Le Printemps des ‘arguments’ contre Latif
Le Printemps des ‘arguments’ contre Latif
Il fait encore la une des médias. Il a encore remis le couteau dans la plaie, avec son nouvel ouvrage, Contes et mécomptes de l’Anoci (Paris : Harmattan, 2009). Cette plaie profonde qui fait mal et qui pue. Une puanteur qui ne laisse personne indifférent, même ceux qui avaient déjà fini de perdre espoir. Il, c’est bien sûr Abdou Latif Coulibaly, journaliste d’investigation sénégalais. Mais pour ne pas parler de lui, de ce symbole qui résiste encore au milieu de cet orage menaçant qui crée le vertige et promet l’ensevelissement, j’aimerais bien tendre l’oreille à l’autre partie, fidèle que je suis à l’injonction romaine : ‘audi alteram partem !’
J’étais à la limite moins intéressé par le contenu du livre de Latif que par les réactions du camp de ceux dont la gestion est décriée par ledit ouvrage. L’argumentation a certes fait foison, mais elle manque de cohérence et de rigueur.
Premier argument : Latif a été la plume de certains ministres bien au vent des faits qu’il relate. Je suis tenté de dire, ‘et alors ?’. Mais quelque part, une voix intérieure m’interdit ce mépris car, après tout, si c’était le cas, ç’aurait été grave, vu les positions qu’occupent ces hommes dans la sphère étatique sénégalaise et vu leurs ‘implications’ dans certaines décisions importantes qui engagent la destinée de notre pays. Le tribunal de la conscience pourrait prononcer alors à leur encontre la sentence du délit ‘de comportement immoral visant à se soustraire de leurs responsabilités tout en faisant condamner les collègues supposés responsables et coupables’. Mais on n’en est pas encore là, d’autant qu’à la sortie de ses livres précédents, les pourfendeurs de Latif le dénonçaient en soupçonnant d’autres mains/têtes cachées derrière. Et demain, on en inventera encore des teinturiers pour ne pas confronter la réalité criarde et la vérité aveuglante des faits. Ce type d’argument vicieux qui n’a de vertu que sa légèreté témoigne du manque de sérieux et de la mauvaise conscience de ses auteurs.
Un autre argument a consisté à dire que ‘des traites se nichant au fond des placards de l’Anoci ont sans doute filé à Latif le pot aux roses’. Et alors ? Suis-je encore tenté de rétorquer. Quand des individus, contraints pour une raison ou une autre, à faire partie d’une mascarade ou à jouer les rôles dans un conte funeste, décident de se repentir de leurs péchés en livrant à la lumière du jour les vraies informations, ne devrait-on pas s’en réjouir ? La reconnaissance de la faute n’est-elle pas le début du salut, comme disait l’autre ?
Quoique rachitique, cet argument recèle, cependant, quelque chose d’intéressant en ce qu’il ne nie plus la vérité contenue dans les dossiers, mais questionne plutôt la manière dont Latif s’est procuré les documents. Aveu ne pourrait être plus clair !
Il y a ceux qui ont préféré jouer une carte encore plus objective et ‘intellectuelle’, stipulant que les chiffres avancés par Latif sont erronés. Pour dire vrai, je préfère ce genre d’argument, car il pointe du doigt une proposition ou une affirmation dont il reste encore à établir la correspondance avec la réalité, les choses concrètes. C’est donc un genre d’argument qui nécessite un travail additionnel de comparaison et de confrontation avec les faits. Seulement, les auteurs de tels raisonnements font face à un défi certain qui est de montrer d’abord en quoi les chiffres de Latif sont faux. Mais le véritable travail d’Hercule consistera à démonter l’argument premier de Latif qui maintient que lesdits chiffres sont livrés directement par l’Anoci elle-même. Donc, ou bien ce qu’avance Latif est faux, et auquel cas, il court des risques graves, ou bien Latif a raison et l’Anoci a alors atteint son sommet vertigineux.
Un autre type d’argument a consisté à convoquer l’histoire, en stipulant que le Parti socialiste aurait fait pire quand il organisait le Sommet de l’Oci en 1993. Tout est construit comme si la justification d’un acte délictueux et immoral, peut se faire en convoquant le fait d’un autre acte similaire commis par une autre personne. Je me demande si les auteurs de ce type d’argumentaire se rendent compte de la gravité de leurs propos. Car suivre cette logique équivaudrait à tout justifier et à tout permettre aussi longtemps qu’on peut trouver un exemple dans les pages de l’histoire, si lointaine qu’elle soit. La conséquence d’un tel exercice pernicieux est un anarchisme légitime et légitimé qui ne pourra jamais garantir l’épanouissement de l’être humain. Car il sera permis de tuer puisque quelqu’un l’a déjà fait ; il sera permis de voler, car des voleurs croupissent en prison ; il sera permis de mentir car les menteurs font foison... Donc d’interdit, il y aura que si l’acte que l’on pose n’a pas eu de précédent. L’interdit et la jurisprudence coïncident ! Quel malheur !
J’ai entendu aussi d’autres marteler l’argument selon lequel Latif s’acharne sur le président de la République et sa famille. La minceur de cet argument repose sur les faits que non seulement, il ne répond pas aux accusations accablantes contenues dans le livre, mais il promeut lui-même un mélange grave entre l’institution et l’homme public que représente le président et Abdoulaye Wade, le citoyen lambda. Un tel amalgame qui est hélas la panacée dans le contexte africain en général et dans le cercle wadien en particulier, constitue un des freins à la bonne marche de la démocratie. Il y a ceux qui en usent comme diversion et les ignorants qui n’en ont cure. Mais l’argument de l’acharnement aura du mal à prospérer, car la bibliographie de l’auteur des Contes et Mécomptes de l’Anoci est riche d’autres ouvrages - hélas passés inaperçus et qui n’ont rien à voir avec Abdoulaye Wade - comme La ressuscitée et Le Sénégal à l’épreuve de la démocratie. Si acharnement il y a, il viendrait plutôt du camp de ceux qui éprouvent une psychose indescriptible de la lumière et de la transparence. Ceux qui ont jusque-là parlé, auraient mieux fait de se taire, car leurs pseudo-arguments n’ont fait que renforcer la position de Latif. On espère que les arguments des responsables de l’Anoci seront fournis et convainquants.
Toutefois, ces réactions au brûlot de Latif ne sont qu’un épiphénomène, l’arbre qui cache la forêt. Le mal est plus profond, qui réside dans la problématique même du débat politique dans son ensemble. En effet, nos fameux avocats du dimanche se contentent de dénoncer et de condamner des personnes comme Latif, sans pour autant prendre le soin de livrer des arguments solides sur la nature et la véracité des propos avancés par ce dernier. On ne s’attaque pas aux faits, mais aux personnes, en mettant en question leur crédibilité : c’est le fameux ‘argumentum ad hominem’, très prisé par le cercle des rhétoriciens en herbe, maîtres dans l’art de la ruse et du fafinage.
Il est vrai que toute bonne démocratie a besoin de débats et de contradictions. Certes ‘la communication est’, comme le remarquait Noam Chomsky, ‘à la démocratie ce que la violence est à la dictature’. Mais une démocratie qui se respecte se nourrit de dialogue et de communication fondés sur les principes d’équité et de respect, de souci d’un ‘être-ensemble’ dans la recherche de la vérité. La démocratie devient son propre bourreau quand elle promeut invictives, injures, menaces et mensonges.
Latif, c’est ce moustique qui empêche de dormir ; cette terrible guêpe dont le bourdonnement est encore plus génant que la piqûre. Et au milieu des ombres du mensonge et de la cachoterie ; au milieu des ténèbres où la Senelec a fini de nous installer, n’avons-nous pas le droit à ce peu de lumière dont nous espérons les lueurs pourront un jour faire feu de tous bois ?
Dr Cheikh Mbacké GUEYE http://cheikh-m-gueye.blogs.nouvelobs.com/