les nécessités d’une médecine scientifique, a
L’offre de soins chirurgicaux au niveau district
II - Accommoder les nécessités d’une médecine scientifique, avec des principes d'équité
En ce début de siècle, le Sénégal présente une configuration sanitaire dont les enjeux appellent plus que jamais à l’action. Les médecins exercent aujourd’hui une médecine qui change dans un monde qui ne cesse de changer. En effet, le monde de la santé est en pleine mutation sous le coup du progrès scientifique et des innovations technologiques qui s’entrechoquent bruyamment avec le flot des crises sanitaires qui menacent une certaine frange de la population sénégalaise. Plus le progrès médical hisse la médecine à des hauteurs insoupçonnées, plus l'écart avec des populations défavorisées risque d’augmenter.
Médecine spectaculaire, performante, ne signifie pas mise à disposition pour le plus grand nombre, car le progrès accentue les contrastes et les exclusions. La première exigence qu’impose ce progrès, est que les médecins sénégalais assument leurs responsabilités d’orienter le développement des sciences et des techniques, plutôt que de se soumettre à tout ce qu’elles produisent et d’en subir la logique d’expansion. La formation des médecins sénégalais a absorbé l’énorme irruption des technologies, et continue de le faire sans prendre de distance critique. Ce reproche ne s’adresse pas à l’application d’un corpus de connaissances bio-médicales, mais à la capacité à servir des valeurs d’équité, de pertinence et de coût-efficacité dans la prestation des soins de santé.
La médecine scientifique, axée sur la technologie, a longtemps rejeté à la marge la santé publique et les soins primaires. Ni la première, ni les seconds n’ont eu assez de prestige pour les universitaires. L’enseignement dispensé au sein de la Faculté de Médecine a longtemps reproduit les modèles connus des facultés occidentales qui se sont longtemps empêtrées dans une controverse sur la médecine conçue comme une science, par opposition à celle conçue comme un service. Le fonctionnement pendant longtemps de notre Faculté de Médecine en vase clos, sur un modèle calqué sur celui des pays développés (dans un souci de modernité, légitime au demeurant), mais qui tend à faire l'apologie du soin de haut niveau, en tournant quelque peu le dos à la santé publique, a longtemps entraîné une impréparation des personnels formés à embrasser cette carrière. Cet enseignement qui y est délivré, n’est guère encore aujourd’hui en mesure de faire passer dans les schémas d’exercice un juste équilibre entre les interventions préventives, promotionnelles et curatives, de manière à tenir compte des besoins de santé globaux des individus et des collectivités. Une dichotomisation du programme des études médicales, avec une charge souvent excessive de sciences dites de base, évidentes au cours des premières années de formation, et la consolidation d’un schisme avec les réalités du terrain et du contexte social, tempéré aujourd’hui par de nombreuses initiatives, en constituent les illustrations les plus marquantes.
Notre Faculté de Médecine qui a pendant longtemps accepté ce standard, s’est enorgueillie d’être capable de s’y conformer et s’est montrée peu disposée à s’en écarter, même si l’on sait que ce modèle ne répond pas aux besoins des collectivités que des soins individualisés ne peuvent atteindre. Il faut que l’étudiant soit préparé à pouvoir dispenser à sa sortie de la Faculté de Médecine, les meilleurs soins possibles dans des circonstances optimales comme dans les Centres hospitalo-universitaires, mais aussi, les meilleurs soins possibles dans les conditions réelles, c'est-à-dire dans un centre de santé. Dans un pays comme le nôtre, à ressources financières limitées avec pression des besoins concurrents, la Faculté de Médecine devrait être évaluée à l’aune d’effets directs ou indirects sur la santé des populations. En considérant l’impact de son action sur la santé publique parmi les mesures d’excellence, elle se préparerait à une évolution que certains estiment inéluctable, de l’évaluation et de l’accréditation.
Certains universitaires, comme ceux des Cliniques chirurgicale et gynécologique, comprennent aujourd’hui qu’ils ont une position clé dans une stratégie globale visant l’amélioration de la santé des populations, et que le succès dépend de leurs capacités d’adapter les prestations. Ils savent que c’est un impératif de trouver aujourd’hui, l’exigence de principes susceptibles d’accommoder les nécessités d’une médecine scientifique, avec une conception volontariste et créative. La formation médicale ne saurait être dissociée de l’environnement dans lequel elle s’inscrit. Former en contextualisant représente un défi de chaque instant, c’est-à-dire rechercher constamment comment améliorer la santé des populations, tout en gardant la qualité de l’acte thérapeutique. Contextualiser permet d’éviter des dérives applicationnistes, qui, tout compte fait, ne permettent pas de réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés au sein du secteur de la santé.
Il apparaît aujourd’hui que les enjeux de santé, qui imposent plus que jamais au médecin une nouvelle dimension de la responsabilité, sont des enjeux auxquels il convient d’apporter des réponses à des échelles territoriales adaptées. A leur échelle, les Centres de santé de Kaffrine et de Sokone sont, en matière de chirurgie, des centres d’excellence qui aideront la Faculté de Médecine à avoir une meilleure maîtrise sur ses produits, et à assurer leur intégration optimale dans le contexte sanitaire et social. Ce projet offre un environnement d’apprentissage exemplaire aux futurs diplômés en chirurgie avec l’appui des médecins de terrain. En effet, avec l’élargissement du numerus clausus, de tels centres, devenus satellites des Chu, peuvent servir de terrains de stage formateurs, lieux d’enseignement et de recherche aptes à donner aux jeunes médecins une expérience. L’adossement de ces centres à une activité universitaire apporte ainsi un attrait académique pour ces districts. En définitive, l’intégration de tels centres dans le schéma d’une mission du Chu, répondant à une mission territoriale, ouvrira les perspectives d’enseignement et de recherche qui rendront attractifs les postes dans de tels centres.
Si une meilleure gestion axée sur les résultats, peut nous permettre une utilisation plus efficiente des ressources qui existent à l’intérieur du ministère de la Santé, cependant, nous devons nous préoccuper de développer une plus grande synergie avec le potentiel qui existe dans d’autres ministères comme l’Enseignement supérieur. Nous avons aujourd’hui compris, que la performance de notre système de santé demeurera inférieure à son potentiel si les ressources mises en commun ne sont pas utilisées judicieusement pour acquérir la meilleure gamme d’interventions, et de ce fait, améliorer la santé par une réponse adaptée aux attentes des populations. On se rend compte maintenant, que le ministère de la Santé peut s’assurer une meilleure adéquation des personnels en entretenant un dialogue suivi avec la Faculté de Médecine quant aux objectifs de formation. Une meilleure concertation entre instances de santé et instituts de formation peut permettre un consensus sur le produit fini de l’enseignement et une action coordonnée pour son utilisation optimale dans le système national de santé. Le ministère de la Santé devra soumettre un cahier de charges à la Faculté de Médecine et en assurer le suivi, ce qu’il n’a pas fait dans le passé. Il faudra mettre en œuvre d’autres stratégies comme l’itinérance que soutient fortement le chef de service de la Clinique urologique, ce qui permettra d’atténuer significativement les problèmes d’accessibilité des spécialités.
Il demeure que les stratégies d’aujourd’hui seront jugées en fonction non pas de leur faculté d’opérer un changement, mais de leur aptitude à réaliser un progrès durable. Après deux années de mise en œuvre des activités de chirurgie dans les centres de santé de Kaffrine et de Sokone, nous pouvons noter une grande satisfaction des populations bénéficiaires et des responsables de ces districts. C’est la raison pour laquelle tous les acteurs de ces districts s’engagent à consentir un effort pour la poursuite du projet. Ce dernier, destiné à soutenir les orientations stratégiques des autorités sénégalaises dans la mise en place de mesures en faveur de l’accessibilité des soins chirurgicaux au niveau périphérique, est une invite de tous les acteurs du système de santé à réajuster leurs missions en fonction d’un même socle de valeurs, à réexaminer leurs actions pour mieux y répondre, et à établir entre eux des partenariats.
Dans les limites de cette expérience, la preuve est faite que sans moyens exceptionnels, une coalition a pu, avec rigueur, réaliser les objectifs définis dans le cadre stratégique général du Plan national de développement pour la Santé. Sans doute, faut-il rendre hommage à tous les acteurs : la coopération belge, le Département de Chirurgie, la Division des Soins de santé primaires, les régions médicales de Kaolack et Fatick, qui ont su partager cette volonté et cet espoir d’améliorer les chances pour les Sénégalais, d’une meilleure santé. En favorisant ainsi une approche locale et significative, sur des sites ordinaires mais comparables aux autres du pays, nous avons commencé à développer une première théorisation qui, sans avoir la possibilité d’assurer des généralisations immédiates, permet de stabiliser certains acquis, et de définir plusieurs orientations stratégiques qui seront validées par la grande concertation nationale.
Cette expérience nous montre qu’on ne doit pas se contenter d’appliquer mécaniquement un cheminement conçu une fois pour toute pour n’importe quelle situation, selon une logique strictement théorique, mais qu’on doit tenir compte d’un impératif essentiel : la prise en compte des facteurs de différente nature qui, dans chaque situation locale, influence les pratiques en matière de chirurgie. Aujourd’hui, la grande problématique demeure la capacité à moyen et long terme du système de santé, en terme de management du volume croissant d’activités liées à la chirurgie de district, de motivation des acteurs, de financement de l’expérience qui nécessite pour le moment l’appui de partenaires extérieurs. Enorme lueur d’espoir, l’émergence d’une ouverture et d’une volonté de l’ensemble des acteurs, et la démonstration ensuite que lorsque ces derniers se mobilisent, ils sont capables d’infléchir de façon significative, la mortalité liée aux affections relevant de la chirurgie. (Fin)
Professeur Oumar FAYE Directeur de la Santé