de la Démocratie sénégalaise
La perversion de la démocratie sénégalaise ou l’envers de A. de Tocqueville :
La tyrannie de l’avis minoritaire
Les appréhensions de Alexis de Tocqueville de voir la démocratie, considérée à juste titre comme le meilleur régime politique, anéantir la liberté humaine par les effets pervers du principe cardinal selon lequel, en démocratie, c’est l’avis majoritaire qui l’emporte, n’étaient pas injustifiées : il ne s’agissait guère de caprices intellectuels de sa part. Le respect de ce principe dans les grandes démocraties traditionnelles finit par se transformer en une intériorisation d’une norme « incontestée », voire « sacralisée ».
La sacralisation du principe de la prédominance de l’avis majoritaire sur celui minoritaire produit chez le citoyen une sorte d’autocensure à la critique, une espèce de refoulement de tout désir de désobéissance ou de contestation. Cette autocensure et ce refoulement produisent politiquement une démission généralisée (c’est-à-dire de tous les citoyens) à cause du conformisme « moralement obligatoire » de tous à l’avis majoritaire.
Cette adhésion mécanique de tous à l’avis majoritaire est précisément le risque de perversion de la démocratie que A. de Tocqueville avait stigmatisée sous le concept de ‘‘tyrannie de l’avis majoritaire’’. La tyrannie consiste dans le fait que le conformisme universel étouffe la liberté de critique, l’initiative de la contestation. Aujourd’hui le phénomène est plus grave avec les manipulations possibles des consciences par le biais des sondages et des procédés très sophistiqués de marketing politique. L’opinion publique, dans tous les pays démocratiques, est de plus en plus artificielle, et c’est malheureusement elle qui sert de baromètre de l’avis majoritaire.
Ainsi, à un certain moment de la guerre du golf, les faucons de la maison blanche et leurs appareils idéologiques ont exercé une pression psychologique sous forme de propagande « patriotique » telle, que ceux qui étaient contre cette aventure de Bush en Irak avaient du mal à exprimer ouvertement leur opposition : toute velléité de contestation était tout de suite caricaturée comme étant une attitude antipatriotique. En fin de compte les partisans de la guerre étaient devenus majoritaires par une sorte de dictature qui s’exerce sur les consciences.
Une sorte de pudeur démocratique s’empare des citoyens et fonctionne chez eux comme une force de refoulement des tendances de contestation qui existent chez tout être humain normal et qui, d’ailleurs expliquent le fait que toute société humaine est traversée de crises et change constamment de structures. Le rejet de la contestation de ce qui est considéré (à tort ou à raison) comme l’avis majoritaire est désormais une norme intériorisée que le citoyen s’impose lui-même.
Cette tare de la démocratie illustre parfaitement le principe selon lequel la liberté humaine n’est jamais définitivement acquise, jamais totalement sauve : les prédateurs de la liberté sont d’une souplesse et d’une créativité telles qu’il est pratiquement impossible de prévoir leurs astuces. Les craintes de A. de Tocqueville étaient donc fondées, justifiées. Cependant ce qui se passe dans notre démocratie est, sans nul doute, plus inquiétant et plus absurde : une tyrannie de la minorité !
L’impuissance électorale de l’opposition sénégalaise est sans commune mesure avec sa force idéologique ; c’est une aristocratie intellectuelle qui exerce une propagande contestataire en s’emparant des média traditionnels ainsi que des nouveaux supports médiatiques offerts par les Ntic. Un médium ou média n’est pas seulement un moyen de communication, un moyen de véhiculer une information, c’est aussi et surtout un amplificateur d’évènement en même temps qu’un système d’impérialisme intellectuel sur les masses.
Les média sont de véritables régisseurs de consciences, d’où la conquête et, si possible, le contrôle des média sont devenus depuis longtemps un enjeu politique ou une partie de l’entreprise de la conquête du pouvoir politique. On comprend aisément alors le déchaînement médiatique auquel s’est livrée l’opposition sénégalaise depuis 2003. Profitant de la tendance naturelle et, sans doute, légitime de la presse du monde entier à faire écho de la voix des minorités, l’opposition sénégalaise en a abusé, allant jusqu’à accorder une primauté à la bataille médiatique sur les autres aspects de la lutte politique. Elle en a souffert, mais la démocratie sénégalaise également en a pâtit énormément.
En effet, la minorité politique qui s’est transformée en majorité médiatique a, comme toute autre majorité dans un système démocratique, exercé une « tyrannie de l’avis de la majorité » à sa façon. Cette curieuse tyrannie s’est exprimée sous forme d’une morale forgée pour susciter un sentiment d’autoculpabilisation de la part du dominant, c’est-à-dire du détenteur du pouvoir. Il s’est agi de convaincre les partisans du régime que soutenir celui-ci était un crime ou, en tout cas, une attitude moralement coupable et intellectuellement avilissante. Les intellectuels sont faits pour critiquer et Valery avait tout à fait raison de les considérer comme une espèce dont l’essence est de se plaindre.
Mais quand le fait de se plaindre devient une entrave à toute forme d’action, on ne peut plus dire à proprement parler qu’elle est constructive. Les intellectuels sénégalais comme tous les intellectuels dignes de ce nom ont été du côté des « faibles », du « peuple » et c’est non seulement pour eux un droit, mais aussi un devoir. Cependant là où le bât blesse dans leur engagement, c’est qu’ils ne se sont pas contentés de critiquer l’action du régime, ils ont très tôt décrété l’imminence de la fin de celui-ci, ils ont également oublié que le rôle avant-gardiste d’un intellectuel est absolument nul si ce dernier n’est pas compris et suffisamment soutenu par le peuple.
C’est facile de s’autoproclamer la voix du peuple et de parler au nom du peuple ; le plus difficile c’est de convaincre le peuple lui-même qu’on est sa vraie voix, que l’on sait ce qu’il veut et par quel moyen le lui donner ! Il faut, pour ce faire, comprendre que les plus grandes idées qui ont changé ce monde ont été des idées proches du peuple, mais surtout accessibles à celui-ci. Les ridicules tentatives actuelles de quelques intellectuels et opposants de refuser la victoire du camp libéral relèvent d’une forme paradoxale de tyrannie de la minorité. Il n’y a aucun moyen de déterminer la majorité en démocratie que par le suffrage universel libre des citoyens : c’est donc à la fois de la témérité intellectuelle et du mépris pour le peuple sénégalais que de continuer à dire que le résultat du scrutin est contraire à la volonté populaire. Face à de telles attitudes la révolte s’impose : révolte contre la tyrannie intellectuelle exercée sur les consciences par une élite qui n’a aucune prise sur les mécanismes d’adhésion politique des masses, révolte contre une opposition qui considère la critique comme une fin en soi, bref la révolte contre la tyrannie de l’avis de la minorité.
Á la veille des législatives, quelques réactionnaires continuent encore à chercher désespérément des motifs de contestation des résultats du scrutin du 25/02/07. Une telle entreprise nous semble en fait n’être qu’un subterfuge destiné à déculpabiliser des individus dont les projections électorales se sont révélées totalement absurdes. Toutes ces sorties fracassantes dans les studios de radio FM entrent dans la perspective de se faire bonne conscience, de se dédouaner aux des citoyens après de multiples forfaits intellectuels commis dans l’espace politique d’avant élections. Á l’insu de la majorité qui s’est nettement dégagée des urnes lors des élections présidentielles, une minorité qui croit penser mieux et plus que tous les autres citoyens et qui se croit être plus vertueuse que le reste des sénégalais, est en train de chercher des moyens sinueux d’imposer sa vision et sa volonté aux citoyens sénégalais.
Cette entreprise de sabotage et de remplacement de la volonté populaire a pour but inavoué de ternir l’image de notre démocratie et d’imputer cela au régime actuel. Les initiateurs d’un tel forfait sont assurément dénués de toute vertu républicaine, car il n’y a rien au monde, aucune prestidigitation intellectuelle ou politique qui puisse légitimer les agissements de ces personnes qui s’autoproclament intellectuels apolitiques et qui se réclament d’une société civile qui a fini de consommer la frontière qui la séparait de la société politique. Ce que veulent certains intellectuels et hommes politique c’est une démocratie de la minorité or cela est une absurdité. Ce n’est pas un signe de démocratie qu’une minorité, fut-elle la plus érudite au monde, décide et monopolise l’évolution politique de la société. Or aujourd’hui le mécontentement de l’élite intellectuelle de ce pays vient du fait qu’elle a perdu du terrain, beaucoup de terrain même au profit des cercles religieux.
La caste d’intellectuels improductifs accuse les Sénégalais et leurs gouvernants d’avoir commis le pêché de menace, voire de dislocation du « contrat social » alors qu’ils sont foncièrement incapables d’indiquer ce qu’est ce contrat social. Á la manière des perroquets, ils reprennent textuellement les concepts et les thèmes des débats politiques en France, sans se soucier de leur pertinence ni de leur opérationnalité à l’échelle locale, et ils nous inondent de théories d’une vacuité politique étonnante. « Le contrat social » ! Ce terme très en vogue chez les philosophes politiques des Lumières est subitement importé du débat politique français où il est apparu sous forme d’un refuge intellectuel pour tous ceux qui ont des griefs contre la marche et les mutations de la société et qui sont incapables de les changer ou de s’y conformer.
Le terme de contrat social apparu au 17e siècle a connu toute sa splendeur littéraire, politique et philosophique au 18e siècle. Il est strictement forgé en vue de résoudre l’énigme de la légitimité de l’autorité, du pouvoir politique. La notion de contrat social postule le principe selon lequel l’autorité politique émane d’une « convention originaire » (purement fictive cependant) par laquelle une multitude d’hommes renonce à sa liberté naturelle au profit d’une paix collective et, si possible, d’une liberté légale garantie par la loi. Bref l’histoire de ce concept est l’histoire des efforts de fonder l’État de droit. Nos intellectuels, à l’image de leurs collègues français, sont, selon toute vraisemblance, en train de procéder à une réinitialisation du concept. Tandis que les idéalistes des 17e et 18e siècles utilisaient ce concept à titre fcitif pour légitimer l’autorité, nos contemporains l’appliquent à des situations historiques.
Au Sénégal, il est toujours insinué (à tort ou à raison) que les lobbies religieux ont tellement investi l’espace et le pouvoir politiques que finalement ce dernier croit tenir sa légitimité de ces lobbies qui ont réussi à se substituer aux citoyens. Or, c’est précisément de la volonté de ces citoyens que devrait émaner l’autorité politique, du moins dans une république et dans un système démocratique. Au regard de cette immixtion profonde du religieux dans le politique donc, certains intellectuels pensent que nous assistons à un grave travestissement du contrat social et, par ricochet, à une menace de dissolution du corps social. Si personnellement je comprends les appréhensions de nos élites intellectuelles sur ce point, je ne peux m’empêcher de faire un certain nombre de remarques là-dessus.
Premièrement, et indépendamment de toue présomption sur la nature des éléments qui modifient ou menacent de corrompre le contrat social, je reste convaincu que celui-ci, du moins dans son acception actuelle, est constamment réinventé. Les institutions politiques sont certes permanentes et laïques, mais la course qui mène à leur accès n’est ni laïque, ni indépendante d’un certain nombre d’autres pouvoirs disséminés dans la société. Aux USA, le système des grands électeurs fait que nous ne pouvons pas avoir la même démocratie qu’au Sénégal où les « petits marabouts » ont ingénieusement réussi à court-circuiter les voies traditionnelles de la politique. C’est comme si les disciples (talibés) étaient d’abord des citoyens d’une confrérie avant d’être les citoyens d’un pays qui s’appelle le Sénégal.
Aucune confrérie n’est en reste et une étude sociologique des résultats des élections présidentielles du 25/02/07 confirmerait sans aucun doute notre propos. Deuxièmement la source du pouvoir semble (c’est encore une apparence) ne plus directement être la volonté populaire et, s’il en est ainsi, c’est que les intellectuels et les politiques ont failli à leur devoir, ils ont raté leur vocation. Par faillite dans la compréhension des phénomènes de société, ils ont assisté, impuissants, à la mort progressive du citoyen au profit de la naissance du disciple (talibé).Troisièmement, je ne pense nullement que la laïcité soit menacée au Sénégal, car même si certains stigmatisent une connivence inquiétante entre le spirituel et le temporel, il reste que la société est traversée de plusieurs autres canaux de la citoyenneté : l’école (considéré à juste titre par Lionel Jospin comme le <>), les média dont le rôle de contre-pouvoir ne doit en principe épargner ni le temporel, ni le spirituel.
Le concept de contrat social exhumé des décombres d’une pensée politique définitivement ruinée par la fin des grandes idéologies n’est donc pas menacé au Sénégal ; ce qui se passe c’est qu’il y a des mutations sociales très complexes que ni les hommes politiques, ni les intellectuels n’ont suffisamment cernées. En réalité, l’origine de la légitimité de l’autorité politique est toujours la même et c’est le peuple ; seulement, celui-ci n’ayant pas trouvé chez les politiques ni chez les intellectuels des guides suffisamment éclairés et avertis, s’est rabattu sur les couloirs du religieux.
Á qui la faute ?
Prénom et nom : Alassane k Kitane
Adresse e-mail : allou67@yahoo.fr