Lettre ouverte à nos hommes politiques
Cette lettre est à considérer sous la forme d’une simple interpellation de la part d’un citoyen inquiet et anxieux de l’avenir de son pays, désarçonné et désemparé par les dérives de la pratique politique avec son lot de violences, de manipulations de la constitution, de malversations financières, de corruptions, de népotismes et de détournements de derniers publics dans une situation de misère sociale et de crise économique. En effet, cette missive, dans son fond, sera tout sauf une prédication morale. Malheur aux donneurs de leçons, dans un pays où tout le monde se prévaut d’une piété morale et d’une intelligence savante !
Femmes et hommes politiques de tous bords, vous arrive-t-il souvent de méditer cette question cruciale que le philosophe Pierre Fougeyrollas avait posée tout au début de l’indépendance, en titrant un de ses ouvrages : ‘Où va le Sénégal’ ? La tentative de réponse à cette question débouche incontournablement sur ce constat terrible du défunt juge Kéba Mbaye lors de la passation de pouvoir entre Senghor et Abdou Diouf : ‘Les Sénégalais sont fatigués’. Une telle assertion, nul ne peut la contester jusqu’à présent, surtout, quand on voit la majeure partie de la population se débattre dans la pauvreté. Le chômage chronique, le drame du bateau le Joola, les inondations, les coupures intempestives d’électricité, le délabrement des hôpitaux et un système scolaire presque en faillite sont des signaux forts qui nous rappellent, à chaque instant, que le Sénégal fait partie des pays tristement célèbres qu’on appelle en langage officiellement codé et politiquement correct Ppte (Pays pauvres très endettés). Si vous souhaitez qu’on vous parle en termes de croissance et de Pib, interrogez les économistes, sinon, il y a des images qui parlent mieux et beaucoup plus que les mots dans un monde médiatique pour symboliser cette situation de pauvreté : des jeunes en détresse qui prennent le large en bravant la mer avec en bandoulière le fameux slogan barça ou barsax à la recherche de l’eldorado européen.
A cinquante ans d’indépendance, ne pensez-vous pas, Mesdames, Messieurs les politiques que le Sénégal est hanté par le spectre de l’échec ? Est-il vrai que les Sénégalais ont besoin d’un ndëp national pour exorciser le mal profond qui sévit dans le pays ? Que diable non !
Femmes et hommes politiques, que vous soyez dans la galaxie du pouvoir, dans les hautes sphères de l’État ou dans l’opposition, il semblerait que vous êtes en train de faillir à votre mission principale qui est de faire du Sénégal un pays émergent, bâti sur un état de modèle démocratique avec des institutions fortes qui ont pour socle une constitution solide résistant, dans le temps, aux humeurs et à l’ego débordant du chef de l’exécutif. Ainsi, vous avez comme sacerdoce de garantir et de sauvegarder l’armature institutionnelle de notre jeune État où les ministres ne seront plus considérés comme de simples marionnettes. Et vous en conviendrez, les biens de l’État ne peuvent ni ne doivent être la propriété exclusive d’un homme ou d’un clan. Et le prédisent doit tout faire dans les actes qu’il pose et les discours qu’il tient pour ne pas nous renvoyer constamment l’image d’un Louis XIV qui disait : ‘L’État, c’est moi’.
Il est de votre devoir, Mesdames, Messieurs les politiques de refuser toute entreprise de dévolution monarchique du pouvoir dans notre cher pays. En démocratie, comme vous le savez, seul le peuple est souverain et seul le suffrage universel confère une certaine légitimité et plus fondamentalement encore, tout homme qui gouverne sera, un jour, victime du suffrage universel. Seuls les démagogues et les dictateurs de tout acabit peuvent nier cette réalité. Ces derniers ne savent pas que le vote est sacré. C’est un acte de prise de parole politique, la voix des citoyens (la majorité consciente) qui se manifeste par le verdict des urnes. Donc une maturité démocratique se traduit par l’organisation régulière d’élections libres et transparentes dans le respect du calendrier républicain. La vitalité démocratique d’un pays se mesure par la fréquence des alternances au pouvoir avec un renouvellement périodique des équipes dirigeantes et des gouvernants.
L’alternance politique est le souffle de vie d’une démocratie, une normalité qu’on doit appréhender comme telle. Mais hélas ! Au Sénégal, on se permet toujours de célébrer l’alternance dans un tintamarre en mobilisant les moyens de l’État dans un élan d’héroïsation du vainqueur des élections du 19 mars 2000 alors que dans des pays comme le Ghana, le Bénin, le Mali et pour ne citer que ceux-là, l’alternance s’y effectue normalement loin des bruits et de la fureur. Voilà des pays qui n’ont rien à envier à notre démocratie. Au contraire !
Mesdames, Messieurs, les politiques, ne pensez-vous pas que l’espace politique est pollué par certains chefs religieux qui utilisent la politique comme fonds de commerce en vous tenant en otage. On a l’impression que vous vous plaisez à entretenir un rapport de connivence et de compromission avec les guides de certaines confréries. Sachez que la foi est une affaire individuelle. De surcroît, dans un État laïc, votre appartenance religieuse ou confrérique, on en a cure ! En tout état de cause, les citoyens et les militants de vos partis préfèrent votre efficacité politique à votre ferveur religieuse et confrérique.
Êtes-vous toujours fiers de vous, en voyant la scène politique envahie par une nouvelle race de femmes et d’hommes politiques qui se sont convertis en laudateurs professionnels obnubilés par des strapontins ? Que dire des transhumants qui, jadis comme des moutons, broutaient dans les prairies vertes du gouvernement socialiste et sous l’alternance, se sont vite transformés en requins pour nager dans la mer libérale à la recherche de gros poissons ? Excusez-moi, une métaphore ne pense pas, mais elle donne à penser !
Tout cela, pour signaler que la politique est affaire de conviction et d’engagement qui nécessite des sacrifices, des souffrances, parfois de la solitude et même une traversée du désert pour accéder au sommet du pouvoir.
Mais peu d’entre vous sont prêts à en payer le prix. Et vous voulez tous devenir président de la République, croyant que vous avez une bonne étoile ou que vous avez, tous, un destin présidentiel. En plus, dans un univers teinté de mysticisme, de syncrétisme religieux et de croyances traditionnelles, on peut supposer que vous ayez vos devins ou marabouts qui vous prédisent un avenir présidentiel. C’est pourquoi, avant les échéances présidentielles de 2012 et si vraiment il y aura des élections, on verra une pléthore de candidats des plus baroques aux plus insolites. Voilà même Bennoo Siggil Senegaal, un lieu de cohérence avec la Charte des assises nationales (ce laboratoire d’idées nobles), qui commence par être traversé par des querelles de leadership parce que tout simplement ses leaders ont succombé au vertige présidentiel.
Au demeurant, la responsabilité politique exige une humilité, un flair et une capacité de discernement dans la hiérarchisation des priorités et des besoins des populations. Autant dire que pour prétendre gouverner un pays, il faut non seulement avoir un sens élevé de l’État et des institutions, mais surtout avoir constamment à l’esprit le souci des populations en étant à l’écoute de leurs besoins fondamentaux. Voilà pourquoi, un chef d’État doit être un homme de dialogue et de consensus qui accepte facilement ce que Paul Ricœur a appelé le ‘désaccord raisonnable’ parce qu’il ne doit pas prétendre avoir le monopole de la vérité, car l’opposition, elle aussi, a accès à la vérité. Et l’intégriste est celui qui croit détenir l’intégralité de la vérité.
Mais le paradoxe, c’est qu’un dialogue politique entre pouvoir et opposition est souvent voué à l’échec parce que, tout simplement, ils ne peuvent pas s’entendre et ils sont condamnés à s’entre-déchirer chaque jour davantage puisque celui qui gouverne vit enchaîné au passé et celui qui aspire à gouverner est impatient du lendemain. De toute façon, le dialogue politique, ce jeu de yoyo politique, est en deçà des préoccupations des Sénégalais qui y voient une forme de divertissement et de querelles politiciennes.
Comme vous le savez, la maturité politique des citoyens sénégalais n’est plus à démontrer, elle se manifeste à travers chaque élection et une opinion nationale bien informée, vigilante et exigeante est en train de naître.
Mesdames, Messieurs les politiques, désormais, les citoyens vous jugeront sur votre capacité à respecter les deniers publics, la manière dont vous utiliserez les ressources financières du pays et surtout votre dévouement à résoudre leurs aspirations profondes en manifestant un dynamisme et un engagement sans faille pour l’amélioration de leurs conditions de vie et l’allègement de leurs souffrances. En tout cas, vous êtes avertis !
Lamine SOUANE Master pro Administrateur public et privé pour l’Afrique (lsouane1@yahoo.fr)