Repenser l'école, une urgence pour le Sénégal
Repenser l'école, une urgence pour le Sénégal
La réflexion sur l’éducation s’impose parce que nombreux sont les acteurs qui ne s’interrogent pas sur le pourquoi de l’éducation. L’une des définitions les plus usitées et résumant bien ses finalités à travers l’histoire, est sans doute celle du sociologue Emile Durkheim. Ce dernier écrit à ce propos : ’L’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné’. Conformément à l’étymologie du mot ‘educare’, il s’agit d’aider l’enfant à grandir et de lui assurer une meilleure intégration dans la société.
Cette mission éducative est confiée à l’école parce que, comme le soulignait le philosophe Olivier Reboul dans sa critique de la famille contemporaine, ‘en le protégeant et en l’élevant, la famille risque toujours de faire de l’enfant un éternel mineur’. La conviction du philosophe-pédagogue était que ‘l’école fait la société’. D’ailleurs, chez beaucoup de philosophes - Rousseau, Kant, Hegel - et de pédagogues - Célestin Freinet, John Dewey, Maria Montessori - pour ne citer que ceux-là, nous notons une préoccupation pour la socialisation, l’éducation civique des jeunes et le développement de leur conscience sociale.
Certes, des finalités différentes ont été assignées à l’éducation à travers l’histoire, mais elles ont toujours été calées aux besoins de la société. Dans l’antiquité, par exemple, Platon soutenait que l’éducation a pour fonction la préparation de l’élite qui doit gouverner pour la stabilité de la société : le déclin d’Athènes consécutif à la guerre de Péloponnèse justifiait le choix de l’auteur de la ‘République’. Au moyen âge, l’éducation devait former religieusement en vue du salut de chaque individu et de l’établissement du règne de Dieu sur la terre. A la renaissance et surtout au siècle des lumières, pour mieux libérer les hommes et combattre l’obscurantisme et le dogmatisme, on formait à juger par soi-même en se basant sur la raison. Aujourd’hui, l’éducation a pour finalité de développer l’autonomie, l’esprit critique ainsi que les compétences professionnelles et culturelles.
La raison d’être de l’éducation
Il est clairement établi que la raison d’être de l’éducation est étroitement liée à ce que l’on considère comme important ou utile. L’organisation de l’enseignement dans tous les pays du monde obéit, d’ailleurs, à la logique utilitariste. Le Sénégal n’a pas échappé à la règle : Conformément à la loi d’orientation de l’éducation nationale numéro 91-92 du 16 février1991, les propositions de la Cnref, formalisant les conclusions des Etats généraux tenus en janvier 1981, définissaient le type d’homme à promouvoir à travers l’éducation. Il était question de faire de l’école une unité d’impulsion du développement. Par la suite, beaucoup de concertations nationales sectorielles témoignaient de la volonté affichée des autorités à s’appuyer sur l’éducation et la formation pour un développement durable.
En 2000, le Pdef, résultat d’un diagnostic en profondeur du système éducatif sénégalais, se voulait un cadre d’opérationnalisation de la lettre de politique générale pour le secteur formation-éducation. Malgré la pertinence des textes et tous les efforts financiers consentis, certaines limites continuent d’entraver le développement du secteur de l’éducation. Elles ont pour noms : vétusté des locaux, obsolescence des équipements, insuffisance du matériel didactique et/ou l’absence de mobilier adéquat pour leur conservation, entre autres. Dans beaucoup d’établissements, faute de bibliothèques et de bibliothécaires, des livres, pas du tout en phase avec le programme enseigné, jonchés à même le sol, servent plus à gaver les rongeurs qu’à satisfaire la curiosité intellectuelle des élèves. S’expliquent ainsi, en partie, des déperditions importantes.
Sur le plan de l’accès et de la qualité, il reste encore du chemin à faire parce que les documents tirés et distribués lors des sessions de formation n’arrivent pas aux enseignants ‘craie en main’, faute de démultiplication. Il s’y ajoute, et c’est triste de le constater, que les nombreux séminaires et ateliers de mise à niveau n’ont pas contribué à enrayer les réflexes d’improvisation et d’empirisme de bien des gestionnaires de l’administration scolaire. Ce constat amène beaucoup de gens à se demander si l’école n’est pas laissée à elle-même ; si on sait, vraiment au Sénégal, pourquoi elle est instituée.
Il faut interpeller les parents pour constater que beaucoup d’entre eux considèrent l’école comme une garderie d’adolescents parce qu’ils se tiennent à l’écart des problèmes pédagogiques et psychologiques, restent indifférents à la vie scolaire et ne font rien pour la redynamisation des Ape - Associations des parents d’élèves - qui souffrent de léthargie ou n’existent que de nom. Pourtant, aucun parent ne devrait ignorer, par exemple, le règlement intérieur de l’école pour comprendre ce qui est permis à l’enfant et ce qui lui est interdit. Cela pourrait améliorer très sensiblement les relations entre parents et enseignants.
Un médiateur entre le savoir et l’élève
Les enseignants que nous sommes, enfermés entre les quatre murs de la classe et dans le cadre étroit des programmes, continuent de développer un autoritarisme, un ‘totalitarisme pédagogique’ digne d’une éducation traditionnelle. Confiants en une pédagogie trop générale, on fait peu cas de la didactique. Beaucoup de mes collègues pensent, par exemple, que la philosophie n’a pas besoin de pédagogie parce qu’elle est par elle-même didactique ; ils ne se préoccupent, ainsi, que de ‘penser leur cours’, indifférents à la question de savoir comment l’élève peut en tirer profit… Il est important de rappeler que l’enseignant doit rester un médiateur entre le savoir et l’élève - mieux vaut parler d’apprenant aujourd'hui - qui n’est pas ’une vase à remplir’, selon l’expression de Michel Tozzi, mais un sujet acteur, qu’on doit aider avec des méthodes incitatives.
En outre, malgré les injonctions et les remarques, en rapport avec les exigences de l’école nouvelle, on continue de pratiquer une évaluation trop centrée sur le contrôle des connaissances. On oublie, assez souvent, que l’évaluation est, pour l’enseignant, un moyen de comprendre aujourd’hui ce qu’il lui faut consolider, modifier ou adapter dans le processus d’éducation et de formation.
Par ailleurs, tous les principes et pratiques d’une éducation sociale nous laissent indifférents et les activités socio-éducatives dans l’espace scolaire n’enregistrent plus notre participation, pressés que nous sommes de quitter l’école à une cadence rythmée de plaintes.
Nous avons l’habitude d’entendre les pédagogues dire que : L’école est le royaume dont le prince est l’élève, mais aujourd’hui ce royaume est bien morose. Celui qui devait l’animer, la faire vivre, est pressé de la quitter ; à la descente, on voit les potaches se bousculer à la porte pour sortir, comme des prisonniers pressés de profiter au maximum de leur temps de promenade.
Ce n’est pas trop également que de parler de désaffection, de désamour entre l’élève et l’institution scolaire qui n’est plus attrayante ! Le chemin de l’école est devenu même une contrainte pour la plupart de nos élèves qui ne savent pas trop pourquoi ils y sont ou qui vous avouent qu’il y a beaucoup de matières à étudier et qu’on y passe trop de temps ; beaucoup d’années à apprendre sans trop de garantie. On a du mal à les convaincre de la possibilité d’une réussite sociale, de l’éventualité d’avoir un métier et de gagner honnêtement leur vie à la fin de leur étude. Parce que l’école est concurrencée par bien d’autres chemins menant plus facilement à la réussite matérielle. On lui préfère vraiment le sport professionnel, l’immigration, le business, le ‘hip hop’, paroles d’élèves. Aujourd'hui, d'ailleurs, l'espace scolaire est transformé en arène de lutte et les références ne sortent plus des écoles : sur les murs de nos classes, on ne lit plus des citations d’éminents hommes de cultures mais ceux des lutteurs, des musiciens : Modou kharagn Lô, Balla Gaye, Akon pour ne citer que ceux-là.
C’est certainement le moment de jeter un regard critique sur cette conception de l’école utilitariste qui propose de former à un métier et d’assurer la réussite sociale sans tenir compte de l’humain, de la spiritualité. Sans aucun doute, il est insensé de parler d’une éducation désintéressée, mais nous risquons par ailleurs de sombrer dans un utilitarisme lourd de conséquences. Ce qui fait la noblesse de l’école, c’est quelque part, aussi, une connaissance désintéressée, la contemplation qui permet à l’individu de se réaliser pleinement, de devenir humain par l’’étude des humanités’, pour reprendre Alain. Le vrai homme, pensait-il, est un homme cultivé.
La culture générale en perte de vitesse
Aujourd’hui, la culture générale, ces connaissances contemplatives dont la littérature, la philosophie et la poésie sont en perte de vitesse dans nos écoles ; les valeurs matérielles et scientistes prennent le dessus sur celles spirituelles chez nos élèves. S’il en est ainsi, c’est parce que, dans nos pratiques d’enseignement, on se soucie plus du programme à traiter et terminer que du développement harmonieux de la personne des élèves. Ce choix qui place l’utile sur l’humain explique la ‘crise de la culture’ dont parlait Nietzsche, ’l’homme unidimensionnel’ d’Herbert Marcuse, le désenchantement de nos sociétés dans ‘un siècle de crises marqué par la progression des incertitudes’, pour reprendre Edgar Morin.
La finalité de l’école doit consister à former l’homme dans toutes ses dimensions. C’est ainsi qu’il serait plus efficace. D’ailleurs, Olivier Reboul s’en explique lorsqu’il écrit : ’Un système qui sacrifierait le développement de l’imagination, du raffinement du goût limiterait aussi profondément l’utilisation de ce qui est appris … Il faut une culture générale et des connaissances suffisantes pour jouer un rôle actif dans la société.’
Le rôle de l’école pour l’éducation et la formation, en rapport avec les besoins de la société ou défis à relever, semble évident. Les autorités l’ont bien compris : les efforts et les ressources consacrés au système éducatif dans notre pays en témoignent Seulement, il y a beaucoup de choses à revoir pour que nos sacrifices ne soient pas vains.
Sans nullement vouloir jeter le discrédit sur une institution qui nous a tout donné et que nous voulons continuer à servir, nous avons agité dans notre propos beaucoup de questions, souvent même sans apporter de solutions et celles données sont discutables mais notre souci s’inscrit, pour paraphraser Jacques Perrin, dans le rêve d’une école de qualité, dans laquelle, souvent, élèves, enseignants, administration, parents, se retrouveront pour se dire la vérité sans démagogie aucune, pour se poser des questions dont celles-ci : Est-ce que, réellement, on est en adéquation avec les préoccupations de l’école nouvelle ? Quelle société veut-on former pour demain ? A quoi servons-nous ? Qu’avons-nous fait jusqu’ici ? Quel est notre avenir ? Que pouvons-nous apprendre les uns par les autres pour mieux agir ?
Bira SALL Professeur de Philosophie Lycée de Thiaroye Animateur pédagogique Dakar Banlieue sallbira@yahoo.fr