toute idole est un symbole
UNE IDOLE POUR TOUS
Les pauvres pauvres, les pauvres riches et les riches pauvres
« Les difficultés ne se règlent pas qu’à couts d’argent. Jamais l’argent seul ne donne la dignité. »
Cardinal Théodore Adrien Sarr
« Pour conserver l’honneur et la dignité, l’homme doit avoir la force de supporter la petite pauvreté. »
Feu El Hadj Mbaye Paye, chef coutumier
Le pouvoir de l’argent
Selon le dictionnaire, une idole c’est une image ou une représentation d’une divinité qui est l’objet d’un culte d’adoration. Quant à l’idolâtre, c’est celui qui manifeste un amour excessif, qui voue une sorte de culte à quelqu’un ou à quelque chose
D’après ces définitions, on peut dire qu’il n’y a pas d’idole sans idolâtres ; qu’il n’ya pas d’idole en soi. Car c’est le regard de l’homme qui donne leurs couleurs aux objets. C’est sa façon de les regarder qui les façonne et les installe sur le piédestal. En effet, idole pour toi, cailloux pour moi, peut se révéler être ce bloc de granit. Parce que toute idole est un symbole. Mais le symbole en soi n’est pas faux, c’est la mentalité des adorateurs qui est fausse. Cette vérité a fait dire à un soufi, selon Frihjof Schuon, dans son livre « Comprendre l’islam », que « ce n’est pas Apollon qui est faux, mais la façon de le regarder. »
C’est pourquoi, le premier ennemi des religions monothéistes, ce n’est pas d’abord l’idole, à proprement parler, mais la « mentalité idolâtre passionnelle, mondaine et superstitieuse qui reconnait l’absoluité à du relatif ».
Ainsi peut-on dire de l’argent, qui est la représentation des pouvoirs (pouvoir d’achat, pouvoir de faire et de défaire, pouvoir de « vivre » … ?) et des libertés (liberté d’aller et de venir, liberté de jouissance, liberté d’« être » … ?) pour les hommes modernes que nous sommes, qu’il est devenu une idole. Car on lui voue un amour excessif et exclusif au dessus de tout, une sorte de culte qui en fait le détenteur par excellence et le déterminant de toutes les qualités et de toutes les valeurs et qui fait qu’on va jusqu’à lui sacrifier l’amitié, l’amour, la fraternité, la foi et même la vie. Dans une société où tout se vend, où tout s’achète et où l’argent est la mesure de tout, son manque est synonyme d’échec et de malheur tout comme sa possession est celui de réussite, de bonheur. « Sans argent, l’homme n’aura droit qu’à son impuissance. Il sera l’incapable qui ne mérite pas même la douceur d’un sourire fraternel » dira un personnage de « Yaay Kan ? ». Et Youssou Ndour a raison de chanter « Xaalis neex na… » Et n’a pas tout à fait tort ce marabout qui, en tout temps, en tout lieu, pour lui-même et pour les autres prie : « Cfa, Cfa, Cfa… ». Et s’entend le chœur des « fou de l’argent » criant leur profession de foi : « Il n’ya de force et de puissance qu’en l’argent, les États Unis d’Amérique sont les plus riches au monde. » Et l’on comprend alors le sens de « Barça ou barzakh », cri de ralliement de ces jeunes fuyant l’Afrique et ses misères ; en vérité, il signifie « S’enrichir ou mourir ». Et, amer constat, le mensonge n’est plus un mal, ni la trahison, ni le vol, ni la prostitution, ni le meurtre, pourvu que ça paye. Car, pense-t-on, l’argent est sans odeur ; et les questions « comment ? » et « où ? », en ce qui le concerne, sont sans importance. Qui le possède, possède tous les droits, même celui d’enfreindre les lois. Et je remercie ma mère de m’avoir très tôt appris la vérité suivante : « L’essentiel ce n’est pas l’argent, mais la dignité : qui a la dignité n’a rien perdu. Qui l’a perd n’a rien gagné. »
La richesse des nations
Dans un tel contexte on comprend aisément pourquoi pour déterminer la richesse des nations, les économistes ne prennent pas en compte les richesses spirituelles, morales et culturelles. Elles ne sont comptabilisées que là où elles sont de la marchandise monnayable, c'est-à-dire là où elles sont mortes, momifiées, empaquetées et étiquetées. Ainsi donc, pour les économistes, les pays pauvres sont ceux où le revenu par tête d’habitant est inferieure ou égal à un dollar.
Cependant il existe d’autres théories de la pauvreté, mais toutes mettent l’accent sur le niveau des richesses matérielles, c'est-à-dire toujours sur l’argent et le degré de satisfaction des besoins du corps, en oubliant ceux de l’esprit, la moitié supérieure de l’homme. Car la pauvreté, pense-t-on, n’est rien d’autre qu’une situation de manque en rapport avec le confort matériel.
En attendant les riches riches
Des économistes ont catégorisé les pays pauvres. Une classification assez intéressante où l’on parle, entre autre, de pays pauvres très endettés. Un farceur disait, pauvres riches en dettes. Dans ces pays, le poids de la dette est tel que l’avenir économique semble obstrué ; tout l’argent qui devrait être investi dans les équipements servira plutôt à éponger la dette. Que dis-je, on grignote dans les dépenses courantes pour rembourser les services de la dette qui, de ce fait, entre dans un cercle vicieux sans portes ni fenêtres.
On parle aussi de pays pauvres pauvres en pétrole et de pays pauvres riches en pétrole. La distinction est intelligente. En effet, contrairement aux pauvres pauvres en pétrole et aux pauvres très endettés, les pauvres riches en pétrole ont un niveau de vie matériel au dessus de la moyenne. Ils disposent d’une certaine chance de sortir assez vite de la pauvreté économique grâce aux vertus de l’or noir qui attire les devises comme par magie. Une chance qui ne fonctionne pas toujours.
Mais on ne parle pas (et c’est normal au regard du mode de calcul de la richesse des nations) des pays pauvres pauvres en valeurs et qui, de ce fait, risquent de mourir dans la pauvreté. Car, me semble-t-il, ce sont les valeurs intrinsèques des peuples qui permettent les conquêtes ; même celles-là économiques. Cette vérité s’avère plus qu’évidente si l’on considère ces pays émergents d’Asie qu’on appelle « dragons » et qui tutoient les grands de ce monde. Ils étaient « pauvres » il ya de cela à peine cinquante années, aussi pauvres, économiquement parlant, que les pays dits du tiers monde. Mais leurs richesses spirituelles, morales et culturelles leur ont permis de combler très vite le gap.
Pour sortir du gouffre, les pays dits pauvres ont besoin des infrastructures et des TIC, comme le pensent les concepteurs du NEPAD ; ce qui est vrai. Ils ont aussi besoin de l’aide internationale ; pourquoi la refuser ? Mais ils ont surtout besoin d’entente, de solidarité, d’organisation, de méthodes et de discipline. Ils ont surtout besoin de se réconcilier avec eux-mêmes et avec leur environnement en se réappropriant leur patrimoine spirituel, culturel et moral. Ils ont besoin de se débarrasser du fétichisme de l’argent et de leur mentalité idolâtre… Qui veut marcher a d’abord besoin de se tenir debout. Qui veut courir n’a qu’à marcher d’abord et ensuite accélérer progressivement la cadence.
On doit aussi parler des pays riches et pauvres en valeur où, malgré les performances économiques, les hommes sont malheureux. Car le taux de suicide y est très élevé, et la drogue, la violence, l’exclusion et le terrorisme y font des ravages. La famille y a complètement éclaté et on y trouve, à l’instar des prisons pour hors la loi, des prisons payantes pour personnes âgées, pour marginaux et pour tout petits, que l’on appelle pudiquement maisons de retraite, maisons de rééducation, crèches et garderies d’enfants.
Vivement l’ère des pays riches et riches de valeurs. Eux sauront comment allier la conservation et même l’approfondissement des valeurs permettant la conquête avec le statut de conquérant. Eux comprendront que sans justice on ne saurait parler de paix et que pour réaliser le vieux rêve d’une paix planétaire, il faut plus de justice entre les peuples et entre les hommes. Eux comprendront que la paix est un mirage tant que des êtres humains mourront de faim, de soif ou de malaria. Eux comprendront le sens véritable de la fraternité, de l’esprit de collaboration et de partage. Eux sauront que les nourritures spirituelles sont aussi importantes que les nourritures terrestres, que le juste milieu est la meilleure des postures et que l’équilibre est déjà une victoire.
En vérité le développement économique possède beaucoup de vertus, mais pas celle de rendre heureux les hommes. L’argent, la clef miraculeuse, ouvre beaucoup de portes, il est vrai, mais pas celle du bonheur. Hélas, nombreux sont les hommes qui ne comprennent pas cette vérité toute simple.
Les héritiers des oasis aux greniers trop pleins
Il ya ceux qui naissent sur un lit d’apparat et qui se prennent pour des princes. Ils sont les héritiers des oasis aux greniers trop pleins. Vivant dans un confort qu’ils n’ont pas fait, et dont ils jouissent paresseusement, la mollesse et la nonchalance finiront par les vaincre en leur rendant leurs outils et leur monde étrangers, la science aussi impénétrable que les préceptes du savant aux non initiés, la sagesse inaccessible. Leur opulence est apparente. Car ils sont pauvres et n’ont de princière que leur posture.
Parce qu’ils ne sont qu’héritiers, seulement héritiers, ils ignorent la valeur des ustensiles dont ils disposent, la fragilité du monde difficilement conquis qui les entoure et dont ils vivent. En véritables déments, ils les détruisent en en usant, réduisant ainsi au néant les conquêtes de leurs pères. Ils saccagent leur trésor, mais ils ne le savent pas. Et ils s’étonnent du vide de leur cœur et du bonheur qui les fuit.
Il faut le dire, l’humanité dégénère, les hommes se racornissent ; ils rapetissent. Les valeurs millénaires s’écroulent… Le monde n’est plus qu’un vaste champ parasité qui se meurt. Les parasites triomphent, leur sécrétion malsaine empoisonne les puits et toutes les sources. Et l’homme pour apaiser sa soif boit le sang de l’homme, le sang de son frère, son propre sang.
Les habitants de la vallée ténébreuse
Il ya des peuples qui ont vécu des expériences terribles, des expériences indescriptibles. Il ya les peuples d’Afrique qui, sous le claquement sec du fouet inique de l’Occident impérialiste, les crachats, les insultes et les carcans de leurs « frères » d’Europe, ont marché à reculons, peinant, suant, geignant, pour se retrouver nus et malades sous les pieds de leurs hauteurs loin de leurs soleils et de leurs dieux. Sous le choc de la domination et le poids de la servitude, ils se sont désorbités et sont retombés dans le sombre royaume de la genèse alors qu’ils vivaient la joie et l’enthousiasme d’une adolescence ensoleillée et prometteuse à la lisière de l’âge d’or.
Il ya les pauvres habitants de la vallée ténébreuse, le mouroir aux effluves pestilentielles. Il ya les misérables éboulis humains dont la honteuse position d’assistée enfonce de plus en plus dans la torpeur les rendant de moins en moins capables de reprendre souffle et de lever la tête, de contempler leurs étoiles et de recommencer à bâtir - par eux-mêmes -, d’organiser - par eux-mêmes -, leur vie et de se lancer à la conquête de leurs soleils. Pareils aux animaux domestiques qui attendent tout de l’homme, leur maître, et ne sauraient vivre sans leurs miettes, ils se font mendiants et quémandent l’aumône ignorant que les secours hypocrites qu’ils reçoivent ne font que les avilir, que les engloutir de plus en plus. D’esclaves de guerre et de rapt, ils sont devenus des esclaves volontaires, de pauvres et malheureux esclaves de l’argent, de ses moines, ses docteurs et ses temples.
Ceux qui naissent prisonniers
Mais les plus à plaindre sont les tout petits qu’on appelle âmes innocentes non pas seulement parce qu’ils ignorent la vérité ou qu’on la leur cache, ou qu’on les trompe en leur présentant l’erreur comme étant la vérité, mais parce que fondé par l’erreur et ne connaissant que l’erreur, ils en vivront et en mourront, s’ils ne se libèrent, bâillonnés qu’ils sont par les divagations de leur père.
Il ya les enfants qui naissent prisonniers du filet des errements de leur géniteur et qui se croient libres, et qui ne cherchent pas à se libérer à temps, et qui grandissent dans l’ignorance, et qui grandissant se prennent aux mailles du filet-prison et s’y enchevêtrent et ne peuvent plus en sortir.
Les idolâtres criant à l’idolâtrie
Il ya des idolâtres criant à l’idolâtrie tout comme il ya des voleurs criant au voleur et des criminels criant au mensonge. Il ya les insouciants à la mémoire courte. Il ya les amoureux du bavardage intitule. Il ya les politiciens malhonnêtes. Il ya les marabouts politiciens. Il ya les militants fou et les talibés esclaves. Il ya les gouvernants qui confondent gouverner et jouer au poker… À tous je souhaite de retrouver le droit chemin.
Et je prie pour que nous vienne un « prophète », non pas pour casser ou fondre et réduire au néant la nouvelle idole, mais pour nous guérir de notre mentalité d’idolâtre et nous remettre, ainsi que tous les peuples d’Afrique et du monde, sur le chemin droit qui est celui de développement véritable tenant compte de tout l’homme et de tous les hommes du présent et du futur.
ABDOU KHADRE GAYE
Écrivain
Président de l’EMAD
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