Lettre ouverte à Abdoulaye Wade, pré
La République de Guinée, un pays voisin du vôtre, traverse une crise de Pouvoir qui est également une crise de démocratie.
Depuis le 23 décembre 2008, un groupe de militaires qui a pris la dénomination de Conseil national pour la démocratie et le développement (Cndd) dirige le pays.
Dès les premières heures du coup d’Etat, la junte a promis d’œuvrer pour une transition courte par l’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques. Les premiers communiqués du Cndd et la promesse faite par son porte-parole, un certain capitaine Moussa Dadis Camara, ont conduit les Guinéens à apporter leur soutien aux nouveaux hommes forts du pays. Mais, nul n’ignore, n’eût été cette promesse, que le peuple de Guinée n’aurait pas toléré, ne fusse un jour, le putsch.
C’est le même porte-parole qui, par la force des choses, a été choisi comme Président de la junte et qui s’est auto-proclamé président de la République. Nul besoin de vouloir démontrer le caractère anti-démocratique de cette Présidence. Mais, le contrat implicitement accepté par le peuple justifiait le bénéfice du doute qu’il accorda à la junte. Le temps de voir si la nouvelle équipe allait marquer la rupture ou tenter, à l’image des régimes précédents, de berner les Guinéens. La réponse ne s’est pas faite attendre.
M. le Président,
La communauté internationale a condamné à l’unanimité le coup de force du Cndd. La seule voix discordante fut la vôtre. Plus d’un Guinéen furent éberlués par votre prise de position. Vous avez été le seul à vouloir vous ériger en porte-parole de la junte, si ce n’est en ministre des Affaires étrangères en affirmant : «Les militaires appellent les voisins de la Guinée de ne pas se mêler de leurs affaires, de les laisser traiter leur problème entre Guinéens.» Ce soutien implicite fut plus que douteux.
En effet, vous n’avez pas perdu de temps à faire le contraire en vous immisçant le premier dans les affaires intérieures de notre pays. Vous vous êtes fait inviter à Conakry quelques jours seulement après la prise du Pouvoir par la junte. Si votre premier voyage a été reporté à cause des critiques émises par la presse guinéenne et internationale, y compris la presse en ligne, vous n’avez pas baissé les bras. Entre décembre 2008 et septembre 2009, vos visites en Guinée se comptent au nombre des mois. Bien sûr, le doublé d’août (2 visites ce mois là) s’y ajoute.
Les Guinéens qui s’étaient posé des questions sur votre intérêt et votre amour subit pour leur pays ont vite compris quelles sont vos intentions.
M. le Président,
La paternité que vous reconnaissez à Moussa Dadis Camara inquiète notre peuple. La communauté internationale dans toutes ses composantes étatiques, dans ses diverses et innombrables organisations, s’est émue de votre soutien au Pouvoir de Conakry.
La France, les Etats-Unis, sous l’administration de George Bush et actuellement de Barak Obama, l’Union africaine, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) l’Union européenne et tous les Etats épris de paix et de démocratie ont, non seulement condamné le putsch du Cndd, mais aussi appelé à une transition brève et paisible.
Pourquoi avez-vous opté pour une position différente des Etats et organisations démocratiques ? Quelles sont les motivations de votre soutien aux mutins de Conakry ?
M. le Président,
Votre omniprésence en Guinée, y compris au moment où le peuple sénégalais a plus que besoin de vous sur le terrain, nous en donne la réponse.
Quand le Nord et le Centre du Sénégal pataugent dans la boue ; quand les communes de Matam, Kanel, Rufisque, Keur Mbaye Fall, Diamaguène, Pikine, Guédiawaye, Thiaroye, j’en passe, et toute la région de Dakar comptent leurs morts et blessés après les inondations d’août et de septembre, vous vous rendez au chevet de votre fils Dadis.
Quel intérêt vous rattache à Dadis et qui sacrifierait vos obligations pour le peuple sénégalais ? Que représente la Guinée et ne représenterait le Sénégal pour vous ? Que vaudrait Dadis et ne pèserait pas votre propre fils ? Ma question n’est pas que d’ordre politique !
Chercheriez- vous, comme le pensent la plupart des Guinéens, à rapprocher vos deux fils ? Tant et si bien que Dadis, cet autre «Président» qui, la quarantaine passée, se cherche un père et croit pouvoir le trouver en vous. A moins que ce ne soit le contraire.
M. le Président,
Le peuple de Guinée n’est pas un peuple orphelin. Contrairement à Dadis, il ne cherche pas de père. Il s’attèle à reconstruire son pays et assumer son histoire. Soyez en convaincu que la Guinée est une Nation responsable. Son peuple est aussi mûr démocratiquement, sinon plus, que le vôtre.
Ce peuple n’a-t-il pas prouvé, bien avant d’autres, qu’il est responsable de son destin et qu’il assume pleinement son rôle historique ? N’est-ce pas la voie pour laquelle la Guinée a opté en 1958 qui a été empruntée en 1960 par l’Afrique toute entière ? Si tel est le cas, vous comprendrez, monsieur le Président, que les Guinéens se passent fièrement de vos services. Seul leur importe une collaboration franche de nos deux Nations et au seul bénéfice des peuples guinéen et sénégalais.
Soyez assuré, vous pouvez entretenir les liens que vous voudrez avec votre fils Dadis. N’ayez crainte. Il suffirait tout simplement que ce soient des relations de père à fils et au sens biologique qui ne mettraient pas en danger l’unité et la paix sociale de notre pays.
M. le Président,
En Afrique, il est de coutume que l’on dise : «Une barbe doit savoir si elle mérite d’être massée ou tirée.» Votre âge force le respect. Mais, vous êtes le seul à savoir le regard que les jeunes générations doivent porter sur vous. En ce qui concerne la Guinée, il serait temps que vous sachiez qu’on ne vous porte plus à cœur.
Si par habitude, vous devriez revenir à Conakry, nul ne saurait trop vous alerter sur la réception qui risque de vous être réservée. Ce ne sera plus les bandes des Comités de soutien de Dadis rebaptisés «Comités de sous- tient de Dadis» qui vous accueilleront. Cette fois-ci, ce sera bien le peuple dans sa dimension nationale et républicaine.
Sachez surtout que ce peuple qui a dit non en 1958 est prêt à vous dire : «Arrêtez vos démarches douteuses et vos conseils empoisonnés à votre fils. Emportez-le au Sénégal. On vous le rend. Dommage qu’on n’ait pas su à temps sa filiation.»
Votre attachement à la Guinée est considéré comme une vengeance posthume contre Lansana Conté qui ne vous a jamais porté dans son cœur ni politiquement ni humainement. Il est également perçu comme la défense de vos intérêts personnels au détriment du bien-être du peuple de Guinée. Votre fils, je veux dire le vrai, et vous-même ayant des intérêts dans l’exploitation minière et infrastructurelle de notre pays, vous estimez que le Capitaine Dadis, novice en politique, serait plus manipulable qu’un autre. Convaincu qu’un Président démocratiquement élu ne se prêterait pas à vos manœuvres, vous voudriez, pense-t-on à juste titre, encourager les militaires à se maintenir au Pouvoir.
Quelle considération pour notre peuple ? Un peuple frère et ami dont les fils ont sollicité et obtenu dans des moments douloureux de leur passé historique l’hospitalité de votre pays. Cette hospitalité dont a fait montre le Sénégal du temps de vos prédécesseurs lui avait valu d’être rebaptisé sènè-gaadhè. C’est- à dire, venez là (chez nous) en peulh.
M. le Président,
Rien ne vaut l’estime d’un peuple. Que celui-ci soit le vôtre ou un peuple tiers importe très peu. Il est temps que vous revoyiez votre position sur la Guinée car votre attitude est tout aussi gênante qu’inadmissible.
Gênante, parce que nul ne souhaiterait affronter un ancien ; un homme de votre âge. Inadmissible, parce qu’à votre âge tout est mûrement pensé ; consciemment voulu et délibérément exécuté. Autant dire, monsieur le Président, vous savez pertinemment que votre prise de position en faveur de la junte est nuisible au peuple de Guinée. Qu’elle est contraire à la démocratie et qu’elle ternit les relations entre nos deux Nations.
Votre attitude déçoit d’autant plus les Guinéens qu’ils se souviennent de votre prise de position sur la Côte-d’Ivoire alors que vous étiez Président en exercice de l’Union africaine. Ils se souviennent également de votre mise en garde à propos de la Guinée-Bissau quand vous déclariez au Festival mondial des arts nègres : «La Guinée-Bissau s’achemine vers la guerre ethnique si on ne réconcilie pas les différentes factions.»
Pourquoi vous inquiétez-vous tant pour un pays voisin du nôtre et opter pour une solution contraire en ce qui nous concerne ? Pourquoi deux poids deux mesures dans des situations identiques ? Pourquoi soutenir un putschiste face aux candidats du peuple alors que vous-même étiez, des années durant, dans l’opposition ? Comment voudriez-vous que notre peuple perçoive vos conseils qui, en toute vraisemblance, ne s’adressent qu’à Dadis ?
Enfin, M. le Président,
Une certaine phobie du «Sénégalais» semble se dessiner de plus en plus en Guinée. Vous serez le seul responsable si cette situation s’envenimait. Vous auriez entraîné votre fils Dadis dans un autre bourbier duquel vous aurez tous les deux du mal à vous en sortir.
En tout état de cause, sachez que des militaires au pouvoir, le peuple de Guinée n’en veut plus. En témoigne l’attachement qu’il accorde aux Forces vives et aux leaders politiques de quelque bord qu’ils soient.
En font foi également les différentes manifestations anti-Cndd à l’intérieur et à l’extérieur de la Guinée. Ainsi, la capitale française en organise-t-elle une le 26 septembre 2009 alors que les Guinéens des Etats-Unis font la leur le 28... La même volonté de changement a déjà conduit aux manifestations de juin 2009 à Bruxelles ; juillet à Paris et New-York. Mais aussi, à de multiples rencontres d’avec des organisations européennes, américaines et autres.
Enfin, la théâtralisation du Pouvoir que vous cautionnez par la remise de faux prix au chef de la junte vous discrédite à plus d’un titre aux yeux de l’opinion nationale guinéenne et de la communauté internationale. Vos promesses, comme celles du 12 septembre 2009, de transmettre à vos pairs les images vidéo des Mamayas organisées par les «Comités de Sous-tient de Dadis et du Cndd» n’affectent pas moins l’image du Sénégal dans la sous-région ouest-africaine et dans le monde.
Si toutefois on pouvait donner, non pas un conseil à un octogénaire, mais un simple avis, je dirais, Monsieur le Président, il n’est pas encore trop tard. Vous pouvez encore redorer votre image en affirmant de manière responsable que vous êtes désormais du côté des Forces vives qui sont et restent la seule incarnation du peuple de Guinée. Ainsi, auriez-vous sauvé les relations séculaires d’entente et d’amitié entre le Sénégal et la Guinée ?
En tout état de cause, sachez tout simplement que la Guinée ne retombera plus dans aucune dictature militaire ou civile. Elle ne sera la néo-colonie d’aucune puissance, à plus forte raison d’un Etat tiers-mondiste. Aucun comportement paternaliste, non plus, ne saurait la détourner de son histoire.
Le peuple de Guinée est plus que jamais déterminé à exercer pleinement son droit inaliénable de désigner ses représentants. Et dans cette voie, aucun père, aucun fils, ni aucun pouvoir militaire ne l’en dissuadera !
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués.
Lamarana Petty DIALLO - rofesseur de lettres - Histoire journaliste, analyste et hroniqueur de la presse en ligne - Lamaranapetty@yahoo.fr