l’éligibilité et le financement
Ibrahima Dia, Directeur général du Mca : «Le Sénégal peut perdre l’éligibilité et le financement»
La Mission sénégalaise de formulation et de gestion du Mca, dont une bonne partie a été sélectionnée dans l’Agence nationale du Millenium challenge account, a été placée sous les feux des projecteurs avec l’éligibilité du Sénégal et la signature par le pays de l’accord de financement de plus de270 milliards de francs Cfa du peuple américain. Dans l’entretien qui suit, le Directeur général Ibrahima Dia appelle le gouvernement et le pays à ne pas relâcher les efforts en ce qui concerne la mise en œuvre des libertés, les soins à prodiguer aux couches défavorisées, et l’éducation des enfants, en particulier des filles. Tous ces éléments constituent, avec d’autres, des indicateurs qui peuvent déterminer, pour les Américains, si nous méritons, année après année, de bénéficier de leur argent.
Le Sénégal a été sélectionné dans le Mca. Et on a beaucoup parlé des financements que le Sénégal va recevoir et des travaux qui vont être engagés. Vous qui êtes chargé de cette question pouvez-vous nous dire en ce moment ou en est le programme du Mca pour le Sénégal ?
Ce qu’il faut préciser, c’est que le Sénégal est éligible, mais cette éligibilité est toujours sujette à contrôle. Chaque année, les critères sont revus en fonction de la performance du pays sur les différentes catégories de critères d’éligibilité. Que ce soit les critères liés à la gouvernance politique, à la gouvernance sociale, à l’investissement social et ceux liés à la gouvernance économique. Parmi ces indicateurs, il y en a qui sont éliminatoires, sur lesquels nous devons veiller particulièrement. Notamment, sur les questions liées aux libertés économiques, aux libertés de la presse, aux questions politiques. En dehors de ces aspects-là, il y a d’autres aspects importants. Un pays éligible, c’est un pays qui investit sur sa population, avec un taux d’immunisation des enfants important et également, un taux d’achèvement scolaire pour les filles. Et là où nous avons encore des problèmes sérieux, c’est le taux d’achèvement des filles, qui est encore faible comparé aux autres pays avec lesquels nous sommes en compétition.
Au niveau économique, nous avons fait des progrès importants, mais ce sont des progrès qui sont également faits par d’autres pays notamment en matière de réduction des délais de création d’entreprises. Mais également, en matière de temps passé à la douane etc. Mais nous avons aussi des défis extrêmement importants à relever au niveau du droit foncier et au niveau de notre déficit budgétaire. Et sur toutes ces questions, le gouvernement doit travailler pour que l’année prochaine, nous ayons de meilleurs chiffres, puisque nous sommes en compétition avec les autres. Et si les autres progressent et que nous ne faisons pas de progrès, on peut remettre en cause les accords sur lesquels nous sommes en train de travailler. Par ailleurs, sur les projets sur lesquels nous sommes engagés avec la partie américaine, il y a un certain nombre d’engagements sur lesquels nous sommes en train de travailler.
Par rapport à ce programme, on peut dire que nous avons démarré la mise en œuvre bien avant la signature si on peut l’appeler ainsi et dès la signature, nous avons continué le processus de mise en œuvre. Donc l’accord de financement de 540 millions de dollars qu’on a signé, vient s’ajouter à un premier préaccord qu’on avait déjà signé. Et aujourd’hui, c’est sur ce premier accord de 13 millions de dollars que nous sommes en train de démarrer le processus de mise en œuvre. Notre disposition de mise en œuvre comprend un ensemble d’instruments qui vont assurer la mise en œuvre. Ce sont d’abord des services qui sont externalisés comme l’agence de passation des marchés et l’agence fiduciaire comme comptable externe.
Ces agences dont vous parlez, qu’ont-elles à voir avec les structures que l’Etat a mises en place, comme l’Armp et autres ?
Cela n’a rien à voir. Dans les accords de financement Mcc (Millennium challenge corporation, Ndlr), nous avons une indépendance totale par rapport aux structures établies. Donc l’objectif, dans le modèle Mcc, c’est de recruter un privé qui est au service de la structure et c’est lui qui prépare tous les éléments liés à la passation des marchés. Ce sont les procédures du Mcc qui sont appliquées et c’est une exception, qui est dans la convention, de dire qu’on n’applique pas les conventions nationales mais celles du Mcc. C’est ce qui fait qu’on n’aura pas recours à la Dcmp, et donc, la procédure de recours par rapport à l’Armp ne s’applique pas. Le recours va se faire auprès d’une instance du Mcc en cas de contestation. C’est la méthode Mcc, qui est appliquée aussi bien au Sénégal qu’au Mali, au Nicaragua et dans les 19 pays où le Mcc existe déjà. Donc, c’est une démarche cohérente et globale. Et le Mcc étant une agence américaine, gérant l’argent du contribuable américain, il applique certaines règles de la loi américaine quel que soit le pays. Et également, pour qu’il y ait une cohérence et une comparaison possible, on ne peut pas appliquer des textes différents d’un pays à un autre. C’est la raison de ce dispositif.
Et vous pensez que c’est bien pour le Sénégal ? Que cela apporte un plus par rapport à ce que nous avons ?
Cela apporte beaucoup. Parce que nous avons déjà expérimenté ce dispositif dans les procédures de sélection de l’agence de passation des marchés, et de l’agent fiduciaire. Nous avons fait des appels d’offres, nous avons suivi un certain nombre de procédures, et l’approche qui est suivie par le Mcc, beaucoup de gens qui ont participé au processus, souhaitent qu’elle soit appliquée dans le processus de passation des marchés au Sénégal. Donc, il y a un plus au niveau technique, et le fait d’externaliser à un privé ce travail de préparation, amène un plus parce que cela sépare les tâches et les responsabilités. Dans le dispositif actuel, on a des cellules de passation des marchés internes. Mais, là, on n’a pas de cellule interne, on externalise en prenant un panel d’experts qui fait l’évaluation. Et beaucoup de gens qui ont participé au processus estiment que c’est un plus que le Sénégal aurait intérêt à approuver. Donc quelque part, derrière ce modèle, il y a un certain nombre de principes et de philosophies d’une démarche américaine qu’on tente de promouvoir. Donc, la séparation des rôles, la responsabilisation, le fait d’éviter au maximum des conflits d’intérêts, sont des principes qui sont ici mises davantage en avant. Cela permet d’aller beaucoup plus vite et permet d’avoir des professionnels qui ne font que ça et qui sont redevables par rapport à nous en termes de résultats. Ou bien encore de traiter une somme de marchés dans un délai relativement court. Ce qui aurait été difficile si on avait utilisé la démarche classique utilisée au niveau de nos structures. Si vous voyez, nous avons déjà lancé les plans des passations des marchés. Nous avons lancé déjà deux marchés pour l’irrigation. Et cela n’aurait pas été possible sans une agence externe de passation des marchés. Des professionnels dont c’est le boulot, et qui ont obligation de résultat et de délais. Et les premiers résultats que nous avons, montrent que le modèle est bon.
A quelle étape cette mise en œuvre doit-elle prendre fin ?
Cette mise en œuvre prend fin dans les cinq ans au maximum. Et dans notre planification, nous accélérons le processus des études de design pour les routes, pour l’irrigation puisque nous avons anticipé par rapport à d’autres pays. L’essentiel des pays qui ont signé les compacts n’ont démarré les études de faisabilité qu’après la signature. Nous avons non seulement terminé les études de préfaisabilité et de faisabilité mais nous avons fait, pour certains projets, des études jusqu’aux dossiers d’appels d’offres (Dao). Pour les routes, nous avons fait des Dao, pour l’irrigation, nous avons fait des dossiers d’avant projet sommaires et on est en train de faire le design des infrastructures. Donc, nous avons gagné plus d’un an par rapport au processus normal du Mcc. Ce qui veut dire qu’au lieu de cinq ans, nous aurons terminé la réalisation des infrastructures en trois ans, trois ans et demi. Et nous aurons le temps nécessaire pour évaluer les résultats, les impacts et pouvoir faire une bonne réception des travaux avant les délais de cinq ans qui sont des délais obligatoires pour tout réaliser sinon, il faut rendre l’argent.
Au Sénégal, depuis une certaine période, c’est la commande publique qui tire l’économie. Peut-on espérer avec ces projets, voir des entreprises sénégalaises profiter pleinement des travaux qui seront réalisés ?
Je l’espère, et je le souhaite. Mais nous allons engager des appels d’offres au niveau international, donc c’est une compétition qui va se faire. Et l’on estime que si nos entreprises sont compétitives, et elles devraient l’être en termes de coûts puisqu’elles sont là, logiquement, elles ne devraient pas être plus chères que des entreprises qui viendraient de plus loin, elles connaissent le terrain et ont l’expérience surtout en matière de Btp. Donc nous espérons qu’elles vont trouver des opportunités, car ce sont des commandes extrêmement importantes. Sur l’irrigation, plus de 80 milliards de marché, sur les routes plus de 180 à 200 milliards de marché sans compter les marchés pour les fournitures, les services, la consultation. Et donc, il y a énormément de marchés pour lesquels nos entreprises devraient se préparer à être compétitives et préparer de bons dossiers et s’informer pour connaître les exigences du Mcc. Parce que nous avons des exigences en matière de préparation de dossier et de réponse aux questions que nous posons dans les Dao. Donc, c’est aux entreprises de se préparer et de ne pas se prendre à la légère, parce que les marchés ne seront pas donnés et il n’y aura pas de faveurs pour les entreprises locales. Elles devront se battre et montrer que le fait d’être locales est un avantage et cela doit se traduire par une meilleure connaissance de l’affaire en termes d’offres techniques et de meilleurs coûts. Et c’est le pays qui va en bénéficier si les coûts sont moins élevés que ce qu’on a habituellement.
Nous avons tendance à entendre des chiffres tellement énormes en ce qui concerne les infrastructures dans ce pays qu’en voyant les 270 milliards du Mca, on se dit que, pour tous les travaux qui doivent être réalisés, c’est dérisoire par rapport à ce qui s’est fait ces derniers temps.
En tout cas, nous avons fait des études très sérieuses pour connaître réellement l’ampleur et l’amplitude des travaux. Sur la Route nationale 6 de Ziguinchor, qui est extrêmement dégradée, avec des ponts dégradés. C’est une zone de haute pluviométrie, donc il y a énormément de travaux d’assainissement, énormément de ponts à faire. C’est une route stratégique et il faut la faire très solide, parce qu’il y aura des camions qui vont l’emprunter. Et c’est une route qu’il faut élargir. Sur cette base, nous avons fait des études très sérieuses, et le Mcc a fait vérifier ces études par ses propres experts et par des bureaux indépendants, pour s’assurer que les coûts que nous avons sont réalistes et faisables. Sur ce plan là, nous savons que techniquement, nous n’aurons pas de surprise. Nous avons pris toutes les marges pour être sûrs de tout maîtriser. Souvent dans les routes, et de manière générale, pour tous les travaux, ce qui peut augmenter les coûts, c’est l’insuffisance d’études techniques préalables. C’est important de bien faire les études, d’évaluer tous les coûts et d’évaluer un certain nombre de facteurs de risque. Si tout cela est bien évalué, normalement, on a une maîtrise des coûts. Mais ce n’est pas seulement le Sénégal. Même l’expert du Mcc dans les autres pays montre que quelques fois, l’évaluation des coûts était faite, et au moment de la réalisation, les coûts ont augmenté de 40 ou 60tout simplement parce qu’on s’était arrêté, lorsqu’on prenait des engagements, à une étude de préfaisabilité. Avec ça, vous avez une évaluation très sommaire et lorsque vous allez vous engager la-dessus, l’entreprise peut sortir des choses que vous n’aviez pas prévues et vous êtes obligés de suivre, et ça peut augmenter les coûts.
Vous parlez des études bien faites mais l’une des contraintes de ce financement Mca, c’est le temps. Je crois qu’au bout de cinq ans, si les travaux ne sont pas réalisés, le Sénégal est tenu de rembourser les fonds. Et nous savons que dans les travaux d’infrastructures, il est très difficile de tenir les temps. On a souvent vu du fait des avenants, de mauvaises appréciations, des délais souvent dépassés. Vous êtes-vous prémuni contre ça ?
On s’est prémuni en prenant le soin de bien faire les études. Parce que tout revient à ça. Les avenants, c’est parce qu’on n’avait pas pris en compte beaucoup d’impondérables. Ce qu’on appelle les incertitudes techniques et financières. Par exemple, le coût du dollar quand ça varie, est-ce que là où vous devez trouver le matériau de construction, est-ce que c’est disponible à côté ? Et quelle est la quantité disponible ? Par exemple on commence des travaux et on se rend compte que là où on devait prendre la latérite, il n’y en a pas suffisamment et il faut aller beaucoup plus loin pour en trouver et donc augmenter les coûts. Il y a un avenant à faire parce qu’on n’avait pas bien évalué. Tous ces risques là, on a pris le soin de faire une analyse pour voir les facteurs qui font augmenter les coûts. Nous avons discuté avec les autres Mcc pour voir les erreurs qu’ils ont commises, nous avons regardé les marchés nationaux, nous avons vu là ou le bât a blessé. On ne peut pas dire qu’on a à 100ris toutes les dispositions, mais on a analysé de façon scientifique, les facteurs qui influencent le plus les coûts et ces erreurs et le temps pour les prendre en compte dans nos études et dans la phase de préparation. Deuxième chose qui fait que les marchés débordent, c’est l’absence d’une bonne planification. Les gens font une planification pas très précise, au pif et s’engagent très vite à signer des contrats, alors que la planification n’est pas bien faite. Là, nous avons essayé de beaucoup mettre l’accent sur une bonne planification, une planification réaliste. Troisième chose sur laquelle on va beaucoup veiller, c’est le contrôle des travaux. Dans ce modèle que nous appliquons, qui est le modèle Fédération internationale pour les constructions (Fidic), il y a des rigueurs qui sont exigées et dans notre modèle, un bureau de contrôle va contrôler et une agence d’exécution, qui est l’Aatr pour les routes va superviser le travail du bureau de contrôle et de l’entreprise. Et il y a nous-mêmes, qui faisons le chemin global de l’ensemble du dispositif. Et chacun doit rendre compte, avec des délais, des pénalités, des obligations. Ensuite, ce qui est souvent problématique, c’est que, quand il y a des erreurs, des problèmes ou des mésententes avec l’entreprise, on est souvent dans l’expectative en attendant une solution. Nous avons prévu dans le dispositif et dans les règles du Mcc, de recruter ou d’avoir un contrat avec une structure d’intermédiation. S’il y a une mésentente sur le contrat ou sur quelque chose, nous faisons recours à ce médiateur pour trouver tout de suite une solution. Ça nous permet de ne pas attendre très longtemps, de perdre du temps, car c’est aussi une contrainte quand on doit aller en justice parce qu’on n’avait pas une compréhension du contrat. Nous allons avoir un médiateur réputé au niveau international, accepté par les deux parties. Comme ca, on s’assure qu’en cas de difficulté, le médiateur est là et que ça n’arrête pas le travail.
Autre disposition que nous prenons, c’est de bien travailler les contrats. S’assurer que les contrats sont bien faits. Car, dans la plupart des cas aussi, c’est fait à la va-vite et il y a pleins de choses qui ne sont pas claires et qui peuvent être objet d’interprétation. Ce sont les dispositions que nous avons prises, connaissant la contrainte de délai que nous avons, et le risque que nous ne voulons pas faire prendre au pays, de devoir rembourser l’argent comme d’autres pays ont été contraints de le faire, ou de redimensionner leur projet dans le cadre du Mcc parce qu’ils n’avaient pas terminé les travaux.
Revenons au tableau de performance dont vous parliez au début. Les performances du Sénégal en matière de justice, d’intérêt pour les populations et les performances financières et économiques devraient être suivies et évaluées tout le temps que les travaux sont réalisés ?
C’est exactement ça. Nous devons non seulement les suivre et les maintenir mais aussi les améliorer. Le gros risque et qui n’est pas technique, c’est sur les indicateurs d’éligibilité. Surtout sur la première partie, qui concerne la gouvernance politique et civile. Des pays ont été suspendus parce qu’il y a eu des élections mal faites, des contestations sur les élections ou des troubles post-électoraux. Parce que le gouvernement ou les acteurs ont mal agi. Il y a des pays suspendus parce qu’il y a eu des trafics d’enfants très importants ou même des trafics de femmes. Je ne veux pas citer, mais il des pays de l’Europe de l’Est qui ont été suspendus le temps qu’on règle cette question. Et pendant ce temps, on est obligé de tout arrêter. Notamment la supervision du Mcc. Et comme c’est un système où il faut toujours avoir l’avis du Mcc, s’il ne travaille plus, la situation est bloquée. Nous devons veiller à ces questions et parmi elles, je pense qu’au Sénégal, nous avons des défis. Et un des défis, c’est celui lié au trafic des enfants. Il ya des rapports assez alarmants et la question des enfants nous pose des problèmes.
Vous pensez aux talibés…
Les talibés, et les gens qui viennent des autres régions, et qu’on jette dans la mendicité. C’est un gros problème et beaucoup de rapports le mettent en évidence. Le gouvernement a même fait récemment un Conseil interministériel là-dessus et nous devons prendre des mesures très sévères là-dessus. Et donner un message très clair que le Sénégal n’accepte pas ça, et lutte réellement pour l’éradiquer. C’est vraiment un combat important, parce que ça peut nous valoir des blocages. D’autres questions sur lesquelles nous devons veiller, c’est la liberté de la presse, qui a bloqué certains pays suspendus, parce qu’il y a eu des atteintes importantes aux libertés de presse. Même si ce n’est pas le gouvernement, on s’attend à ce qu’il y’ait des messages clairs et des comportements qui montrent qu’il veut promouvoir les libertés de presse. Ce sont des facteurs qui peuvent arrêter ou bloquer un projet. En dehors de cela, sur les autres questions, nous avons des performances importantes, en termes d’investissement sur les populations et nous sommes au-dessus de la médiane en ce qui concerne les ressources affectées à l’éducation, surtout l’éducation primaire. De ce point de vue, on est bon, mais on a des faiblesses importantes en matière de taux d’achèvement, surtout en ce qui concerne les filles. Et quand un indicateur reste rouge pendant plusieurs années, ca commence à poser des problèmes. Soit le gouvernement ne fait pas suffisamment d’efforts, soit il se pose un problème d’efficacité. Là, c’est la question de l’efficacité de ces dépenses publiques vers l’éducation qui se pose. Et la manière de mesurer le taux d’achèvement. Il y a donc un défi à relever en matière de plans d’actions et de réalisations, pour montrer comment on va faire pour maintenir les filles à l’école. On est dans le rouge, on est toujours à la traîne et les performances ne s’améliorent pas, si on compare avec les autres pays où il y a des progrès énormes. Troisième chose, on a encore des déficits importants en matière de liberté économique et un des facteurs, ce sont les questions foncières. Là également, depuis trois années, nous n’avons pas de bonnes performances, et c’est quelque chose à améliorer. Et l’un des volets de notre programme Mca, c’est la sécurisation foncière dans les zones d’intervention. Un autre problème, c’est le déficit budgétaire, et on souhaite qu’il y ait des améliorations.
Dans cette dernière partie de l’entretien, le Directeur du Mca du Sénégal veut montrer comment le modèle mis en place pour le programme américain, pourrait servir de canevas aux autres programmes de développement du pays, et il souhaite que tout le pays, dans ses différentes composantes, se l’approprie, en fasse un élément fédérateur, et veille à sa réussite.
«Il nous faut un consensus national autour du Mca»
Une dernière question très importante et que les Sénégalais aiment beaucoup. Qui va gérer l’argent du Mca ?
L’argent du Mca va être géré par Mca Sénégal, qui est une entité responsable créée par décret signé par le président de la République. C’est une entité responsable, autonome et sénégalaise qui va gérer l’argent. Parce que le principe du Mca, c’est le principe du Ownership, de l’appropriation. C’est le pays qui est propriétaire de l’argent. La philosophie de base du Mca, c’est de dire que le contribuable américain donne de l’argent au citoyen sénégalais pour réduire sa pauvreté. Et tous les gens qui sont entre les deux sont des intermédiaires. Le gouvernement américain est un intermédiaire, le gouvernement sénégalais est un intermédiaire et tous les deux acceptent de mettre en place un intermédiaire unique, qui est Mca Sénégal, qui est responsable et qui va gérer l’argent. Donc le premier responsable, c’est le directeur de Mca Sénégal, qui engage sa responsabilité personnelle. Et avec son équipe, ils ont une autonomie de gestion et de responsabilité. Pour les Américains, la responsabilité, c’est un concept très important. Chacun est responsable de ce qu’il doit faire et doit le faire et rendre compte.
Donc, c’est nous qui allons gérer ces ressources pour le peuple sénégalais et qui allons rendre compte au contribuable américain, via le Mcc. Contrairement aux autres pays où il y a une agence qui est présente, comme l’Usaid pour les Usa, l’Afd pour la France ou encore la Banque mondiale. Ici c’est uniquement Mca Sénégal qui gère et le Mcc délègue un représentant-résident qui sera là avec sa secrétaire et son chauffeur, pour donner les avis de non objection et éviter qu’on aille toujours à Washington et qu’on fasse des va-et-vient. C’était un problème qui a été soulevé plusieurs fois dans le cadre de la déclaration de Paris. Comme quoi, les retards sont dus aux décaissements, au fait que le siège soit à l’extérieur. Et dans le modèle Mcc, il y a un représentant-résident pour gérer ces aspects, ainsi que les missions de contrôle du Mcc. Puisque le responsable est contrôlé à la fois par Mcc et par le gouvernement américain à travers le trésor américain. Les audits sont faits. Du côté sénégalais également, la Cour des comptes fait ses audits. Donc nous serons audités et suivis des deux côtés par les instances du gouvernement sénégalais et par les instances du trésor américain. Les missions d’audit, de contrôle, les missions qui donnent des avis techniques et des avis sur tout le processus de passation des marchés, sont assurées par cette mission résidante qui sert de lien avec le Mcc à Washington.
Mais étant des fonctionnaires de l’Etat, ne pourrait-il pas arriver qu’en cours de mission, l’on décide de vous changer de mission ou de vous contraindre à destiner ces fonds que vous gérez à d’autres usages ?
C’est ça qui fait la différence. Le personnel est recruté de manière concurrentielle. Donc ce ne sont pas des fonctionnaires qui sont au Mca Sénégal. Il y a eu un appel d’offres au mois d’août et tous les postes ont été ouverts. Mfg Mca que je dirigeais, qui a fait la formulation, sa mission prenait fin après l’entrée en vigueur de la convention de financement. Aujourd’hui, le gouvernement doit ratifier la convention de financement qui est déjà passée à l’Assemblée et au Senat. Le gouvernement va prendre un décret qui va créer Mca Sénégal et dissoudre Mfg Mca qui faisait le travail jusque-là. Et le Mcc a exigé qu’il y ait un appel à candidature pour tous les postes, y compris celui de Directeur de Mca Sénégal. Le personnel qui va gérer la ressource, l’unité responsable est composée de gens recrutés de manière concurrentielle et indépendante. Donc même si la structure dépend de la Primature, c’est une structure autonome et indépendante et les gens sont là sur la base d’un contrat et sont indépendants politiquement et techniquement.
Sur quelle question aimeriez-vous conclure ?
Juste des éléments sur lesquels on pourrait davantage mettre l’accent. Ce programme pourrait servir de modèle. C’est la première fois qu’un tel programme a été conçu de cette manière et qu’on est arrivé à gagner autant de temps et à avoir une qualité de préparation pareille. Mais surtout, le modèle de développement que nous proposons, à savoir de développer des pôles économiques, il nous faut le réussir. Et une fois qu’on l’a réussi, on souhaiterait que les autres partenaires du Sénégal puissent laisser le pays développer son modèle à partir de ce modèle de développement. A partir de ce moment, toutes les parties du Sénégal pourraient être considérées comme des pôles économiques. Et qu’on concentre des ressources au niveau de ces pôles économiques dans les infrastructures, dans l’agriculture, dans les secteurs qui sont porteurs. Notre souhait, c’est qu’au-delà de ce que nous allons faire, le modèle puisse porter. Je pense qu’il y a un consensus national et c’est aussi un élément sur lequel nous insistons, puisque c’est de l’argent du contribuable américain remis aux Sénégalais, ce ne sont pas des ressources pour un parti politique ou pour une vision politique. Il faut un consensus national sur le programme comme aux Usa, où le Mcc était un consensus entre Démocrates et Républicains. C’est un modèle bipartisan et tout le monde est d’accord qu’il faut faire ça. Aux Etats-Unis, on ne dit pas que c’est Georges Bush ou ce sont les Républicains. Non, ce sont les Républicains et les Démocrates qui sont d’accord qu’il faut faire ça. Il faut également que de notre côté, on ait la même compréhension, qu’on discute du contenu du programme, de ce qu’on va réaliser dans ces pôles, la Casamance, la Région du fleuve. Et c’est sur cela que j’aurais souhaité qu’il y ait un débat national pour qu’on puisse renforcer ce modèle pour le bien du pays, puisque dans tous les cas, quel que soit ce qu’on va faire, c’est pour aider le Sénégal à prendre le sentier de la croissance pour réduire fortement la pauvreté. Et je pense que c’est un objectif qui est partagé je crois par toute la classe politique que ces deux régions sur lesquelles nous investissons sont des régions à fort potentiel et qu’on a raison d’y investir. Ce sont des messages que nous voulons renforcer pour que la partie américaine sache que nous avons raison de faire ce qu’on a fait et que nous avons tout le soutien qu’il faut, politique, administratif de tout le Sénégal. Tout ce que nous faisons doit passer par le développement de ces régions périphériques.
Propos recueillis par Mohamed GUEYE
mgueye@lequotidien.sn