l’Origine du totalitarisme
Nous souhaitons que devant les multiples atteintes graves portées à la liberté d’information que nos propos commencent par un ton, celui de la gravité et un mot d’ordre : l’action.
Les images inqualifiables de locaux de presse saccagés : l’As, 24h Chrono et dernièrement Walfajdri heurtent profondément le Sénégal dans son histoire, la société sénégalaise dans ses valeurs et la démocratie sénégalaise, pourtant considérée depuis longtemps comme un modèle et une exception en Afrique. Allons-nous encore accepter «cette banalité du mal» que dénonçait Annah Arendt dans l’Origine du totalitarisme ?
En tout état de cause, la force ne peut primer sur le droit d’informer, de penser et d’agir. La violence, quelle soit physique, comportementale ou verbale ne saurait devenir l’horizon politique du Sénégal. Nous avons l’obligation morale et citoyenne de dire à haute et intelligible voix à tous ceux qui tuent la loi, la foi ; qui tuent la rumeur, la lueur ; qui tuent le sourire, le rire ; parce qu’ils sèment un monde de haine, cultivent un champ de mines et espèrent récolter les fruits de l’atome, que le Sénégal, ce pays que nous chérissons tant est un projet et une idée qui s’incarnent dans la volonté de vivre ensemble.
Cela requiert un fonds commun : l’attachement aux valeurs de liberté, de démocratie et aux principes des droits de l’Homme. Ce socle républicain et humaniste défendu par notre peuple depuis la Révolution française de 1789 à travers les Cahiers de doléances ne peut disparaître devant n’importe quel pouvoir. Quelle que soit notre place ou notre rôle, notre influence ou notre autorité, si on se tait, les liberticides dresseront au nez de la République, du peuple, de l’Afrique et du monde entier, leur drapeau d’exclusion, leur hymne de haine et leur devise de fer. Il est temps de nous interroger sur nos attitudes molles face à leurs turpitudes folles. Sur notre républicanisme tiède face à une dictature de la tolérance.
Demain, nous ne voudrons pas devant l’Histoire, être contraints à se remémorer ces propos du jeune député Jaurès défendant le peuple arménien : «Pas un mot n’est sorti de vos bouches, pas une parole n’est sortie de vos consciences.»
Résister contre l’arbitraire, le mépris, la violence, défendre les principes démocratiques et les valeurs humanistes pour que la République soit toujours debout, tel est le combat que nous devons porter ensemble avec conviction et détermination dans tout le Sénégal. La République, cette chose publique qui nous procède, nous dépasse et nous survit et qui devrait avant tout être faite d’autorité et de générosité se délite. Elle ne contient ni l’un ni l’autre. La raison est connue : l’impunité est devenue la règle et la sanction, l’exception.
Il faut que les laisser faire, les laisser passer, les sénégaléjades, les comportements politico-ludiques, les intimidations, les menaces, les détricotages constitutionnels, les tripatouillages électoraux, la politique de la carotte et du bâton, la technique du loup garou, la philosophie de l’impunité, toutes ces méthodes et pratiques qui encouragent la dictature de la tolérance et que nous ne cessons de subir trouvent maintenant sur le terrain : des forces politiques et citoyennes plus déterminées et plus combatives que jamais.
Nous savons désormais que nous luttons pour notre liberté et dans un pays qui n’est pas libre, et l’information n’est pas libre, il n’y a pas de droit, ni morale, ni valeur. Il appartient donc à tous les hommes et à toutes les femmes de ce pays de ne pas céder au chantage et à la peur pour ne pas trahir le destin du Sénégal. L’intérêt et le prestige de notre Nation valent plus que les petits calculs, les postures fébriles et le fatalisme à tout bout de champ.
Le plus grand malheur qui pourrait arriver à notre pays, à notre République et à sa démocratie du fait des politiques, des intellectuels, de la société civile, serait que par intérêt ou par dégoût, par une sorte de remords et de pusillanimité aussi d’avoir mal usé de sa liberté, le Sénégal se laisse doucement enfermer dans un insensé silence.
Mamadou DIALLO - Avocat au Barreau de Paris - Docteur en droit