Lettre ouverte aux guides religieux
Lettre ouverte aux guides religieux
Vénérés, dans tout ce qui se passe actuellement au Sénégal, il y a l’Etat comme principal responsable avec des groupes qui sont dans le pur vandalisme et dans la violence sauvage. Qu’elle soit physique, verbale ou symbolique. Ces messieurs pensent pouvoir tutoyer et insulter ces ‘moins que rien’ que sont les autres et cette posture, malheureusement, est celle du président Abdoulaye Wade. Sinon comment comprendre que, de manière totalement hors de propos, il s’en prenne ainsi à l’Eglise en la traitant d’ingrate ? Wade voudrait que l’Eglise (et, par-delà, toutes les chapelles religieuses) corrompe sa conscience ; il voudrait qu’elle organise une rencontre internationale pour chanter ses louages et exprimer sa reconnaissance pour ‘services rendus’ avec… l’argent du contribuable. D’un point de vue moral et éthique, nous sommes, et je suis persuadé que vous le savez, en face d’un président qui inspire davantage l’inquiétude et la crainte légitimes des lendemains pour notre pays.
Vénérés, vous n’ignorez pas que lorsqu’on est totalement incapable d’élaborer une politique cohérente pour sortir le Sénégal de la misère dans laquelle il se trouve, la stratégie consiste à faire dans l’émotionnel et le divertissement, et à déplacer les questions essentielles vers des débats totalement périphériques. Pourtant, on attend toujours de nos ‘leaders’ politiques qu’ils clarifient leurs positions sur les questions sociales, éducationnelles et économiques ; sur la problématique de la corruption qui prend sa source au sommet de l’Etat.
La plupart de nos autorités actuelles, c’est mon point de vue, ont atteint leurs limites avant même de s’être engagées. A quelques encablures de la prochaine élection présidentielle, certaines découvrent, personnellement, qu’elles ont perdu pied, y compris dans les banlieues qui ont constitué jusqu’à récemment un terreau de sympathie pour elles. La fracture est désormais profonde ; ces gens vivent mal leur déconnexion avec le peuple et n’ont plus que la violence, l’arrogance et la manipulation comme alternatives. L’autorité suprême est elle-même devenue épidermique ; elle jette la suspicion sur tout le monde et développe une vision aseptisée et dangereuse pour notre société. En traitant l’Eglise par des propos aussi discourtois à l’occasion de l’inauguration, le samedi 5 décembre, de la grande mosquée mouride de Dakar et devant le khalife général Serigne Bara, on établit un parallélisme inopportun et une symbolique absolument contre-productive à laquelle aucune personne sensée, à commencer par vous, ne s’associe.
Le Sénégal, faut-il le rappeler, est un pays de valeurs et de réalités dont la moindre n’est pas l’osmose confessionnelle qui nous vaut d’être brandi en exemple dès lors que l’on parle de cohabitation des religions. Cela, vous le savez mieux que quiconque, parce que vous avez semé les graines de la concorde. Et c’est là, le principal. Je me permets simplement d’ajouter que le devoir de citoyens nous impose, à tous, de barrer la route à tous ces catastrophistes qui jettent partout l’anathème et qui prônent la division. Ils sont les créateurs, pour demain, des tranchées de guerre civile. Ces personnes n’aiment pas le Sénégal, elles trahissent ses valeurs et sont opposées à l’histoire de notre pays.
L’Eglise se sent encore une fois de plus agressée au nom de sa visibilité par rapport à ses prises de responsabilité. Ma conviction est que vous comprenez la peur qui anime ceux qui voudraient qu’elle se taise. Ensemble, nous devons répondre en étant davantage actifs/réactifs et présents dans les débats et les prises de position critiques. C’est-à-dire travailler à l’émergence d’un nouveau ‘nous’ sénégalais. Autrement, nous courons le risque de ne plus nous appartenir en tant que tels.
Vénérés guides, n’est-ce pas vous-mêmes qui enseignez que nos religions respectives nous font l’injonction de résister et de combattre les pouvoirs arbitraires, la dictature et de construire l'autonomie de notre esprit ?
Alors, juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes, la justice exige de nous que nous soyons autant de voix qui ne craignent pas de dénoncer les dictatures, les hypocrisies et les dérives de toutes sortes. Cela dit, aucun intérêt économique ne peut justifier le silence. A moins que les paradigmes qui nous guident, soient la peur ou le désir de confort.
Dieu, dites-vous, aime les pieux qui prient comme les justes qui résistent. Alors, toutes les consciences devraient s’unir en amies de ce combat pour sauver notre pays en l’arrachant aux mains des vampires… Pensées respectueuses.
Félix NZALE Journaliste Coordonnateur du magazine Dakar Life