Pourquoi la piste militaire ne peut triompher
Casamance : Pourquoi la piste militaire ne peut triompher
La piste militaire en Casamance ne peut nullement triompher de la crise dans cette partie méridionale du Sénégal, preuve de sa durée (près de trente ans déjà). La seule possible reste la solution négociée. Pour avoir été témoin de l’évolution de la guerre de libération nationale en Guinée-Bissau, dans les zones libérées par le Paigc (Parti africain de l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert), depuis 1967 et jusqu’à l’indépendance complète du pays en 1974, en passant par la proclamation de l’Etat de Guinée-Bissau, le 24 septembre 1973, je reste convaincu qu’en aucune manière, avec tous les contingents militaires possibles, avec tout l’armement possible, prétendre mettre à genoux les combattants du Mfdc (Mouvement des forces démocratiques de Casamance) relève de l’utopie.
Même si comparaison n’est pas raison, l’expérience française en Indochine, devenue américaine au Vietnam et celle de Paris en Algérie, entre autres, sont des exemples patents d’une impossibilité de victoire militaire durable en pareilles circonstances. Il en était de même pour la Guinée-Bissau.
L’exemple bissau-guinéen
Dès mon premier séjour dans le Front Nord du maquis de Paigc - contigu à la région casamançaise - (en compagnie de feu mon confrère Mame Less Dia), j’ai compris que l’armée portugaise, malgré l’appui de la logistique de l’Otan (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) - cela veut dire de tout l’Occident - ne pouvait arriver à la hauteur des Fal (Forces armées de libération), le bras armé du Paigc. En effet, la stratégie de ces Fal consistait en l’occupation des zones rurales et, ainsi, à exclure toute l’emprise de l’occupation portugaise en ces lieux, en particulier la levée d’impôts.
Assurant leur alimentation entière sur le terrain, ces combattants effectuaient, de temps en temps, des actions de harcèlement contre les centres urbains, sous contrôle des troupes portugaises ou des camps militaires retranchés disséminés à travers le territoire et en dehors desquels, les occupants - cloîtrés dans ces forteresses - avaient du mal à s’aventurer au risque de pertes humaines considérables. Les combattants bissau-guinéens bénéficiaient, entre autres, de l’appui logistique de leurs bases arrière, comme le territoire de la Guinée Conakry - dont les autorités leur apportaient un soutien total - et, dans une moindre mesure, de celui du Sénégal, dont l’appui gouvernemental restait plutôt mesuré.
Mais, dans tous les cas, ces combattants se confondaient avec les populations riveraines de ces deux Républiques frontalières et bénéficiaient de leur complicité ethnique, allant même jusqu’à partager des liens de sang. De même, les combattants casamançais du Mfdc (qu’il ne faut pas confondre avec les bandes armées de brigands) se mêlent aisément aux populations riveraines du sud de la Gambie, comme du nord de la Guinée-Bissau.
Aux négociations
La seule piste possible reste donc la table des négociations. Mais pour que celles-ci soient efficaces, il faut d’abord qu’elles soient réellement voulues par qui de droit. Ensuite, il faut qu’elles soient globales, c’est-à-dire qu’elles prennent en compte toutes les dimensions du conflit : ‘géopolitique, historique, culturelle, sociale, politique et économique, en y incluant le cadre sous-régional et avec toutes les parties concernées de manière directe ou indirecte’, comme le recommandent les membres de la plate-forme spécifique sur la Casamance des Assises nationales.
Le rapport final de ladite plate-forme - attendu dans les prochaines semaines - fixera les repères géographiques, historiques et géopolitiques du conflit, en fera l’état des lieux, incluant les causes, les acteurs impliqués, l’argent, la corruption, la drogue et le narcotrafic qui s’y mêlent, et l’évaluation du processus en cours (pourrissement de la situation et violence permanente notamment). De cela, il dégagera des recommandations et des pistes de réflexion pour un retour définitif et durable à la paix dans la région, mais également pour ‘la prévention de l’extension des risques de ce conflit à des régions à spécificité identique, relativement à la géographie frontalière et à ‘l’enclavement’ physique éventuel’.
Une telle démarche devra permettre la prise en charge de ce lancinant problème qui sombre dans un enlisement dangereux et de lui trouver une solution définitive, comme le répètent, sans se lasser, les différents leaders religieux (toutes confessions confondues), les organisations de la société civile, les forces vives de la Nation et les populations. Sur la base d’un tel rapport, pourrait s’organiser une grande concertation nationale et citoyenne, afin de restaurer cette paix, sans laquelle tout développement n’est qu’illusion.