Le vote de la loi d’orientation sociale. Et a
Le vote de la loi d’orientation sociale le jeudi 27 mai courant dans une ambiance féerique constitue une révolution dans le monde social du fait notamment des enjeux qui sont attachés à cette nouvelle orientation législative, mais aussi dans la lutte pour la promotion des personnes handicapées. Et pour cela, il faut féliciter d’abord Monsieur le président de la République pour avoir permis son adoption en Conseil des ministres et ensuite Monsieur le ministre des Affaires sociales pour avoir fait du projet de loi son principal cheval de bataille depuis un certain temps. Il faut aussi féliciter les organisations de personnes handicapées pour la longue et constante lutte qui a pu enfanter les Assises nationales de l’action sociale et aujourd’hui, le vote de cette loi.
Le cadre législatif étant ainsi défini, il est clair qu’un processus encore plus décisif reste à enclencher si tant est que, nous avons toujours le dessein d’imprimer une orientation sociale cohérente et conséquente à la volonté de jouer sur le registre de l’égalité de chances. Car, la question du handicap a évolué de la conception dite du «dysfonctionnement organique» à celle dite de «dysfonctionnement social» qui a fort heureusement conduit à l’approche «Droit» en matière de promotion des personnes handicapées.
Il faut se rendre à l’évidence qu’aujourd’hui les personnes pauvres, et parmi elles, celles qui sont victimes de handicap expriment de manière continue le sentiment d’être traitées comme des «laissées pour compte, des exclues sociales» et leur aspiration à être reconnues dans leur dignité.
Cette perception correspond-elle à la réalité ?
On s’aperçoit qu’une réponse à une telle question est nuancée ; le regard que l’on porte sur les personnes handicapées est empreinte à la fois de compassion et de distance, ce qui est naturellement en contradiction avec l’exigence d’en faire des acteurs réels de développement.
Ainsi, cette loi va permettre de mettre un terme à une vision résiduelle ou réductrice du social qui a toujours consisté à régler d’abord les questions économiques, militaires, sanitaires, diplomatiques, énergétiques et que sais-je encore. Or, il me semble que, prendre le social comme l’appendice des politiques publiques dites dynamiques, c’est rater les enjeux d’un développement équilibré, harmonieux d’une Nation civilisée. N’est-ce pas Emerson qui nous rappelait que «le critère de la civilisation ne réside ni dans l’agriculture, ni dans la taille des buildings mais, c’est le genre d’homme que la terre produit».
Sous ce rapport et en notre qualité de travailleur social, nous pouvons enfin croire que les questions sociales sont en train de jouir d’un traitement plus rationnel et moins émotionnel afin qu’elles concourent à l’atteinte des objectifs du développement à l’horizon 2015. Et pour cela, nous sommes attendus sur beaucoup de problématiques, du moins pour ce qui concerne la cible - personnes vivant avec un handicap -. Donc, à défaut d’une politique sociale globale, structurée et cohérente qui définira son ciblage exhaustif, mettra en place ses acteurs (intervenants) et ses outils d’intervention (institutionnels, législatifs et réglementaires, projets et programmes…) adaptée à chaque cible, nous devons réussir tout au moins le pari porté sur la loi votée jeudi dernier à l’Assemblée nationale.
Il s’agira en termes très simples et compréhensibles pour tous, dans un style pédagogique, de réhabiliter la personne handicapée dans ses droits du fait précisément du principe selon lequel la principale contribution à l’effort national qu’est l’impôt est exigée sans discrimination à la personne valide dans les mêmes conditions que la personne handicapée.
Aussi, la carte d’égalité de chances constitue un moyen qui devrait permettre à ceux qui appartiennent à cette catégorie sociale défavorisée, de vivre avec leur handicap, en harmonie dans une société juste, avec un apport encore plus décisif dans le développement du pays. Et pour cela, il faut discriminer favorablement en direction des personnes handicapées en ce qui concerne par exemple leur accès aux structures sanitaires (pas de queue), scolaires et universitaires, sportives et financières (banques), au niveau des sociétés concessionnaires et de transport public (Sde, Senelec, Sonatel, Ddd).
Dans les établissements scolaires, les avantages seront étendus aussi aux enfants de personnes handicapées dont les parents sont détenteurs de la carte d’égalité de chances. Cet outil servira alors à combler le bouquet de manques que certains auteurs considèrent comme la meilleure définition de la pauvreté. Car en réalité, le handicap se présente sous la forme d’une atteinte à plusieurs droits fondamentaux comme le droit à un travail décent, le droit à un logement, le droit à la protection de la santé, le droit à une vie familiale, le droit à l’éducation, etc.
C’est ce qui explique toute la pertinence de la carte d’égalité de chances qui marque ainsi une approche cohérente et multidimensionnelle qui prend en compte plusieurs domaines de la vie nationale après avoir questionné les politiques publiques en cours dans notre pays.
Et c’est sur ce terrain de la mise en cohérence de tout cela dans ce difficile contexte de contradiction entre société à tendance capitaliste et pressante demande sociale, que les acteurs attendent du chef de l’Etat beaucoup de mesures énergiques pour faire décoller cette frange de la population.
A ce titre, il serait intéressant de s’inspirer de l’expérience du Bangladesh où les handicapés sont formés et équipés de voiturettes motorisées avec lesquelles ils circulent à travers les quartiers pour mener des activités de réparation de chaussures usées, de couture d’habits déchirés etc. Au Sénégal, pourquoi ne pas y ajouter la vente de cartes de recharge téléphonique. L’idée est de soustraire certaines personnes handicapées des griffes de la mendicité et d’en faire de véritables acteurs de développement capables de constituer un capital primitif.
Le défi est lancé et il faut le relever avec tous les acteurs qui sont mus par le seul intérêt d’ouvrir pour les personnes handicapées de nouveaux champs du possible, de réveiller de réels désirs de participation et d’actions constructrices, de renforcer les capacités de cette catégorie entièrement à part dans la société d’émergence qui prend forme dans notre pays.
Cheikh FALL - Travailleur social spécialisé -Directeur du Cprs Dakar Plateau
Dakar - Sénégal