d'un CITOYEN
Rubrique Contributions
Me Wade et le boycott
‘Les valeurs suprêmes qui font de tout homme un citoyen digne de ce nom sont : la volonté de subordonner les intérêts particuliers au bien public, l'ambition d'astreindre gloire et honneur au service de son pays et autres vertus civiques les plus nobles qui soient’ (Cicéron)
A propos de la situation politique qui prévaut, les va-t-en guerre parlent de ‘défi’ de l'opposition contre le président Wade, alors qu'il est évident que jusque-là, l'opposition n'a à aucun moment présenté sa décision de boycott comme un acte héroïque contre le régime en place, mais plutôt comme une forme d'appel ultime à un dialogue constructif, en s'adressant au chef de l'Etat dont, selon Alain, la capacité d'ouverture et d'action constitue dans la République le ferment d'une évolution positive.
Dans un Etat démocratique, l'Assemblée nationale est l'instrument de dépassement des conflits, et c'est pourquoi les représentants de toutes les franges de la société doivent y être présents. Or, dans la perspective actuelle, au moins les représentants de plus de 44 es populations pourraient ne pas y prendre part. Le dialogue a toujours été un mécanisme de régulation dans notre société, et c'est pourquoi, il est nécessaire, pour nous, de relativiser les observations faites par Gordon Di Renzo à la suite d'une étude sur le concept de ‘personnalité dogmatique ou autoritaire’. En effet, Di Renzo s'inspirant de cette étude estime que ‘l'homme politique considère le pouvoir comme une valeur si importante qu'il pense que celui-ci doit être conquis par n'importe quel moyen ; de plus l'homme politique pense que ses idées sont les seules bonnes’.
En tout cas, pour ce qui nous concerne, nous refusons de souscrire à cette façon de voir, parce que nous espérons que pour son quinquennat, le chef de l'Etat fera inscrire parmi ses ‘grands chantiers’ la moralisation de la fonction politique, pour donner une meilleure image du personnel politique et effacer l'idée que postule la psychosociologie selon laquelle ‘l'homme politique ne s'encombre d'aucun scrupule dès lors que son intérêt est en jeu’.
Plusieurs, parmi les intervenants poussent à la roue pour soi-disant, donner une majorité confortable au chef de l'Etat à l'Assemblée nationale, alors qu'il ne fait aucun doute que le mandat de député qu'ils convoitent, ne sera rien d'autre que l'expression de leurs intérêts respectifs.
Nous ne doutons pas de ce que l'ordre sera maintenu lors des élections du 3 juin, mais l'expérience a montré qu'en maintenant l'ordre, on ne fait pas disparaître les conflits, on se contente d'en différer les effets sans pénétrer les causes. Sur un autre plan, il est à rappeler que ceux qui prônent la répression, manifestent une méconnaissance profonde de la nature humaine, parce que les opinions se nourrissent toujours de l'acharnement qu'on déploie à vouloir les combattre. Pour sa part, Spinoza estime qu'‘il est toujours plus sage d'écouter et de laisser s'exprimer les opinions lorsqu'elles n'appellent pas à la haine ou à la subversion’, surtout que rien ne s'oppose à un processus mettant en présence les protagonistes en vue d'instaurer le dialogue devant aboutir à établir leurs rapports sur une base consensuelle bénéficiant du soutien de l'opinion publique compte tenu de leur représentativité.
La vérité est que si les responsables politiques peuvent trouver ‘excuse’ les uns pour avoir décidé le boycott, les autres pour avoir refusé le dialogue avant l'organisation de nouvelles élections, le résultat de ces comportements que tous auraient pu éviter, pourrait les mettre en accusation devant l'Histoire et les générations futures. A ce propos, certains pourraient penser qu'il ne s'agit là que d'une vue de l'esprit, voire d'un catastrophisme mal à propos, mais pour en arriver à cette conclusion, nous nous sommes inspiré de ce qui s'était passé en 1990 lorsque l'opposition avait décidé le boycott des élections locales. En effet, le jour du vote, l'opposition qui avait décidé de faire un boycott actif, avait engagé les hostilités contre les forces de sécurité et les militants du Ps qui voulaient voter. Aux environs de midi, les affrontements étaient tellement violents qu'il s'en était fallu de peu pour que le pays soit plongé dans le chaos.
En relevant ce fait historiquement important, nous pensons faire œuvre utile en prenant le contre-pied de ceux qui, comme les primitifs de Freud, pensent que les violences collectives ne peuvent avoir lieu que dans les autres pays et non au Sénégal ; alors qu'ici comme ailleurs, il suffit parfois de peu, pour qu'un pays sombre dans la tourmente. Lorsqu'on assume une parcelle de responsabilité dans l'Etat, il est dangereux de ne pas admettre cette vérité universelle selon laquelle, les violences collectives ne sont l'apanage d'aucun peuple, et lors du sac de Rome en 400, il avait été tenté en vain de répondre aux questions des chrétiens, en donnant une explication rationnelle de l'origine des violences collectives. Et depuis, ni les philosophes, ni les psychanalystes, ni les psychologues n'ont pu fournir une explication rationnelle.
Il est de l'intérêt de tous que cette situation trouve une issue heureuse. Car pendant plus de deux décennies, le Pds s'est battu de toutes ses forces pour faire comprendre aux populations que, dans l'Etat républicain, la légitimité du pouvoir ne repose pas sur la force qu'il brandit, elle repose sur le consentement de ceux sur qui il s'exerce et sur sa vocation à servir l'intérêt général. Pendant plus de deux décennies, le Pds a enseigné aux populations les vertus de la démocratie libérale, c'est-à-dire l'égalité de tous et la liberté pour chacun. Pendant plus de deux décennies, le Pds s'est employé à faire comprendre au peuple qu'il était souverain et qu'il avait des droits de la citoyenneté.
En empruntant l'expression de l'histoirien Guizot, il peut être dit que le peuple s'est approprié cette ‘souveraineté’ comme un talisman à partir du 19 mars 2007, il entend en faire, coûte que coûte, sa propriété exclusive. C'est pourquoi, nous pensons qu'en tout état de cause, le Pds devrait parachever son œuvre historique, en imitant une démarche dans ce contexte nouveau. Mais pour réussir cette belle conclusion, il faut nécessairement accepter de passer d'un usage mécanique de la rhétorique et en quelque sorte conditionner la démocratie à un usage réflexif et critique permettant de prendre en compte l'opinion publique.
Le Pds ayant été l'initiateur et le moteur de l'évolution de la démocratie, seul le chef de l'Etat, secrétaire général de ce parti, a une ‘mise’ d'ordre historique sur la balance. Mais fort heureusement, l'article 42 faisant de lui le gardien de la Constitution, permet au président de la République de remédier à la situation dans la légalité.
En effet, il serait inconcevable qu'en matière pénale, on puisse renvoyer une affaire d'une juridiction à une autre pour la sauvegarde de l'ordre public (la sûreté publique), et qu'en l'espèce, bien que des troubles à l'ordre public soient prévisibles, l'intervention du chef de l'Etat, gardien de la Constitution, ne s'impose pas, alors que l'un et l'autre cas trouvent leur fondement constitutionnel dans l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 et par ailleurs, dans l'article 23-1 de la Charte africaine des droits de l'Homme.
Au total et en considération de ce qui précède, l'on ne peut s'empêcher de se demander si le chef de l'Etat, oubliant les conseils que lui avait prodigués son ami, le sage de Yamoussoukro, se laissera entraîner hors du sillage du crédo politique qu'il a toujours prôné et qui justifiait la foi aveugle que ses compagnons de lutte lui ont de tout temps témoignée.
Souleymane NDIAYE Docteur en Droit et Sciences criminelles Officier à la retraite