Qu’avons-nous rêvé : des Renseignements Génér
Qu’avons-nous rêvé : des Renseignements Généraux (RG) pour ou contre le peuple ?
Article Par Alioune Badara SECK (ABS), badou@hotmail.com ,
Paru le Vendredi 4 Déc 2009
« Sire, il est difficile de servir et de plaire »
Le maréchal de Villars (Claude Louis Hector)[1]
Qui osera parler ouvertement des Renseignements Généraux (RG) au Sénégal ? Qui osera débattre de leur fonctionnement, leur contrôle, de l’efficacité de leur travail sans être intimidé ou menacé ? Qui osera demander des comptes aux RG sans se voir signifier que ces gens-là sont d’une autre engeance, d’un autre corps de métier mystificateur tout à fait différent des autres, voire au dessus de tous les autres ? Qui osera parler aux pauvres contribuables sénégalais de ce que sont les Renseignements Généraux de ce pays (qui fonctionnent quand même avec l’argent public), les éclairer sur l’utilité publique de leurs services ? Qui osera simplement vouloir en savoir plus et davantage sur leur métier et leur institution insaisissable ? Qui osera se plaindre de leurs dérives possibles quand elles sévissent telle une tyrannie organisée ? A qui doit-on se plaindre lorsque l’on est victime d’abus de pouvoir, de trafics d’influence, de menaces ou de corruption de leur part ? Qui renseigne sur les RG qui nous surveillent ? Qui surveille la surveillance elle-même quand la machine devient folle ou odieuse ? Qui manipule qui finalement ? Osera-t-on débattre du sujet et proposer une réforme des RG pour en faire définitivement une source de développement économique, de cohésion sociale plutôt qu’un organe de sycophanterie nationale ?
Les Renseignements Généraux au Sénégal inspirent à la fois la terreur et mille fantasmes chez nos concitoyens les plus crédules. Le mystère et le mysticisme longtemps entretenus par les Services Spéciaux ont été totalement amplifiés dans notre pays où l’ignorance et l’obscurantisme permettent l’inacceptable. Le droit à l’information est consacré, tel l’Habeas Corpus, dans tous les pays démocratiques dignes de ce nom, contrairement aux pays totalitaires où l’information est monopolisée par « quelques barons » des pouvoirs publics. Alors, dans quel système se trouve-t-on au Sénégal où le simple fait de vouloir savoir qui sont les patrons des RG ou ce qu’ils font réellement soulève craintes par-ci et suspicions par-là ? Les légendes les plus folles entourent la sacro-sainte institution des RG censés être les gardiens du temple des secrets d’Etat. La Raison d’Etat - qui ne devrait pas être synonyme de l’arbitraire à la faveur des caprices du Prince - justifie leur existence et semble les placer au dessus de tous les corps de métiers. N’imaginez même pas les peurs à la John Le Carré qu’ils suscitent chez le vulgus pecum. L’histoire qui se raconte à leur sujet les présente souvent comme des Caligula des temps modernes, des êtres méphistophéliques sans état d’âme. Pourtant les hommes et les femmes qui constituent ce noble corps de métier sont de simples mortels sujets à n’importe qu’elle erreur humaine et aux problèmes identiques à ceux de n’importe quel citoyen. A une exception près que leur métier peut être dangereux. Dangereux pour eux-mêmes parce que leurs actions s’exercent le plus souvent par des méthodes détournées si elles ne sont pas tout simplement « clandestines » et gare au retournement (à la Volkoff) des agents de renseignement ou à l’effet boomerang de leurs actions si elles n’ont pas été vertueuses. Dangereux aussi pour les hommes libres parce que les dérives totalitaires sont possibles dans ce métier. Des dérives qui peuvent aller de la manipulation informationnelle malveillante aux persécutions les plus odieuses orchestrées à travers l’intoxication, la désinformation systématique, les rumeurs, la propagande noire, le complot, la déstabilisation, la destruction de l’image et de la réputation personnelle, le mensonge organisé, le trafic d’influence, les raquettes intempestives et tous autres abus de pouvoirs ou montages insidieux. Et quand il y a connivence avec des culs-bénits de la presse ou des mass media, c’est la vie et la liberté humaines consacrées par la démocratie et la civilisation qui sont en péril ! Voilà pourquoi les RG d’un pays démocratique doivent de temps à temps faire l’objet d’un débat public non pas pour divulguer le secret de leur noble vocation, ni leurs méthodes de travail, ni leurs moyens d’actions, encore moins leurs plans, mais pour rassurer les citoyens de la Cité du respect de la dignité humaine, de l’utilité publique de leur métier, de la justice sociale et de tout ce qui relève de la haute conscience d’un tel métier ; pour conjurer la probabilité de leurs dérives inhumaines et diminuer sinon éliminer les statistiques honteuses qui peuvent découler de leurs manquements possibles ou de leurs erreurs fatales. Des errements dans la conception comme dans l’exécution des missions peuvent arriver. Même des connivences dangereusement malveillantes avec des services étrangers peuvent avoir lieu.
Et comme tout pouvoir de l’homme sur l’homme, Narcisse peut toujours abuser de ses privilèges et un Néron des temps modernes peut toujours naître des ténèbres et semer la terreur et la persécution insidieuse dans la Cité, surtout quand on est expert en théâtres d’ombre et en canulars redoutables. Un corporatisme malsain, camouflé et bien entretenu peut bien exister au sein de ce temple fermé et se livrer à un jeu facile et dangereux consistant à « terroriser » les citoyens sans défense. On connaît déjà les dérives historiques du KGB soviétique, même si le Sénégal n’est pas la Russie et nous ne voulons pas ce genre de scénarios dans notre pays. Voilà le rêve que nous avons fait et nos vœux pour en conjurer le mal sont simples : nous souhaitons que les RG protègent nos libertés, nos vies et notre vouloir vivre ensemble (au sens d’Ernest Renan) au lieu de profiter de nos vulnérabilités individuelles et collectives. Il ne peut y avoir de RG authentiques sans patriotisme sincère et agissant ! C’est pourquoi des parades objectives et impersonnelles ont été imaginées dans certains pays de grande tradition démocratique pour que les RG - services hautement régaliens transcendant toute alternance politique (régime au pouvoir ou opposition, droite ou gauche) – ne puissent jamais tomber dans des dérives partisanes, antidémocratiques incalculables contre la dignité et la vie privée des citoyens. Des délégations, comités ou commissions parlementaires ont été adoptés dans de grands pays comme la France[2] ou les Etats-Unis[3], sans parler de l’institutionnalisation dynamique de vrais modèles de Conseil National de Sécurité où le civil et le militaire, l’officier, le parlementaire et l’expert…se côtoient sur les questions d’intérêt national et sur certaines visions et innovations sécuritaires globales. Un grand pays comme la France s’est dotée d’un Conseil National du Renseignement… Parce que les RG sont la première source d’informations utiles au développement économique d’un pays. S’ils sont compétents, ils peuvent aider à sortir un pays de son sous-développement, de sa pauvreté et le hisser par l’information stratégique pertinente au rang des pays développés et prospères : le Japon en est un bel exemple.
Si l’information est donc à la base de tout développement, quels ont été la quote-part, le rôle et la part de responsabilité de nos RG dans le sous-développement de notre pays ? Surtout quand on se rappelle que bien des pays doivent encore aujourd’hui leur développement économique ou scientifique, leur prospérité aux prodiges de leurs services spéciaux. Malheureusement entre la délation primaire, l’arrivisme qui semblent être leur sport national et la recherche d’informations pertinentes pour le développement et l’émergence économique du pays - que ce soit dans l’aéronautique, la médecine, l’innovation scientifique en général, les technologies du futur (les nanotechnologies…), la lutte contre l’accaparement et le détournement du patrimoine national (matériel comme immatériel), la lutte contre le crime organisé, le blanchiment d’argent sale, la lutte contre les manipulations informationnelles (diffamation, intox, rumeur, désinformation d’Etat, mensonge électronique, canular informatique…), les trafics en tous genres, les nouvelles ingérences protéiformes dans notre pays ou dans tout autre secteur utile pour le pays - tout semble être déjà dit, hélas ! Leurs exploits s’arrêtent souvent à l’exhibitionnisme ou à l’ostentation quand ils leur arrivent d’attraper de « gros morceaux », si ces « gros morceaux » ne sont pas tout simplement les fruits de leur propre imagination, des montages saugrenus et ridicules pour faire dans la dissuasion habituelle et maladroite…Alors, à quoi devons-nous nous résigner : A des RG stipendiés contre le peuple et les citoyens libres, des RG corporatistes et sans vertu ; des RG qui se livrent à un championnat national favori de petits bulletins de renseignement commandités et sur commande, « des petits pains » purement ad hominem, la broderie et le tricotage du mensonge professionnel ; des RG, suppôts d’un nouveau totalitarisme ou, au meilleur des cas, des RG dépassés par l’évolution de leur métier et les changements tous azimuts d’un monde globalisé ?
Je doute qu’un débat public sur les Renseignements Généraux puisse trouver beaucoup de candidats dans notre pays ; un pays qui se veut pourtant démocratique. La dernière fois où j’ai entendu quelqu’un parler publiquement des RG, c’était, par voie de presse[4], quand une parlementaire libérale, furax de je ne sais quoi, leur signifiait à tort ou raison leur sport national : la délation primaire et malveillante. La deuxième fois était terriblement simiesque avec l’histoire d’un Massaly et son faux RG.
Je souhaite que le parlement dispose d’un mécanisme de contrôle sur les RG, à l’instar des grandes démocraties du monde. Mais pour mettre en place un comité ou une délégation parlementaire, encore faut-il avoir des députés et dés sénateurs à la hauteur des exigences de secrets d’Etat qui commandent un tel dispositif ; encore faut-il avoir des parlementaires qui ont le sens éprouvé de l’intérêt national et des questions relatives à la défense, la sûreté, la souveraineté et la sécurité nationales. Il leur faut une grande responsabilité, une haute culture de l’Etat et de l’information en général et une compréhension des nouveaux enjeux sécuritaires contemporains. Il leur faut également savoir faire passer les intérêts de la Nation, quand il le faut, devant et parfois contre leurs propres intérêts personnels !
Notre souhait, passé au crible de l’Intelligence Economique (IE), est de voir un jour les services de renseignement de notre pays sortir de leurs illusions mystificatrices et permettre à l’Etat du Sénégal de relever les multiples défis relatifs aux nouvelles opportunités, menaces et nuisances globalitaires plus sophistiquées et plus insidieuses. Notre souhait est également de voir notre pays avec une autre conception des Renseignements ; une conception nouvelle, post-moderne, plus dynamique qui permette la compétitivité et la performance économiques du Sénégal, surtout dans un monde devenu ouvert et concurrentiel à tous les niveaux. Notre espérance est de voir un jour toute la basoche de notre pays se pencher sur les vides juridiques qui caractérisent les champs désormais élargis de la bataille sur l’information (la Société de l’Information oblige !) : guerre cognitive et informationnelle par-ci, guerre psychologique, voire guerre économique par-là. Et pendant que notre pays subit ces nouvelles formes de belligérances en temps de paix, nos RG restent dans leurs dimensions classiques et ordinaires. Et tout se passe comme si ces « seigneurs » n’ont aucun compte à rendre à personne, même pas à leur conscience d’hommes payés par l’argent public, celui de leurs concitoyens. Pourtant, il suffit seulement d’ouvrir un débat public sur la réforme des Renseignements Généraux pour que notre pays exploite les immenses potentialités qui existent dans l’Univers de l’information. Mais encore faut-il savoir méditer sur ces propos d’Alexandre de Marenches : « Dans un système démocratique, le patron des Services secrets a le choix des moyens, mais pas le choix de la fin. Alors que dans un système totalitaire, la tyrannie est absolue. Tous les choix sont possibles, même les pires ». Notre rêve n’est ni un réquisitoire ni un plaidoyer ni un verdict accablant contre ce temple fermé et ses « serviteurs ». Loin s’en faut ! L’on dira que c’est du psychédélisme étranger à l’Intelligence Economique, mais je crois qu’il m’est encore donné d’espérer le meilleur pour notre Nation. Parce que je crois encore, peut-être dans ma naïveté, que le Sénégal n’est pas entré dans une nouvelle ère, un nouveau temps, le temps des impossibles, de tous les impossibles. Et il n’y a rien de plus despotique et totalitaire que de blâmer ou de s’acharner contre un rêve, fût-il un rêve des plus cauchemardesques. Alors, très chers compatriotes, jugez-en vous-mêmes si les Renseignements Généraux de notre pays ne méritent pas un débat public, une réforme ou un re-calibrage aux grandes priorités du Sénégal et non aux seuls services et à l’exclusive volonté de puissance de quelques politiciens qui les instrumentalisent à loisir contre des adversaires légitimes ou contre des libres penseurs indociles ?
Sans crier haro sur la noblesse de leur métier, imaginez seulement, ne serait-ce qu’une seule fois, que ce cauchemar puisse justement refléter une infime partie de leur iceberg ? Que pensez-vous alors qu’il faille faire maintenant avant que la réalité ne nous livre tous à une nouvelle forme d’oppression infiniment plus totalitaire, plus autocratique que tout ce qui peut être imaginé contre la liberté et la dignité de l’homme ?
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[1] Le Maréchal Claude Louis Hector de Villars (1653-1734) s’adressant à Louis XIV.
[2] Loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 parue au JO (français) n° 235 du 10 octobre 2007.
[3] U.S. Senate Select Committee on Intelligence (par exemple).
[4] La presse du week-end du 17 juin 2006.