SUR LA RÉFORME DES TITRES ACADÉMIQUES : PROMO
SUR LA RÉFORME DES TITRES ACADÉMIQUES : PROMOUVONS LE MÉRITE OBJECTIVEMENT !
L’inamovible représentant de la faculté de Lettres et Sciences Humaines de l’université Cheikh Anta DIOP (UCAD) au Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES), s’est exprimé dans la presse pour donner son opinion sur la réforme des grades qui agite en ce moment l’Université sénégalaise. Il est dommage que le Professeur Aboubackry Moussa LAM, car il s’agit de lui, n’ait pas voulu, dans son analyse, aller au-delà des jugements de valeur et du mépris qu’il voue à ceux qu’il appelle « les réformateurs », ne serait-ce que pour honorer son titre. Non seulement, il décrit mal le fonctionnement réel des universités sénégalaises, caricature la motivation de ceux qui prônent la réforme, mais, comble de déception, il ne s’appuie sur aucun argument qui vaille pour s’opposer à la réforme.
En rapport à ses propos, il nous importe dans ce qui suit d’éclairer le lecteur sur les tenants et les aboutissants de la question.
a) Nos universités fonctionnent en marge de la loi ?
Les projets pédagogiques de nos universités (de la première année jusqu’à la maîtrise seulement, le troisième cycle exclu) sont constitués à 70% environ de cours magistraux. La loi n° 81-59 du 9 novembre 1981 portant statut du personnel enseignant des universités (modifiée par la loi n° 92-37 du 9 juillet 1992, la loi n° 94-76 du 24 novembre 1994, la loi n°94-77 du 24 novembre 1994) héritée, comme beaucoup d’autres lois du Sénégal, de la France prévoit que seuls les professeurs et maîtres de conférences (catégorie A) sont habilités à prendre en charges les enseignements fondamentaux. Les autres, qui sont leurs collaborateurs (catégorie B), ne peuvent que les accompagner et guider les étudiants pour une meilleure compréhension des enseignements dispensés. Or, sur l’ensemble des enseignants, cette catégorie ne fait, au plus, que 30% à l’UCAD et 43% à l’UGB. D’où le déficit dans l’encadrement pédagogique et scientifique qui rend cette norme ineffective. Au fait de cette situation, les autorités académiques, au lieu d’adapter la loi pour qu’elle continue à réguler le fonctionnement de l’université, ont cru bon d’abuser de la générosité des enseignants de la catégorie B pour combler le gap. Ce qui fait que les maîtres-assistantes et les assistants, qui, en plus d’être collaborateurs, sont devenus des responsables d’enseignements fondamentaux comme ceux de la catégorie A. Cela, sans aucun supplément de considération académique ou administrative.
Ajoutons à cette violation flagrante de l’éthique, que la loi 81-59 confond des fonctions que le CAMES a bel et bien différencié. En effet, un maître de conférences y est habileté à agir sur le plan scientifique comme un professeur. Ce qui le pousse d’ailleurs à signer et à se faire appeler comme lui.
Constatant ce fonctionnement informel, qui rend possible l’exploitation d’une catégorie des travailleurs, les acteurs de l’UGB sont tombés d’accord pour régler cette situation qui était devenu intenable. Ils ont, pour ce faire, utilisé le décret 81-1212 qui régit les enseignants temporaires. Cette solution consistait à considérer tout docteur recruté à l’UGB comme Maître assistant associé, et ceux qui sont inscrits sur la Liste d’Aptitude aux Fonctions de Maître-Assistant (LAFMA) parmi eux, comme chargés d’enseignements. Ce faisant, ils ont augmenté le nombre d’enseignants habilités à dispenser de cours magistraux. Mais cette parade n’a pas réglé définitivement et complètement le problème. Elle n’a pas permis de résorber le déficit. L’utilisation des enseignants de catégorie B pour des tâches de catégorie A y continue encore. Voilà ce qui a décidé l’Université de Saint-Louis à traiter cette question plus sérieusement afin de sortir définitivement du fonctionnement anormal et irrégulier.
De son côté, le Syndicat Autonome de l’Enseignement Supérieur (SAES), acteur majeur de l’Académie sénégalaise a bien pris en charge cette question. Son dernier congrès (Avril 2007), a recommandé au Bureau National de la traiter en urgence. Il faut dire que si la loi actuelle était suivie à la lettre, beaucoup de départements de l’UCAD, ne parlons pas de nouvelles universités, devraient, faute d’avoir un nombre suffisants d’enseignants patentés, être fermés.
b) Normalisation du fonctionnement de l’Université
A partir du constat fait supra, il est apparu urgent de réviser la loi 81-59 afin de la rendre fonctionnelle et conforme à celles en vigueur dans les pays qui ont adopté le système LMD (Licence Master Doctorat). Ce que le ministre de tutelle a compris en mettant en place un comité ad hoc puis une commission technique chargée de rédiger un texte consensuel. Celle-ci est composée de plénipotentiaires des recteurs d’université, de directeurs d’établissement supérieur en plus des représentants des syndicats SUDES et SAES. C’est cette commission qui a proposé de faire correspondre loi actuelle à la réalité tout en respectant l’échelle méritocratique du CAMES. Ainsi, conformément à l’esprit de simplification-réduction des grades (diplômes LMD), elle n’a retenu que deux titres, comme dans toutes les universités modernes, pour les docteurs qui enseignent à l’université. Ils commencent leur carrière comme Maître de conférences stagiaire avant d’être titularisés comme Maître de conférences assimilés. Et il importe de mentionner ici que la fourchette des salaires indiciaires de ces derniers, reste dans celle qui était réservée aux maîtres-assistants. L’autre adaptation consiste à considérer les maîtres de conférences du CAMES comme professeurs assimilés.
Il faut ajouter que dans le texte consensuel (la commission l’a adopté à l’unanimité), l’inscription sur les listes du CAMES est toujours retenue comme critère d’accès à ces fonctions. Ce que d’autres pays membres de cette instance, n’ont pas trouvé nécessaire de faire en mettant en place leurs listes nationales indépendantes. A notre connaissance, aucun de ces pays n’a jusqu’ici subi une sanction. Et pour cause, la définition des fonctions et la fixation des critères d’accès à celles-ci relèvent de leur souveraineté non cessible. Qu’on cesse d’abuser les gens, le CAMES n’est qu’une instance de qualification, non un cabinet de recrutement.
Disons enfin, que quand on veut prendre le train de la nouvelle académie, il faut bien considérer tous ses wagons. L’adoption du système LMD ne se limite pas à simplifier les cursus et adopter la thèse unique. Il faut aussi revoir les fonctions ou positions professionnelles auxquelles ces grades conduisent. Il est vrai que chacun de nous est jaloux de sa trajectoire et s’énerve quand on prône d’autres parcours. Mais devrait-on, pour autant, trop insister afin de ralentir la marche de l’histoire académique du Sénégal ? Il est regrettable que des termes comme assistanat, habilitation à diriger la recherche, liste d’aptitude au lieu de compétences, etc. soient encore dans notre lexique. Même le titre très réducteur « maître de conférences » est en train de disparaître du jargon de nos ancêtres français. Nous ne sommes vraiment pas obligés de servir de musée des titres académiques pour l’Hexagone. Il vaut mieux être des universitaires d’aujourd’hui !
Mamadou-Youry SALL
Rapporteur de la Commission Technique sur la Réforme des Grades