pour 1 Président !
Deux pays pour un Président
Mercredi 26 septembre 2007. Un des pays commémore dans la tristesse et la souffrance le cinquième anniversaire du naufrage le plus tragique et le plus meurtrier que l’humanité ait connu : près de 2 000 victimes de notre négligence et irresponsabilité qui plongent brutalement dans la précarité des milliers d’orphelins et de veuves. Il sèche aujourd’hui ses larmes en souvenir de ses morts, mais vit tous les jours de douleur, de complaintes et de pleurs, car tout lui manque dans son environnement hostile où ses fils meurent de tout et de rien : paludisme, choléra, tétanos, fièvre jaune, tuberculose etc. Devoir de mémoire, refus d’oublier comme en ont fait de son sort, ses mandataires de 2000. Plutôt que de tenir leurs promesses d’alléger ses peines, ils ont préféré la sécession, diviser le pays en deux et s’emmurer dans un territoire où le revenu par tête dépasse celui de beaucoup de pays développés. C’est ce deuxième pays qui accueille, installe et fête loin de la tristesse du jour ses sénateurs, nouveaux élus du super-président et tout heureux de rejoindre le cercle restreint des privilégiés qui comptent en millions, parlent en espèces sonnantes et trébuchantes, roulent sous escorte et se la coulent douce. Pays de l’abondance de l’insouciance, de la bombance, de la réjouissance et des vacances.
En 2001, lorsque les deux pays formaient encore un seul, les populations consultées par voie référendaire s’étaient prononcées pour la suppression du Sénat. Aujourd’hui, il est ressuscité sans son consentement et ses recrues, comme pour les narguer, fêtent leur promotion pendant ces moments de douleur.
Au cours des sept années de législature passées pas moins d’une dizaine de projets de lois portant modification de la Constitution n’a été introduite et votée ; certains pour renforcer et conserver le pouvoir et d’autres pour ouvrir de nouvelles carrières rémunératrices aux politiciens professionnels qui ont fait de la politique, dont ils vivent, un métier à plein temps. Une série d’actes arbitraires contre la volonté et les intérêts du peuple qui finissent par créer une fracture sociale ouverte, un fossé entre deux mondes coupés l’un de l’autre. Un triste record mondial de la honte pour une démocratie. On peut, par exemple, tout reprocher aux Américains sauf de ne pas honorer leur Constitution. Ils lui vouent une profonde vénération qui inspire la confiance des citoyens au système et assure la stabilité politique.
Le Sénégal a un chef d’Etat en conflit permanent avec l’ordre institutionnel par sa forte propension à personnaliser le pouvoir, à vouloir à ses côtés des subordonnés qui témoignent plus de loyauté et de fidélité à sa personne qu’à leur fonction. Ce qui a contribué à le démythifier. La légitimité trouve son fondement dans la croyance aux capacités de l’autorité à respecter ses promesses, à satisfaire les besoins et à faire preuve d’éthique et de morale. Ses manquements altèrent sa crédibilité. L’Etat représente, par exemple, pour la société, ce que le chef de ménage symbolise pour sa famille. Si ce dernier n’entretenait point sa famille, son statut reconnu de chef s’effriterait à la longue ; et s’il y parvenait tout en manquant d’équité, de justice et d’intégrité, les prêches du meilleur guide religieux ne pourraient non plus restaurer l’équilibre familial, préserver l’autorité en faisant respecter les règles de politesse et d’obéissance ; et s’il devait enfin recourir à la menace et à la violence physique pour y arriver, cela ne durerait pas longtemps. La reconnaissance de sa légitimité par ses qualités exceptionnelles est un instrument plus puissant que la coercition.
La multiplication des institutions et de leurs effectifs, la pléthore de ministres, de conseillers, de ministres-conseillers, la création d’agences-ministères et de nouvelles ambassades, la corruption, la concussion et les malversations ont lourdement entaché le soutien de la grande majorité à l’alternance et à ses dirigeants. Or sans soutien, le respect et la reconnaissance dûs à l’autorité et aux institutions s’effondrent. L’image diffusée chaque semaine pour rendre compte des Conseils de ministres n’est pas reluisante : des personnalités de l’Etat sont assises à l’étroit devant des micros autour d’un périmètre de tables pourtant très vaste. Le transfert de leur rencontre hebdomadaire à l’Hémicycle les mettrait peut-être davantage à l’aise. Du reste, peu de personnes accordent maintenant de l’importance aux activités des gouvernants parce qu’ils ont l’impression de ne pas être sur la même longueur d’ondes qu’eux : quand ils ont pour préoccupation la satisfaction de leurs besoins primaires en nourriture, électricité et logement, on leur promet des Tgv, des villas présidentielles et un sommet de rêve : un langage de sourds entre deux entités en complète déphasage : le Sénégal émergé de la nomenklatura qui bamboche aux frais du Sénégal immergé des damnés, qui coule.
Abdoulaye BADIANE - Professeur d’Economie au L.S.L.L / Abadja2@yahoo.fr