l’expropriation des terres, l’échec des polit
CREDT A…Oussouby Touré, sociologue, spécialiste du développement rural.
Le sociologue Oussouby Touré, spécialiste du développement rural, totalise plus d’une vingtaine d’années d’expérience professionnelle. Il fut tour à tour chercheur à l’Isra, puis au Centre de suivi écologique, avant d’atterrir au Conseil supérieur de l’environnement comme directeur. Depuis 1998, il est consultant international. Dans cet entretien, il se prononce sur la boulimie foncière, l’expropriation des terres, l’échec des politiques agricoles.
«Il faut une réforme foncière, pour en finir avec la corruption»
A la faveur de la double crise financière et alimentaire, on note une ruée des étrangers vers les terres africaines, quelles réflexions cela vous inspire-t-il ?
Les évolutions en cours sont particulièrement inquiétantes pour la bonne et simple raison que des capitaux spéculatifs sont de plus en plus investis dans le foncier. Or, les terres africaines sont les plus riches et les plus fertiles du monde. A titre d’illustration, il y aura environ 10 millions de paysans chinois qui seront installés dans les terres africaines, plus particulièrement en Afrique australe. En Afrique de l’ouest, on assiste aussi à des transferts à grande échelle de droit foncier en faveur d’investisseurs étrangers, qui portent sur des centaines de milliers d’hectares. Pis, ils se font au détriment des populations locales, dans des zones hyper fertiles. A titre d’exemple, on peut citer la vallée du fleuve au Sénégal, l’office du Niger au Mali. Donc à quoi assiste-t-on ? A l’expropriation des paysans locaux qui deviennent des étrangers dans leurs propres terres au profit d’investisseurs, sous le prétexte fallacieux de développer la culture des agro-carburants. Evidemment, tout cela est porteur de conflits dangereux. Ce qui est ici remis en cause, c’est la stabilité des sociétés africaines notamment rurales. Que vont devenir ces centaines de milliers d’Africains privés de leurs terres ? Le hic dans tout cela, est que les pouvoirs publics n’ont pas pris la mesure de la chose et ne s’inquiètent pas outre mesure. Ils créent par la même occasion, les conditions d’explosion sociale à très court terme. Le Sénégal non plus n’est pas à l’abri, car il y a des transferts à grande échelle. Les débats de ces derniers jours (Mbane, Ndlr) prouvent à quel point ces transferts sont scandaleux.
Le pouvoir a affirmé que les personnalités à qui on a affecté ces terres sont issues du terroir et mieux, ont les moyens de les exploiter
C’est de l’aberration. Ce sont des raisons qui ne tiennent pas la route. On a attribué des terres à une clientèle politique. Ces gens-là n’ont aucun projet porteur de développement agricole. Ces gens à qui on a attribué des terres dans la zone de Mbane ont fait main basse sur ces terres dans le seul but de faire plaisir au président de la République, qui invitait les fonctionnaires, les urbains à retourner à la terre dans son fameux projet Retour vers l’agriculture (plan Reva). Je vous dis qu’ils sont incapables de mettre en valeur ces terres.
Que faire donc pour que les populations rurales, qui ne disposent que d’un droit d’usage, cessent d’être des étrangers dans leurs propres terres ?
Cette question a été tranchée. Le Cncr (Conseil de concertation et de coopération des ruraux, Ndlr), puisque c’est de lui qu’il s’agit, a pris le temps d’organiser des concertations sur l’ensemble du territoire national, qui ont abouti à la formulation de propositions concrètes de réforme foncière élaborée par les paysans. Ces propositions sont mises sur la table des pouvoirs publics. En des termes clairs, nets, qui ne souffrent d’aucune ambigüité, le Cncr a dit que la loi sur le domine national était source d’insécurité foncière. Le Cncr a proposé que le droit d’usage, reconnu dans le cadre de la loi en vigueur, soit transformé en droit réel pour le paysan.
Quelle a été la réaction des pouvoirs publics ?
Cette proposition n’a pas été prise en considération. Et vous savez pourquoi ? Je vous cite un exemple : la loi d’orientation agro-sylvopastorale. La première version s’appelait loi d’orientation agricole, et elle comportait un chapitre sur le foncier, dont les dispositions sont absolument scandaleuses. D’ailleurs, la protestation a été telle qu’on a retiré ce chapitre. Ce chapitre disait très clairement que les pouvoirs publics, plus particulièrement la présidence de la République avaient prérogatives d’attribution des terres sur l’ensemble du territoire, y compris dans les zones de terroir. Ce n’est pas acceptable. Ils ont reculé, mais c’était pour mieux sauter. A la place, ils ont mis une commission à la Présidence, présidée par Serigne Diop, qui a élaboré un document dont les propositions vont exactement dans le même sens. Pour l’heure, ce document est secret, mais il faudra bien un jour le sortir. En ce moment, il y aura un débat et les gens ne se laisseront pas faire. Parce que les propositions contenues dans ce document prennent le contrepied de ce qu’a dit le Cncr.
Donc on va vers de chaudes empoignades ?
Ecoutez ! Cette question foncière est délicate. La loi sur le domaine national date de 1964. Cette loi ne donne satisfaction à personne. A l’époque, sous le règne des socialistes, on avait mis en place une commission qui était chargée de travailler sur les réformes foncières. La commission avait élaboré en son temps ce qu’on appelait à l’époque, un plan d’action foncière, avec différents scenarii. On était en 1998. La commission avait proposé au président Diouf trois scenarii pour aller vers une réforme foncière. Mais le Président Diouf avait compris qu’on était à la veille d’une échéance électorale importante. Le patronat était pour la privatisation des terres, les élus ont opté pour le renforcement des prérogatives des élus locaux, les paysans se sont aussi prononcés pour la légitimation du droit traditionnel. Tout cela pour vous dire qu’on est dans une situation où on veut faire une réforme à la sauvette. J’ai rappelé à des députés et à des sénateurs que Marc Ravalomana a été chassé du pouvoir pour avoir pris la décision d’affecter un million d’ha de terres agricoles à des investisseurs Sud Coréens. Sa chute vient de là, indépendamment de toutes les autres formes de considération. Aujourd’hui, les organisations paysannes sont en train de faire le recensement de toutes les affectations et transactions foncières faites de façon occulte et hypocrite. On n’a pas de chiffres exacts, mais on pense que ce sont des centaines de milliers d’hectares frauduleusement transférés à des prétendus investisseurs étrangers. C’est de cette façon qu’on veut moderniser l’agriculture. De qui se moque-t-on ?
Parlant de la modernisation de l’agriculture, que faire pour la rendre compétitive ?
On a 60 à 80% de paysans dans ce pays qui sont dans de petites exploitations familiales, déterminés à moderniser leurs exploitations. Ils ont indiqué aussi la manière dont cela est possible. Il y a un certain nombre de mesures d’accompagnement pour y arriver, afin de faciliter le financement de l’agriculture, avec l’appui des pouvoirs publics et la mobilisation des capitaux. Les paysans ont demandé que soit améliorée la sécurité foncière, qui certainement va demander de mobiliser les capitaux privés. Dans le même temps, l’Etat doit mettre en place un certain nombre de conditions pour faciliter l’accès aux facteurs de productions, l’outillage agricole, les semences de qualité. A quoi a-t-on assisté ces dernières années ? A la liquidation du capital semencier arachidier du Sénégal, un scandale. Un patrimoine dilapidé. Probablement parce que les gens avaient des difficultés avec la filière agricole qu’ils n’arrivaient pas à maîtriser. Ils ont décidé sciemment de liquider cette filière en détruisant le capital semencier qu’ils n’ont pas réussi à reconstituer.
Pourtant, le régime dit qu’il a fait mieux que le Ps.
Je ne me situe pas dans une logique de comparaison. Je dirai simplement qu’il faut prendre en compte les propositions faites par les principaux acteurs. Pas les sous-préfets, les ministres, mais les paysans sénégalais, qui ont un cadre organisationnel, qui ont formulé des propositions. Si on veut développer l’agriculture, il faut aller à des discussions sérieuses et élaborer une politique. Aujourd’hui, nous n’avons pas de politique de développement agricole. On assiste plutôt à une succession d’initiatives improvisées. Depuis 2000, nous avons eu N initiatives. Le programme riz, maïs, manioc et même bissap. On ne développe pas une agriculture en faisant de la politique-spectacle et en prenant des initiatives non concertées. On doit définir une politique structurée, cohérente, prouvée, acceptée et appropriée par les principaux acteurs. Ce n’est que de cette façon qu’on définit une politique agricole. Je ne fais que constater des faits, je n’invente rien du tout.
Revenons à la boulimie foncière. D’aucuns estiment que les élus locaux agissent en parfaite intelligence avec les fonctionnaires de l’administration. Qu’en est-il exactement ? Se pose-t-il un problème de gouvernance locale ?
Il y a absolument nécessité d’améliorer la gouvernance locale. Mais l’amélioration de cette gouvernance locale passe par une réforme foncière. N’oublions pas que la loi sur domaine national interdit toute transaction foncière sur les terres. On n’est pas autorisé à vendre les terres. Non seulement les gens vendent en sous-main, mais les transactions ne se font pas de façon très claire. On n’a pas un marché foncier établi, avec des règles de fonctionnement. Ce qu’on a, ce sont des transactions occultes. Vous achetez en sous-main et vous légalisez. Ce qui explique toutes les dérives auxquelles nous assistons aujourd’hui. Des conseils ruraux qui vendent des terres. Pour mettre un terme à la corruption qui gangrène aujourd’hui le fonctionnement de nos institutions, il faut aller vers cette réforme foncière qui va clairement établir les règles et instances de gestion foncière.
Propos recueillis par Oumar Seydou BA
"le quotidien"