Danse autour du paon
ar Henriette Niang-Kandé | SUD QUOTIDIEN , mardi 1er septembre 2009
« Cet Etat, s’est réduit à un monde animal, Ndoumbélane autour d’un paon », s’est écrié, un observateur de la jungle en folie, qu’est devenu notre pays.
Un paon est un gallinacé qui se pavane en exhibant des plumes multicolores et mordorées dressées à l’arrière de son corps, pour en mettre plein la vue. Il déambule à droite et à gauche, en poussant des roucoulements grotesques et tente d’attirer l’attention, en quête désespérée d’admiration. Il a de légende vérifiable, la plus belle parure de la ferme, contrairement aux poules, coqs, coquelets, pigeons, dindes et dindons qui peuvent le canarder (en privé bien sûr) et rire à ses dépens, quand il en fait trop. Lui qui doit convaincre, remobiliser est l’objet de toutes les plaisanteries, assailli de saillies énergiques qui fédèrent les déceptions, les rancœurs, les doutes et les désespérances.
Quand il n’applique pas la politique de l’autruche, le paon, en cas d’ urgence ou de nécessité, se sert de ses plumes avec passion. Il cultive des « arts » comme la réflexion, en commettant des livres ou des dessins, des esquisses ou des maquettes quand il est inspiré. Tout cela dans un silence qu’il veut imposé, et qu’il rompt d’un cri froid et ravageur, quand d’importuns journalistes l’asticotent. Quels étourdis ceux-là qui oublient qu’on ne parle pas ainsi d’un paon, dont les ouailles sont prompts à la défense ! En toute « indé(paon)dance » disent-ils. Mais il y a toujours un hic. Si la philosophie impose d’exprimer clairement ce qu’on conçoit bien, force est de constater que les coqs répondeurs, les perroquets les plus hardis, ont le chic pour rendre confus les problèmes à traiter. Ils déroulent plus que de raison, un discours en trompe-l’œil, relevant de la tactique bien connue des poulpes, où un nuage d’encre masque une fuite en arrière. D’autres adoptent l’attitude des moules, accrochées au rocher de leurs privilèges, qui devant la critique, la protestation, ou la mauvaise humeur, se ferment désespérément comme des huitres. Les derniers habitants de Ndoumbélane, arrivés à la vingt-cinquième heure, font le dos rond et s’offusquent qu’on ait des choses à reprocher au paon. « Son orgueil, disent-ils, faut pas s’en faire. Faites preuve d’indulgence, car avec telles parure et parade, on peut bien se permettre une pincée d’amour-propre. Qui n’en ferait pas autant, paré de ces atouts ? ». Une chose est sûre. Les défenseurs de cette théorie, ont trouvé leur place. La pire.
De temps en temps, un oisillon –le dernier étant le plus en vue- l’oisillon dont le seul diplôme est d’arriver « premier à un concours de circonstances » tente de quitter le nid et de voler de ses propres ailes, pour rejoindre le plus haut perchoir de la basse-cour. Et c’est l’escalade. Son premier coup d’ailes est opéré sous le regard de son père. Il le franchit sans « dommage », ou sans que personne n’ait su, voulu, ou pu y mettre un coup d’arrêt. Un deuxième coup d’ailes suit. Puis, un troisième… Jusqu’au moment où il risque à chaque battement de ne pas en faire un suivant, en un seul morceau. Surtout quand dans sa précipitation pour atteindre le sommet (si un quelconque sommet peut encore exister pour lui), il a la vue tellement brouillée par le vertige des hauteurs qu’il ne sait plus ni gérer son ascension, ni négocier ses virages, ni stabiliser son altitude de croisière. C’est alors la crise. Ou plutôt un crescendo de crises étourdiment ou sciemment provoquées. Il se trouve alors certains habitants de la ferme qui viennent à s’émouvoir que tout ne tourne pas rond dans ce monde animal. Et que peut-être que le temps est venu de lever le rideau et le « paon » du voile sur de trop obscures coulisses, nées de « vices » d’écriture, de forme, et de fond et de fonds publics dépensés derrière bien de caquetages tentant de cacher un vide programmatique.
Quand certains s’émeuvent et que d’autres poussent des cris d’orfraie, on les prend par un, on leur met du foin dans la mangeoire, comme on met le couteau sous la gorge d’un poulet : une bonne récompense s’ils se rallient. Une exécution s’ils résistent. Le chantage, l’intimidation, la brutalité. Et à ceux qui, courageusement, entendent persister à rester indépendants et libres, que dit-on ? Qu’il n’en est pas question, que c’est interdit, qu’on est « avec nous », rangé, embrigadé, couché, ou qu’on est un ennemi. Traité comme tel. Massacré, si possible, comme tel. Or, seules les dictatures prétendent à la pureté. Les régimes de liberté sont fondés sur l’imperfection.
Au dessous du nid de coucous, volent des aigles qui couvrent de leurs ailes, leurs poussins encore couvés, et qui n’étaient allés « s’éclater » en boite de nuit. « Quand un pouvoir et usé et malade, il se lamente en reprochant à la presse, sa partialité et sa malveillance », a dit Jean Pierre Elkabbach. C’est ainsi que vendredi dernier, un fait divers et trois lignes dans des journaux, ont été montés en épingle pour convoquer les chroniqueurs à la Division des Investigations Criminelles. Un fait divers qui aurait pu être relégué au tout-à-l’égout. C’était grotesque et dément. Mais c’est çà le plus dangereux. La privatisation du pouvoir avec son exécutif boiteux, son Parlement et son Sénat muets, sa démocratie bigleuse et son administration arthritique. Cette privatisation se montre chaque jour à nous, par la superposition d’une sphère privée et de la sphère publique et des institutions qui déconstruisent le principe de la République. Souvenez-vous de « je dirai à ta mère que tu as bien travaillé ». Ce qui nous est tous commun, est détourné par un groupe et la légitimité ne se fonde plus que sous forme de cooptation. C’est ainsi que ce sont développées les tendances monarchiques. Un pouvoir exercé avec une totale arrogance, avec l’aide d’une flopée de courtisans de tous bords et de tous poils, aussi futiles qu’inutiles, le mépris des engagements donnés et le reniement de la parole, tout cela présage d’un monumental désastre. La forme n’arrive plus à cacher le fond, l’illusion a fait long feu, les paillettes des Alternoceurs et leur insouciante arrogance écœurent. On peut autant évoquer l’incompétence que les travers psychologiques engendrés par un ego boursouflé de partout. Le système mis en place ne permet à aucune politique, bonne ou mauvaise, de s’appliquer vraiment. Il est temps de changer le logiciel de ce pouvoir-là avant de rallumer la machine.
En fait, ce ne sont pas les journalistes qui gênent. C’est la réalité. Réalité d’un hivernage pluvieux et d’une banlieue, encore une fois, sous les eaux. Réalité d’une économie qui n’est pas un moteur de développement : plus Maître vrombit, plus la croissance s’enraye. Réalité d’un système scolaire qui détricote l’enseignement qu’il est urgent de ressusciter. Réalité d’un « libéralisme » qui creuse la tombe de nombreux emplois. Réalité d’une politique de santé qui laisse crever les indigents, avec leurs ordonnances en guise de bavoir. Réalité d’un cadeau auto-offert sur une Mamelle de Dakar, et qui pointe comme une acné purulente sur le visage de la ville. Réalité d’une invitation à un dialogue politique avec l’opposition, écrite avec les conditions et la pompe « impériales » d’un président enivré de soi. Réalité des choses de l’Etat et d’hommes et de femmes qui ne dégagent plus depuis longtemps une majesté naturelle –ils ne le peuvent plus, vidés qu’ils sont de leur substance digne. Réalité d’un titulaire du Pouvoir qui tente, tant bien que mal, par un narcissisme parfait et un délire prométheén, de s’habiller de conscience, quand les choses vont mal pour lui.
Il y a donc assez de véritables raisons de s’inquiéter pour qu’on n’aille pas lui en attribuer tant d’autres qui sont inexistantes. Il n’en reste pas moins que le tintamarre de notre chienlit politique étonne plus d’une personne dotée de bon sens. Ah ! J’oubliais. Chienlit : A l’origine désignait " des noceurs qui s’enivraient au point de s’oublier sur leur propre couche quand ils s’affalaient au petit matin blême ».
Henriette Niang Kandé
sud quotidien