Les peuples otages des modèles
Les peuples otages des modèles
Les systèmes scientifiques procèdent, dans leur processus d’appropriation, de maîtrise et de transformation de la réalité par des modélisations. Les modèles issus de ces procédés intellectuels affichent des taux de réalité ou d’applicabilité qui caractérisent leur pertinence et leur efficacité. La relation du modèle à la réalité renvoie aux performances interprétatives ou productives du réel. Ainsi est régentée notre vie économique et politique par respectivement un modèle macroéconomique et un modèle politico-démocratique. Ces deux modèles montrent aujourd’hui leurs limites du point de vue de leurs impacts positifs sur les conditions de vie des peuples et, partant, se révèlent comme vieux, dépassés et inadaptés. Le chômage, la pauvreté, le sous-développement, les crises économiques, les crises politiques sont autant de phénomènes qui nous rappellent les insuffisances de plus en plus évidentes de ces images intellectuelles que nous avons de la réalité. Le modèle politico-démocratique basé sur un système électoral et dominé par le jeu des partis politiques pourrait constituer, dans le contexte africain où le processus de « citoyennisation » est à ses débuts, de sérieuses entraves pour la marche vers le développement. Comment la carte d’un docteur en économie et celle de sa mère sénile, de surcroît analphabète, peuvent-elle avoir la même valeur démocratique élective ? Quelle valeur démocratique élective recouvre la carte achetée à un électeur en proie aux affres de la pauvreté ? Quelle valeur démocratique élective accorder à un vote dicté par une voix religieuse ou ethnique ou affective silencieuse ? Quelle valeur démocratique ou patriotique revêtent les déclarations ou les critiques d’un député qui n’est que la caisse de résonance des intérêts de son parti ? Quelle valeur démocratique expriment les propos d’un politicien de l’opposition ou du pouvoir qui ne rêve que de conquérir ou de conserver le pouvoir ? Le président Senghor, qui disait que « l’émotion est nègre, la raison est hellène », et le président Chirac qui ajoutait que « la démocratie est un luxe pour l’Afrique » nous avertissaient déjà des effets désagréables que l’engagement précipité dans un processus démocratique non maîtrisé pourrait provoquer. Ils n’ont pas tout à fait tort à la lumière des guerres civiles et des conflits politiques intervenus dans le management démocratique des sociétés africaines. Doit-on parler de démocratie ou de populisme démocratique ? La démocratie suppose des êtres rationnels, libres et responsables, mais non des êtres émotionnels subjugués par des contingences subjectives de tous ordres. Seule l’émergence d’un citoyen trempé dans une rationalité désintéressée pourrait garantir une expression démocratique crédible. Le modèle macroéconomique fondé sur des équilibres budgétaires et un système bancaire n’a pas plus de succès. Dans les pays africains où les priorités se confondent à cause de la multitude des urgences, se soucier d’équilibres budgétaires signifie simplement ignorer les préoccupations des masses soumises au harcèlement de la pauvreté. Le système bancaire dont les modalités de contrôle et de gestion caractérisent la défaite de l’Etat face au capital ruine absolument nos économies et nos vies. Les salaires et les entreprises sont liés à des prêts ou crédits qui diminuent nos pouvoirs d’achat et engendrent l’inflation à travers des taux d’intérêts prohibitifs qui n’entretiennent que des individus qui se plaisent dans un parasitisme insouciant et sans vergogne. Un prêt immobilier de 60 millions de francs Cfa consenti avec un intérêt de 10% sera remboursé à 120 millions de francs Cfa en 10 ans. Le double de la valeur de la maison construite avec le prêt. Voilà ce qui a rendu compliqué le débat sur la réduction du montant des loyers au Sénégal. Le marché de l’argent qui est aujourd’hui le marché le plus florissant appelle de plus en plus des acteurs financiers de tout acabit qui nous enferment dans des cycles d’endettement inévitable pour assouvir leur cupidité sans limite. L’argent coûte trop cher ! Les Etats, les entreprises et les ménages sont tous endettés et ne sortiront jamais de cet engrenage. L’Etat qui possédait le droit régalien de battre la monnaie est victime de la puissance des lobbies financiers qui l’ont exproprié de ce droit pourtant si démocratique et si utile à tout le peuple, les financiers y compris. Ces deux vieux modèles ont pris les peuples en otage. Nos sentiments, nos amours, nos libertés, nos pensées, nos actions et comportements, bref nos vies obéissent aux lois de cet ordre politico-économique dominé par ces deux modèles que nous traînons comme des carcans. Nous développons une dépendance intellectuelle par rapport à ces modèles tel qu’un infirme souffrant d’une incapacité qui nous ôte toute aptitude et toute volonté de les dépasser. Le 21e siècle est un siècle de ruptures qui délimitent de nouvelles frontières mentales, politiques et économiques, entre autres. La finance islamique qui exclut l’usure financière liée aux intérêts bancaires indique un nouveau dynamisme financier et économique remettant en cause les habitudes intellectuelles du mode de pensée économique. Un revenu de base octroyé à tous les citoyens qui est une nouvelle approche stratégique du développement, de la lutte contre la pauvreté, de la bonne gouvernance et surtout de la protection sociale constitue un levier important de la croissance économique et un outil pour la modernisation sociale, politique et culturelle de la société. Ces deux concepts dynamiques répondent aux exigences des mutations socioéconomiques profondes liées aux processus de la globalisation à l’oeuvre sous nos yeux. Ils représentent des défis intellectuels qui, à terme, renouvellent les modes de pensées économiques et politiques classiques qui ont déjà fait leur temps.
Dr. Abdoulaye TAYE Président national de Tgl
Enseignant à l’Université de Bambey
Tél : 77 413 14 49