Mr Ibrahima SIGNATE
Le bon choix
Le miracle à la Sénégalaise n’aura donc pas eu lieu. Les élections législatives du 3 Juin se réduiront à un cavalier seul du Pds et de ses alliés. Faute d’une concertation préalable entre le Président Wade et ses opposants les plus représentatifs et les plus déterminés. On peut parler d’une occasion manquée. Dans ces conditions, sans péril et donc sans gloire, sera le triomphe annoncé du Parti au pouvoir. Car, avec tout le respect que je leur dois, je crains que les partis qui ont accepté d’affronter le Pds ne soient réduits au rôle peu gratifiant de simple faire-valoir, vu le rapport des forces. Plus grave : ils participent, en toute connaissance de cause, à un marché de dupes. C’est consternant.
Quant aux partis ayant opté pour le boycott, ils sont restés cohérents et conséquents avec eux-mêmes en faisant le bon choix. Après avoir dénoncé avec véhémence et force arguments les graves distorsions, y compris des fraudes électroniques planifiées, dans tout le processus du scrutin présidentiel, ils ne pouvaient aller se mettre, la fleur au fusil, dans la gueule du loup. Sauf à vouloir être, de nouveau, l’agneau du sacrifice. Une remise à plat de tout le système, pour garantir des élections aux résultats incontestables, était leur revendication. On aurait pu penser que la demande n’avait rien d’exorbitant. Et, qu’en conséquence, le pouvoir n’avait rien à perdre en acceptant cette proposition.
Au contraire, s’offrait l’occasion rêvée de confondre ses détracteurs en remportant dans les règles, le cas échéant, les législatives, après avoir procédé publiquement aux aménagements de fond dont l’opposition a fait son cheval de bataille. Démontrant ainsi, que la victoire au premier tour du candidat Wade n’était pas usurpée. Force est de constater, que le pouvoir a catégoriquement refusé de courir le moindre risque dans ce domaine. Ce qui redonne crédit à tous les soupçons et relance les spéculations sur le mystère des fameuses «boites noires» du ministère de l’Intérieur… A ce propos, certains «prophètes» du Sopi tablent déjà, pour les législative, sur une participation de 70% au moins. Serait-ce là le nouveau chiffre cabalistique magique que l’on s’apprête à nous servir le moment venu ?
En attendant, la démocratie sénégalaise est au plus mal avec ce boycott. Pour le coup, son image est sérieusement abimée. Elle ne fait plus rêver. Elle aura du mal à s’en relever, si les choses demeurent en l’état. Le pire n’est même pas à exclure si les tensions actuelles persistent. La démocratie, s’exerçant dans toute sa plénitude, est préférable au pouvoir à tout prix. Mais, allez donc faire comprendre cela à des personnes pour qui la fin justifiera toujours les moyens, et déterminées à épuiser les délices du pouvoir !
Déjà, pour le moins, mal élu aux yeux de son opposition, le Président Wade aggrave en quelque sorte son cas, en se taillant une chambre de députés bleue introuvable, à peu de frais. Pour faire bonne mesure, il instaure un Sénat dont il nommera 65 membres sur 100. On sait, par ailleurs, que la Justice apparait aujourd’hui comme une parfaite courroie de transmission du pouvoir exécutif. Ce qui est un comble. Tout cela fait beaucoup. Pendant ce temps, il existe toujours un gouffre abyssal entre les grands projets toujours plus mirifiques et plus couteux et les conditions de vie dégradées du commun des Sénégalais. La flambée des prix tous azimuts est une dure réalité, qui met à mal un pouvoir d’achat déjà largement rogné. L’électricité continue à faire régulièrement défaut, sans que ne se dessine une esquisse de solution dans un délai prévisible. Qu’à cela ne tienne. C’est par milliers de milliards de francs Cfa que s’égrène la liste des grands travaux : de la nouvelle Capitale (qui a même son ministre en titre) au nouvel aéroport etc. Sans parler de l’argent qui continue de couler à flots dans les sphères du pouvoir, comme si les deniers de l’Etat étaient inépuisables. Un tel comportement est schizophrénique.
Face à une situation aussi chargée, un simple boycott des élections n’aurait pas été à la hauteur des enjeux. L’opposition l’accompagne donc, de toute une série d’actions qui doivent donner un sens politique fort à l’abstention. A savoir : un travail d’explication et de mobilisation mené comme s’il s’agissait d’une véritable campagne électorale ; la sensibilisation des chefs religieux de toutes confessions, des partenaires au développement, aux dangers provoqués par le blocage politique actuel qui hypothèque l’avenir du pays. C’est de bonne guerre. Après tout, l’actuel Président était passé maître dans l’art de l’agitation post-électorale, allant même jusqu’à la violence. Il s’y connait et ne devrait donc pas s’offusquer de la stratégie de l’opposition, qui vise en dernière instance à imposer le débat démocratique, à freiner les dérives quasi-monarchiques. Il s’agit d’un combat politique sans répit qui fait le procès d’une gouvernance approximative. Certes, les «militants du ventre» ne tiendront pas la distance et auront tôt fait d’aller voir ailleurs. Mais, la vie des partis politiques est jalonnée de ces reniements alimentaires. C’est dans la nature des choses. Le Pds n’en a pas été épargné au cours de sa traversée mouvementée. Cela ne l’a pas empêché de conquérir le pouvoir en 2000 dans des circonstances bien connues.
Clairement : l’absence d’un dialogue politique sérieux ouvre le temps du soupçon, des incertitudes et, finalement de l’instabilité. Il serait salutaire qu’on finisse par s’en aviser en haut lieu. Car, le réveil pourrait être brutal.
IBRAHIMA SIGNATE - Journaliste -