porté par son père ! Qu’il ne nous désigne pas le large ou Barcelone mais le haut, c’est-à-dire qu’il nous invite à nous élever. Ce faisant, nous nous élèverions et le socle, fût-il de plusieurs milliers de tonnes, avec nous.
Vous comprenez, inspirons-nous de l’entreprise coloniale et occidentale qui fit rêver de la femme noire de Senghor partout jusque dans les écoles de brousse. Créons des images et des légendes positives autour du Monument de la Renaissance africaine. Faisons passer ces images et ces légendes dans les enseignements, les recherches, les circuits touristiques, les visions de Dakar, du Sénégal et d’Afrique, etc.
Et si le bruit actuel résultait aussi, comme certains le laisseraient entendre, de l’influence des djinn, offrons les tout ce qu’ils désirent : selon Demba, des bœufs, des chèvres et des poulets et, en contrepartie, demandons qu’ils participent au rayonnement planétaire de notre Monument.
Ne nous contentons pas de lancer des invectives, ne confisquons pas le débat, élargissons-le au monde noir, puisque ce Monument lui appartient en premier lieu, et évitons que les faiseurs d’histoires d’Afrique (les fossoyeurs), les mêmes, par leurs puissants moyens de communication, ne nous enferment pour toujours dans la misère comme si nous ne devions plus avoir envie d’en sortir.
Ces suggestions ne sont pas exclusives. Chacun devrait contribuer à la célébration de notre Monument - ce patrimoine potentiellement susceptible de renforcer notre sentiment national, notre appartenance à l’Afrique et au monde.
Que fait une certaine élite d’Afrique francophone pendant que Wade érige le Monument de la Renaissance africaine en Afrique ? Celle-là, selon certaines associations, cultiverait les variantes de « l’espérance » mais comment ? Toute la question est là ! Elle continuerait à livrer leur pays au pillage des forces étrangères pour le pouvoir ou quelques avantages financiers, confinerait leurs enfants dans des cadres de vie malsains (ils sont pauvres, soutiendrait-elle, malgré les énormes ressources de leur sol et sous-sol !), travaillerait à figurer parmi les pays pauvres et très endettés, organiserait la course à l’accumulation des biens immobiliers loin de leur pays et ferait soigner même leurs petits bobos à Rabat, Barcelone ou New York.
Dans ce contexte, il est facile pour moi de tenir la balance inégale entre les pratiques de cette élite et les ambitions pour l’Afrique de Wade. Le salut de notre continent ne passe-t-il pas aussi par l’éloge de la folie, comme celle qui a conduit Wade à ériger le Monument de la Renaissance africaine ?
BONNE ANNEE 2010 A TOUTES ET A TOUS !