Le prix de la subordination !
‘C’est à celui qui domine sur les esprits par la force de la vérité, non à ceux qui les rendent esclaves par la violence, que nous devons nos respects’ (Voltaire)
C’est depuis fin 2006 que j’avais, pour la première fois, commencé à attirer l’attention de mes confrères sur les dangers des drames que les journalistes sont en train de vivre aujourd’hui. C’était à la veille de l’élection présidentielle et des reporters étaient venus à l’Observateur nous parler des démarches à entreprendre pour assurer la protection des journalistes contre des lendemains électoraux incertains. Ce jour-là, mes pairs avaient préconisé de ‘rendre visite aux acteurs politiques comme aux guides religieux pour que ces derniers recommandent à leurs partisans de ne pas casser du journaliste’. Pour cela, la Convention des jeunes reporters avait conseillé ‘le port de gilet identifiable’ et le déplacement par groupe des journalistes pour les mettre à l’abri des aliénés. La démarche de mes confrères consistait à demander la protection de ces hommes avides de pouvoir et adeptes de nébuleuses pour nous acquitter de notre devoir d’alerte de l’opinion. ‘C’est se mettre les chaînes de l’esclavage aux poignets’, avais-je dit.
Voyant cela comme un dangereux précédent, je m’étais désolidarisé de la démarche. Pis, j’avais fait savoir à la délégation venue nous rencontrer à l’immeuble Elimane Ndour que si cet accord, ignominieux et déshonorant pour la presse, était noué, ce sera le protocole de la mise sous tutelle de la profession ; mais aussi celui de la transformation des journalistes en cibles gratuites, facilement identifiables, taillables à souhait. Pour moi, le journaliste - s’il n’est pas de la télé ou facilement identifiable par sa voix à la radio - doit être comme un agent de renseignement : il doit passer inaperçu. Le journaliste doit être un homme affranchi de toutes tutelles, un intellectuel libre et équidistant de toutes les chapelles, qu’elles soient politiques ou religieuses, conscient du précieux de sa liberté et responsable de ses actes, de ses écrits comme de ses paroles. Aussi son sort importe peu quand l’avenir de son peuple est sombre et incertain. Le journaliste ne doit pas demander à bénéficier de protection spéciale lorsque, dans le ciel, les charognards planent et s’impatientent du festin que semble vouloir leur promettre une crise politique causée par des francs-maçons religieux comme politiques.
Le journaliste doit se battre d’abord avec ses propres moyens : sa plume et son micro. Et, en cas de mise en danger de sa vie, c’est à lui d’abord de se défendre sur le vif, à sa corporation de lui apporter soutien et réconfort, et c’est enfin à l’Etat que revient la responsabilité pleine et entière de sa protection et de sa sécurité. C’est le devoir de l’Etat que d’assurer l’intégrité physique des citoyens et de leurs biens, et il n’y a aucune concession possible à faire là-dessus ; il doit s’en acquitter. Mais voilà, mis en minorité, mes conseils n’ont jamais été pris en considération et la Convention, financée à coût de milliers de francs offerts par des représentations diplomatiques, de l’Etat, etc., s’est baladée à travers le pays pour signer le pacte non écrit de la servitude et de la mise sous tutelle de la presse. Tournant mes idées en bourriques, certains, de mauvaise foi, ont laissé entendre que je conseillais aux journalistes de pratiquer des techniques militaires de combat. Alors, ils sont partis se livrer comme une vache à son bourreau. En franchissant le seuil de la porte de ces hommes pour leur demander protection, nous avons accepté que nous ne méritons plus notre indépendance, que nous avons besoin du protectorat des politiques et des instructions des religieux, comme un enfant a besoin de son père pour entrer dans la vie. Voilà - bien que je ne fasse pas abstraction du passé avec notamment les nombreuses attaques subies par le Témoin où j’ai fait mes premiers pas dans le journalisme - le début du drame que nous vivons.
Et les barbares agressions subies par Kambel Dieng, Karamoko Thioune, Pape Cheikh Fall, Alioune Badara Fall de l’Obs, la bastonnade en règle des journalistes par des disciples de Béthio Thioune au Régal, les saccages des locaux de l’As, de 24 heures chrono suivi par l’acte d’allégeance d’El Malick Seck à la famille Wade sont autant d’actes qui ont tous été délibérément posés au lendemain de cette humiliante démarche. Le saccage des locaux de Walf et l’agression de son personnel sont des signaux forts que les voyous - politiciens, policiers, marabouts et simples escrocs - liés à Wade par un pacte tacite de non-agression, veulent lancer à la presse: ‘Puisque vous reconnaissez que vous êtes des enfants, on va vous traiter comme tels’. Dès lors qu’un journaliste écrira quelque chose qui déplaira, on le convoquera illico-presto et on va le prendre par 4 comme à l’école élémentaire. Wade en déclarant à la face du monde que ‘l’honneur se lave dans le sang’, a montré la voie de la vendetta à ses sbires. Désormais, plus personne ne cherchera plus à laver son honneur devant les tribunaux.
L’histoire de l’expédition punitive de Walf me rappelle un autre mauvais souvenir vécu par nos confrères ivoiriens. Pour la petite histoire, en 1995, se sentant attaquer par un journal ivoirien, le général Ouassénan Gaston avait fait venir le directeur de publication de ce journal dans son ministère. Là, dans son cabinet, il avait fait enlever son pantalon à Sangharé Abou Drahmane, le directeur de publication, et lui avait administré des coups de bâton aux fesses pour le corriger. Entre-temps, le coup d’Etat est passé par là et aujourd’hui, l’actuel n°2 du Fpi et le général siègent ensemble, côte à côte, comme députés à l’Assemblée nationale ivoirienne.
Si (…) Mame Thierno Birahim Mbacké a osé s’en prendre à notre grand Sidy Lamine Niasse, ce géant de la liberté de la presse au Sénégal - même si on peut lui reprocher plein de tares - cet homme qui a permis l’éclosion des plus belles plumes du Sénégal (…) alors, qui se privera de commettre pareille ignominie demain sur un petit patron de presse ? Comme Shakespeare, je crois fermement que ‘tout esclave a entre ses mains le pouvoir de briser ses chaînes’. Il est temps de se ressaisir et de sonner la révolte. Crier partout notre liberté et exiger notre indépendance qui n’est nullement négociable. Trop c’est trop, prenons nos responsabilités et défendons notre profession autant qu’eux, les voyous, défendent leurs prébendes et cherchent à redorer par la violence leur image de vandales attitrés.
Bacary TOURE Journaliste-écrivain Consultant international Tel 0033 6 26 32 82 97 http://bacary.blogspot.com/