DIVERSION NATIONALISTE
DIVERSION NATIONALISTE
Écrit par MAMOUDOU WANE
Mardi, 04 Mai 2010 13:48
Darwin nous enseigne que tout être vivant développe des capacités qui lui permettent de survivre jusque dans les milieux les plus hostiles. Sa célèbre théorie de l’adaptation des espèces pourrait très facilement être transposée au Sénégal où le chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade, cherche à noyer ses problèmes et légitimer tous les actes qu’il pose par le seul fait qu’ils participeraient à achever une décolonisation mal conduite depuis Senghor. Avec Gorgui, nous sommes enfin libres. Chine, Inde, Iran etc., les “nouveaux sauveurs” nous viennent d’Asie. Ils sont sympa, pragmatiques, plus justes et dynamiques comme des mouches.
En vérité, il y a de la matière pour agrémenter l’argumentaire du Président Wade. Depuis 2003 au moins, une nouvelle dynamique est enclenchée dans le jeu des partenariats noués. Concrètement, cela s’est traduit par la perte, par le groupe Bolloré, du Port autonome de Dakar au profit de Dubaï Ports World, l’atterrissage de Sudatel sur le réseau des télécommunications, l’implantation d’usines iraniennes de montage automobile, les parts de marchés octroyés dans les Chantiers de l’Anoci au Groupement d’entreprises Koweïto-sénégalais Al Kharafi. Et tout dernièrement, l’entrée de Saudi Bin Ladin Group dans le capital de la Société africaine de raffinage (Sar). Reste encore le business de la Sde, contrôlée par la Holding Finagestion du conglomérat français Bouygues, mais qui est passé sous le contrôle du Fonds américain d’investissement Emerging capital partners (Ecp). La liste peut être allongée des mines de Kédougou jusqu’aux babouches de notre cher Président.
Au fond, personne ne peut raisonnablement reprocher, dans le principe, au gouvernement du Sénégal de se choisir le partenaire qu’il estime être le mieux placé pour défendre les intérêts nationaux. Là n’est sans doute pas les termes du problème, même si le concept de souveraineté est aujourd’hui noyé dans celui des intérêts de groupes locaux bien identifiés. Le problème se situe donc au niveau de l’exploitation politicienne de ce filon et le marchandage à la sénégalaise qui accompagne la tonitruante rentrée du Sénégal dans la scène asiatique des affaires. On a même entendu le chef de l’Etat soutenir, lors de la fête du 1er mai, qu’il y a des Sénégalais qui troquent les intérêts européens contre ceux nationaux, parlant justement de la concession signée entre l’Etat et la Sde. Avec un “sympathique” clin d’œil à son prédécesseur Abdou Diouf. Mais qui est dupe ! Il s’agit bien de convoquer la fibre patriotique des Sénégalais, de la manipuler, de sorte à faire oublier tous les autres actes bien nébuleux qu’on pose par ailleurs. Tout le discours sur les fonds de la Bceao, en vérité des réserves qui assurent les transactions financières dans l’espace de l’Uemoa, procède de cette logique. Grosse diversion !
L’objectif de Njomboor est bien plutôt de cacher son jeu dans une sorte de soupe chinoise qui a du mal à être ingurgitée sans effets secondaires. Car, un fait est de casser un système, mais un autre est de respecter les normes de transparence universelles d’octroi des marchés. Sudatel a, par exemple, pu s’installer, grâce à des micmacs qui n’ont pas encore fini de dérouler tous leurs secrets. 20 milliards FCfa qui se pavanent dans la nature, pour tomber ensuite dans des poches bien réceptives, comme l’a révélé, sans être démenti, notre confrère Abdou Latif Coulibaly. Sans compter le partage de butin de 2 milliards qui a accompagné l’octroi de la licence. L’affaire Millicom et le Monument de la renaissance, construite de main de maître par des Coréens (encore des Asiatiques) charrient de zones d’ombre aussi grosses que la silhouette de la statue inaugurée, puis oubliée au pied des Mamelles. Et sans doute qu’en creusant dans bien d’autres affaires, surtout dans les Mines, on se rendra bien compte, qu’une campagne électorale peut être bien assaisonnée aux sauces sonnantes et trébuchantes qui constituent le décor sonore de l’alternance et son “talon d’Achille”.
A y regarder de plus près, le plan qui se déroule sous nos yeux est doublement rentable. Il permet de faire du business à la sénégalaise et de bénéficier en plus du soutien du peuple. Le Président ivoirien Laurent Gbabgo, bon “boulanger” comme son cousin sénégalais, l’a déjà bien expérimenté. Lui, qui, pour se débarrasser de la bien “encombrante” France, a exploité à fond cette fibre qui lui a certes permis de se conserver illégalement au pouvoir, mais qui donne aujourd’hui les résultats que nous voyons tous. Un pays destructuré, cassé en deux, qui a du mal à retrouver sa cohésion. Et c’est pour en revenir aux propos d’André Parant, le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, qui ont le mérite de re-poser un problème que les Sénégalais veulent bien enfouir dans leur inconscient collectif : celui de la succession. Le Président Wade veut sans doute noyer ce gros poisson dans la grande mare de la diversion en faisant croire que c’est parce qu’il menace les intérêts de la France et des Etats-Unis que lui et sa famille sont attaqués de toutes parts. Et Youssou Ndour lui-même est victime de cette mode que le seul argument – farfelu en plus – qu’on convoque comme prétexte pour lui priver de sa chaîne de television, c’est de s’écrier à longueur de discours : “C’est Bolloré qui est derrière.” Un disque rayé qui ne convainc plus personne, mais qui cache bien un agenda secret.
Cette posture bien pensée et bien déroulée, n’est pas sans effets secondaires. Car, arrive toujours un moment où l’on ne pourra pas se contenter de ces faux-fuyants d’une autre époque pour endormir le peuple. Qui, au moment où le Monument de la renaissance s’arrache du sol pour titiller comme Icare le ciel, où les routes fendent Dakar dans tous les sens, pousse encore un bien honteux soupir : “Du pain, du pain!!!”