je suis
Je vote, donc je suis !
Boycotter les élections législatives du 3 juin 2007 ? Chaque parti politique, chaque militant et chaque citoyen, tous ont la liberté de répondre, chacun suivant ses motivations, par la négation ou l’affirmation à cette question.
Cependant, l’adhésion au boycott, lourde de conséquences graves mais insoupçonnées, ne peut avoir de sens et peser d’un poids décisif que si elle est partagée et appliquée par une majorité absolue de citoyens inscrits sur les listes électorales. Sartre explique que choisir, c’est choisir mais ne pas choisir, c’est aussi choisir. Ainsi, me semble-t-il, le boycott est une forme de choix passif, de démission, pire de reniement de sa citoyenneté.
J’avoue que c’est en 1993 que j’ai voté pour la première fois, mettant fin à un long exil volontaire à l’intérieur de ma propre patrie pour des raisons que je ruminais en moi-même comme bon nombre d’intellectuels sénégalais apolitiques ou plus exactement silencieux sur leurs convictions partisanes. En dépit de tous les arguments que je peux encore développer pour justifier mon attitude d’alors, avec le recul, je sais que j’avais tort. Avec l’instauration du passage obligatoire à l’isoloir, la liberté et la sécurité du suffrage venaient d’acquérir une garantie non négligeable. A l’occasion des élections présidentielles du 25 février 2007, la présence de près de 2 500 observateurs et le constat qu’ils ont fait rassurent quant à la relative transparence des consultations qui maintiennent le président Abdoulaye Wade à la magistrature suprême dès le premier tour.
Je regrette que les efforts de certains membres de la société civile qui tentaient une médiation entre le pouvoir et l’opposition initiatrice du boycott des élections législatives prochaines ne soient pas couronnés de succès. Pourtant, je ne crois point que c’est la démocratie qu’on poignarde dans le dos mais plutôt - et c’est plus alarmant - le droit de représentation des couches de la société qui ne se sont pas senties prises en compte par la politique libérale. Qui parlera à l’Assemblée nationale au nom des pères de famille et des ménagères qui souhaitent la baisse sensible du prix des denrées de première nécessité ? Pour ceux qui réclament plus d’assiduité et de sérieux au travail, une juste récompense du mérite, le bannissement du cumul des fonctions, une réduction du nombre des ministres et du train de vie de l’Etat sans oublier un arrêt définitif du tripatouillage de la loi fondamentale ? Sans aucun doute, en raison du repli sur elle-même de l’opposition dite significative, les élus de l’opposition avisée, clairvoyante et conséquente avec elle-même !
Sacré Senghor ! Il est parti sur la pointe des pieds et par la grande porte, gardant sans tache son image de poète et d’homme de culture, dès que Ndiombor est entré dans le jeu du pouvoir. Ndiombor qui lui a d’abord dit : ‘Je contribue’ puis, une fois son parti reconnu, a déclaré : ‘Je m’oppose’, non sans lui faire admettre que la meilleure contribution était celle d’une opposition véritable qui garantissait au Parti socialiste une place convoitée à l’Internationale socialiste.
Le boycott, à mes yeux, ressemble au suicide collectif inconscient de partis qui ont sous-estimé leur importance qui ne réside point dans leur rang sur l’échiquier politique national, mais dans le rôle de régulateur qu’ils y tenaient assez honorablement. Ces partis ne sarticipent-ils pas ˆ leur propre neutralisation préméditée et programmée de main de maître par un politicien redoutable qui réussit, sans se salir les mains, à faire tomber dans un trou profond comme une fosse commune les ténors de la vieille classe politique et qui prévoit, après son départ, de laisser la voie libre à une relève plus jeune qui pourra s’attaquer aux défis majeurs par l’action et parachever les grands chantiers ouverts ?
Le vote est l’acte par lequel le citoyen réaffirme et consolide sa citoyenneté, assumant avec responsabilité sa liberté et son devoir de choisir lui-même un président de la République, des députés et des maires de villes et d’arrondissements.
Le boycott est une stratégie que je respecte. Il engage ceux qui l’auront choisi. S’il consistait seulement à manifester le mécontentement et la défiance, il ne serait pas dramatique. En réalité, au-delà de l’agitation et des vociférations de fauves pris au piège, tournant en rond dans leur cage et grognant d’impuissance, il condamne irrémédiablement à l’absence et au silence des hommes et des femmes de bonne foi dont la présence sur le terrain politique, la résonance des voix au Conseil des ministres et dans l’hémicycle du Parlement comptaient précieusement non pour eux-mêmes, mais pour ceux qu’ils représentaient et dont ils prenaient en charge les préoccupations et les aspirations.
Les leaders politiques partisans du boycott actif ont-ils consulté leurs bases respectives ? Se rendent-ils compte qu’ils renoncent à une existence active là où se joue véritablement le destin de la Nation ? Savent-ils qu’ils privent leurs militants d’une tribune légale à l’occasion des moments privilégiés de rencontre avec l’électorat, qu’ils les exposent à un louvoiement insupportable pendant toute une législature ?
Moi, je vote. Ne me parlez pas de la majorité mécanique qui a changé de camp, des députés absentéistes et des autres qui dorment sur leur banc. Tant que la politique sera comprise comme un gagne-pain de tout repos et non comme un moyen d’améliorer les conditions de vie du peuple, comme une sinécure et non comme un sacerdoce, elle sera le partage des activistes et des thuriféraires à l’âme de girouette qui savent que le travail honnête garantit rarement la fortune et le privilège, en Afrique noire. Si je vote, c’est pour moi ; c’est pour exister, signaler que je suis bien là, témoin hier, aujourd’hui témoin.
Je veux assumer mon devoir de choisir puisque le droit d’être consulté pour lequel on croupit en taule ou meurt quelque part dans le vaste monde est un acquis irréversible dans mon pays.
Je vote. C’est ma seule responsabilité. La sécurité de mon acte citoyen, la loyauté de celui que j’ai contribué à faire élire relèvent d’autres responsabilités.
Marouba FALL Professeur de Lettres Modernes