L’histoire de l’Alternance
Du néon au néant
par Henriette Niang-Kandé , jeudi 10 septembre 2009
Après avoir vainement assiégé Troie, les Grecs ont l’idée d’une ruse pour prendre la ville. Un cheval géant fut construit, dans lequel furent cachés des soldats conduits par Ulysse. Ce cheval fut présenté aux Troyens comme un cadeau qu’ils acceptèrent malgré les avertissements de quelques compatriotes qui avaient flairé une embrouille. Le cheval tiré jusque dans l’enceinte de la cité, les Grecs sortent de leur cache, ouvrent les portes de Troie, permettant ainsi, au reste de l’armée d’entrer et de piller la ville.
Depuis que les Grecs ont abandonné sous les murailles de Troie ce cheval farci de guerriers, le mensonge est une arme d’Etat. Farder la vérité pour cuirasser sa « défense ». Ne pas dire ce qui est, mais ce qui doit être, c’est tordre l’aiguille de l’Histoire pour qu’elle obéisse à sa propre boussole. L’histoire de l’Alternance, depuis le 10 mars 2000 a bien des similitudes avec le cheval de Troie. La Sénélec en est un exemple.
En accédant au pouvoir à cette date-là, l’Alternance a braconné impunément sur les terres que les Socialistes défaits avaient laissées en rade. En effet, les Sénégalais qui vivaient déjà, l’enfer des délestages applaudirent à tout rompre quand les Libéraux, auréolés de la lumière du Sopi et qui avaient fait du déficit chronique de la fourniture d’électricité un thème de campagne électorale, décidèrent de racheter la Sénélec , privatisée un an auparavant, au prix de 40 milliards de F Cfa, au consortium franco-canadien, Elyo-Hydro Québec. Mise dans le bel emballage de la « déprivatisation », la Sénélec depuis lors, comme le Cheval de Troie, a produit des intérêts pour quelques particuliers, au détriment de tout un peuple devenu otage.
En la remettant dans le coffre des bijoux de famille, le nouveau régime de l’Alternance avait proclamé urbi et orbi que la renationalisation de la Sénélec devait conduire à une (re)privatisation qui intéresserait les industries (Ics, Sonacos), le secteur privé et les consommateurs, dans une nouvelle géographie du capital, en partenariat avec l’Etat. Sur le papier, le projet était flambant. Puis, arrivent les élections législatives en avril 2001. Les Libéraux font un raz-de-marée, et exit, la Sénélec. Le discours change et la Sénélec , qui ne produit toujours pas assez, est subventionnée à coups de milliards. Enfin, c’est le discours officiel. Des soupçons se font jour, relatifs à la destination finale de ces subventions. Il est même fait état, à l’époque, d’un chèque d’un milliard de F Cfa, retrouvé dans un compte bancaire à l’étranger. Le titulaire du compte « attendait un taux de change intéressant » !
Dix ans après, la Sénélec est toujours ce musée de la production électrique, la Société de Raffinage ne raffine plus rien, pour cause de concurrence sauvage. La Gti qui produit et revend de l’électricité tombe en panne plus que fréquemment, si elle ne court pas derrière son dû. Il en est de même pour tous les autres privés qui fournissent de l’énergie à l’Etat du Sénégal. Aux dernières nouvelles, l’Etat a fait une option d’achat pour un montant de 13 milliards.
Pendant tout ce temps, de mensonges en euphémismes, à la faveur de l’émotion médiatique, les discours et promesses se succèdent et les Sénégalais sont dans l’attente de mesures qui visent autre chose que le rafistolage d’une politique énergétique qui a largement fait faillite. Il y a trois ans, Maître avait demandé de patienter et promis l’électricité « pour octobre ». Dans une « lettre ouverte à [ses] clients », monsieur Jean Charles Tall écrivait : « Un peu de patience… C’est totalement surréaliste de demander cela à un père de famille qui n’a pas le courant depuis plus de douze heures d’affilée, à un chef d’entreprise qui subit des désagréments de ce type deux jours sur trois… Un peu de patience ? Si nous n’avions pas des tonnes de patience en réserve, nous aurions, depuis longtemps déversé nos provisions de poisson pourri dans le bureau de monsieur le Directeur Général de la Sénelec ou dans l’anti-chambre de monsieur le Ministre de l’Energie. Si nous n’avions pas de patience, nous aurions déchiré les factures que les agents continuent de nous présenter. Si nous n’avions pas de patience… En 2006, les autorités de mon beau pays nous expliquaient doctement que la situation serait réglée en octobre. J’avais rajouté qu’il ne fallait pas préciser l’année. Eh bien, j’avais raison. Un mois d’octobre, durant le siècle en cours, nous aurons définitivement réglé ce problème, n’en déplaise aux esprits grincheux. »… Et ce siècle a presque dix ans, et le Sénégal toujours pas d’électricité.
Il en est ainsi depuis plusieurs années maintenant. Le Sénégal affiche le masque d’un Etat qui ment à la Nation et triche avec le martyr que vivent les Sénégalais, toujours dignes, se serrent la ceinture, ont de plus en plus d’estime pour eux-mêmes et de moins en moins de considération pour l’Etat qui, ébloui par sa propre lumière, mène son grand train, toujours à l’ombre de Maître.
Tous n’ont que le nom de Maître à la bouche et s’efforcent de le sertir d’ornements multiples. Les compliments se font écrins et les hommages deviennent sautoirs. Il n’est pas d’acte, ni de propos qui vaillent hors de la suprême mission de jeter un rai de lumière et faire briller l’auguste patronyme. Ainsi fonctionne, l’Etat aujourd’hui. Aucun ministre, ou presque, ne peut prononcer trois phrases sans évoquer les directives, l’exemple ou les visions lumineuses présidentiels. Certains tentent même d’adopter les références, les récurrences et jusqu’à la gestuelle de Maître. La servilité est érigée au rang des plus grandes vertus. Si l’esprit de cour a eu des effets sous des apprêts divers du régime martial de Senghor au dioufisme bonhomme, il n’est jamais plus sirupeux, mais mortifère pour les Sénégalais que sous la présidence de Maître. Les prétextes donnés pour expliquer cette crise de l’énergie que nous vivons sont un mélange d’argent, d’intérêts particuliers, de mensonges, de couacs, et de caquetages d’une cour toujours basse. Les changements de directeurs généraux de la Sénélec ne furent qu’un jeu de bonneteau, une partie de chaises musicales sans changement de musique, un échange de casquettes sans remue-méninges sous les couvre-chefs. Quant au ministre de l’énergie, délégué à l’hypnose et à la tranquillité publiques, il est une calculette ambulante qui additionne les sommes « investies », le nombre de butaniers, en attendant la prochaine pénurie de carburant ou de gaz.
Maître a pris congé des Sénégalais, au mois d’Août, sur de mauvais signes. Il a pris ses vacances malgré tout, puisqu’il s’applique à jouer les monarques, les faits comptant moins que ce qu’il en pense. On aurait pu croire que les difficultés que traverse le Sénégal mériteraient qu’il reste au pays. Oh que non ! Entre les cornes d’abondance qu’il distribue allègrement pour faire Samba Linguère, les sommes pantagruéliques qui se jouent chaque jour sur le tapis vert de l’enrichissement sans cause et cette incapacité (c’est une litote) de son gouvernement à répondre à des situations même prévisibles (inondations et pénurie de gaz et d’électricité), Maître se réfugie dans le silence… Il ne parle plus. Il….écrit. On ne l’entend plus. Lui qui est une parole qui parle. Tout le temps. De tout. Et même de rien. Roulement de mots, d’yeux, et de biscottos. Avocat-camelot. Un « bavard », comme on dit, dissertant toujours, quel que soit le sujet, de l’infiniment grand, au minusculissime.
Lundi, rentér de vacances, Maître était heureux « d’annoncer une bonne nouvelle au Sénégalais ». Il ramène dit-il, dans sa sacoche, 270 milliards du Millenium Challenge Account. Mais Maître a pris des libertés avec la vérité. Diène Farba Sarr, ancien conseiller spécial du Premier ministre Macky Sall, chargé des Travaux, Commissaire général après des Infrastructures et ancien Président du Conseil de Surveillance de la Plateforme de Diamniadio a déclaré : « Ce qu’il y a c’est qu’avec le premier projet (celui de Diamniadio), c’était un montant de 500 milliards de dons auxquels les autorités ont renoncé ». En fait, le nouveau projet présenté dans ses grandes lignes par Cheikh Tidiane Gadio, n’est pas tant suite à la suite d’un satisfecit du gouvernement, mais pour ne pas pénaliser et laisser les populations dans leurs grandes souffrances. En effet, cet argent servira à « développer des zones à fortes potentialités naturelles et économiques et favoriser une meilleure productivité agricole à travers les secteurs des routes (dorsales et d’irrigation) et de l’irrigation ».
L’annonce des 270 milliards n’a illuminé que le visage de ceux qui étaient à son accueil. Pour la majorité des Sénégalais qui ont ouvert les yeux depuis longtemps maintenant, la méprise est devenue mépris. Le discrédit est jeté, sur un personnel d’Etat et son Chef, jugés lointains, indifférents (sauf à leur propre sort) et incompétents. Les foyers de tension se font de plus en plus nombreux, d’où il pourrait sortir un jour, quelque chose, une lame de fond qui les submergera. Parce que quand « au sommet, le pouvoir est incapable de diriger et qu’en bas on ne peut plus vivre, çà ne peut que mal finir ».
Pendant que Maître et les nègres qu’il a recrutés pour la commission de ses ouvrages se sont échinés à brûler la chandelle par les deux bouts, le peuple lui, abasourdi, n’en finit pas de voir des chandelles. Somme toute, tout cela reste dans la logique de Maître qui nous avait fortement recommandé de retourner à l’ère de la bougie. Depuis, l’estime est tombée si bas dans les abysses, qu’à cette profondeur, Maître trouvera à coup sûr, du pétrole. Il pourra alors expérimenter sa Wade formula et s’éclairer en lisant les deux ouvrages qu’il a commis pendant ses vacances.