mettre le Sénégal en péril
Les intérêts partisans d’un nonagénaire grabataire ne doivent pas mettre le Sénégal en péril
Les membres du Conseil constitutionnel ont rendez-vous avec l’histoire le 29 janvier 2012 pour juger de la recevabilité des candidatures déclarées à l’élection présidentielle de février 2012. Cependant, la candidature de Wade, qui avait déclaré avoir verrouillé la Constitution à deux mandats, pose problème. Sous l’instigation de son clan de courtisans et de sa famille, il s’est rétracté pour dire qu’il peut briguer un autre mandat après avoir déclaré auparavant sa non participation aux élections de 2012, car la Constitution de 2001 limite le nombre de mandats à deux.
Pour montrer sa détermination à briguer un 3e mandat, le camp de Wade a organisé un séminaire le 25 novembre 2011, au Méridien président, en réponse au séminaire organisé par le M23 sur le même sujet et qui avait abouti au rejet de la candidature de Wade par la majeure partie des constitutionnalistes sénégalais, dont les rédacteurs de cette même Constitution.
Face à cette situation où il a perdu la face, il est allé chercher des mercenaires blancs préposés à l’argumentaire de la recevabilité pour venir, pendant toute une journée, faire leur cirque à Dakar pour théoriser la validité, selon le principe de la non rétroactivité de la loi. Une malhonnêteté intellectuelle et un faux débat alimenté par des mercenaires venus d’ailleurs. Un argumentaire battu en brèche par l’article 104 de la dite Constitution, qui règle le problème déjà posé, car considérant le premier septennat (en lieu et place du quinquennat) comme la seule dérogation accordée au président et que toutes les autres dispositions de la Constitution lui étaient applicables (un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois). Donc la seule dérogation accordée à lui est de faire un septennat (et non un quinquennat) pour le premier mandat hérité de la Constitution de 1963, parce que tout simplement le mandat a débuté en 2000 et que la nouvelle Constitution a été votée en 2001, un an après la prise du pouvoir par Wade. C’est tout. Le débat est clos à ce niveau. Et ce n’est même pas du droit, mais du français clair et net et son interprétation ne souffre d’aucune équivoque, à moins d’être intellectuellement malhonnête.
Réfuter l’interprétation de constitutionnalistes qui ont été appelés par le président de la République lui-même pour rédiger la Constitution de 2001, parce que tout simplement ils ont dit le droit et la vérité contrairement à ce que le président veut entendre, relève d’une hypocrisie de nos dirigeants et d’une volonté manifeste de violer la constitution. Je ne crois pas que des étrangers qui n’ont pas participé, encore moins qui ne savent pas dans quel contexte le texte a été rédigé, peuvent avoir une interprétation correcte de notre constitution, à moins de jouer aux sorciers blancs pour satisfaire les desideratas d’un vieux président qui a pris goût au pouvoir et qui veut parachever, par tous les moyens, son projet de monarchisation de la République qui lui tient tant à cœur.
Karim Wade représente actuellement la seule motivation qui retient encore Abdoulaye Wade au pouvoir et aucun Sénégalais averti ne l’ignore.C’est insensé et illogique qu’un vieillard de près de 90 ans s’accroche au pouvoir alors que son mandat est terminé. A moins d’avoir la folie ou l’ivresse du pouvoir ou d’être mû par un projet comme le sien, c’est simplement surréaliste.
Wade est déconnecté des réalités du moment et de celles de son peuple. Ces sorciers blancs que lui et son clan ont fait venir à Dakar pour répéter un mot d’ordre ne sont que des chasseurs de prime grassement payés au frais du contribuable sénégalais. Ils sont venus selon des termes de référence bien clairs et déjà définis par leur recruteur contre d’énormes sommes en espèces sonnantes et trébuchantes. C’était une grande farce et une grande comédie qu’ils nous ont joué, ces messieurs du pouvoir. Le lieu tout indiqué pour ce genre de comédie à la Molière était le Grand Théâtre de grand père Wade et non le Méridien président.
En fait, Wade et les siens ont initié ce séminaire uniquement pour faire bonne figure aux yeux des représentations diplomatiques et chancelleries occidentales et pour tenter d’influencer le Conseil constitutionnel. Cependant l’avis de Seydou Madani Sy à ce séminaire, le premier sénégalais agrégé en droit constitutionnel et ceux d’autres constitutionnalistes sénégalais qui ont déjà dit le droit, devraient au moins faire réfléchir les cinq ‘sages’ du Conseil constitutionnel sur le rôle historique qu’il aura à jouer dans les deux mois à venir. Nous estimons que les jours de Wade à la tête de l’Etat sénégalais sont comptés à moins qu’on ait un Conseil constitutionnel aux ordres. On voit mal comment un gardien de la Constitution qui fait du parjure et de la forfaiture sans sourciller puisse influencer une structure qui a, entre ses mains, le destin de tout un pays qui est le Sénégal.
A l’image de certains présidents africains en voie de disparition, Wade se croit toujours investi d’une mission divine pour le Sénégal. Il pense que le fait d’être entouré de courtisans acquis à sa cause et de se dédire peut le tirer d’affaire pour un 3e mandat. En fait il veut faire du forcing pour assouvir ses ambitions connues depuis toujours, à savoir finaliser son projet de succession monarchique qui tarde à se concrétiser depuis sa théorisation en 2009. Au demeurant, il ne cherche qu’à gagner du temps pour mettre sur orbite son incompétent de fils à la tête du Sénégal afin qu’il rejoigne le cercle très fermé des fils à la place des pères dans certains Etats africains.
Les cinq ‘sages’ du Conseil constitutionnel se doivent de prendre leurs responsabilités pour dire le droit et la vérité et rien que la vérité. Ils doivent s’inspirer du Professeur Madani Sy qui, avec courage et détermination, n’a pas suivi le pouvoir dans sa grande comédie. Il a tout simplement dit le droit et la vérité. Dans ce registre, on aimerait bien entendre la position du professeur de droit et non moins constitutionnaliste Serigne Diop qui est, d’ailleurs, l’un des rares constitutionnalistes connus qui ne s’est pas encore prononcé dans ce débat d’intellectuels. Il s’est tout bonnement réfugié derrière son statut de Médiateur de la république pour s’imposer un droit de réserve, alors que l’heure est grave. Tous ceux qui se réfugient derrière des postes, prébendes et sinécures apparaîtront aux yeux du peuple comme des opportunistes au sens péjoratif du terme, car voulant seulement préserver leurs intérêts personnels au détriment de ceux de la patrie. Il est des moments dans la vie d’une nation où il est dangereux de se taire.
Les mallettes à la Segura et autres rétributions de quelque nature que ce soit ne doivent pas vendanger la paix à laquelle aspire notre cher pays. Non plus les intérêts partisans de Wade et de son clan ne doivent pas être au dessus des intérêts du Sénégal.
Même s’il venait à violer la Constitution pour se représenter et confisquer le pouvoir contre vents et marées, les sages du Conseil constitutionnel savent bien que le très vieux Président ne pourrait pas terminer un mandat de sept (7) ans du fait de son âge avancé. Reconduire Wade pour un septennat c’est placer le Sénégal dans une période d’incertitudes et de tension perpétuelle, car le président est aujourd’hui rattrapé par le syndrome de la vieillesse.
Alors, de grâce, messieurs les juges, épargnez-nous des troubles qui peuvent découler de la candidature anticonstitutionnelle d’un homme qui place ses intérêts avant ceux du Sénégal. Montrez aux Sénégalais et au reste du monde que vous êtes des hommes d’honneur comme Feu Kéba Mbaye, Feu Assane Bassirou Diouf, de valeureux pionniers du droit, modèles de probité et de courage. Ils ont eu à honorer la fonction de magistrat, car ils étaient debout et conscients de leur responsabilité, contrairement à l’idée véhiculée par le président Wade qui assimile les magistrats à des esclaves, car ne voulant pas prendre leurs responsabilités. Montrez que vous n’êtes pas à la solde d’un vieux président qui passe tout son temps à conspirer et à dépenser l’argent du contribuable sénégalais selon ses propres désirs pour maintenir une clientèle électoraliste.
Wade est finissant et il faut le lui faire comprendre comme l’a fait du reste le Congrès américain à travers une lettre officielle en date du 14 décembre 2011. Une correspondance où l’Institution américaine, à travers ses sénateurs, lui demande de respecter la Constitution en ne se représentant pas pour un autre mandat auquel il n’a pas droit. Dans ce concert de dénonciations, d’autres voix influentes comme celles de Koffi Annan, l’ancien Secrétaire général des Nations Unies et prix Nobel de la paix en 2001, de Madeleine Albright ancienne Secrétaire d’Etat des États-Unis de 1997 à 2001. Il y a aussi celle de Ed Royce, républicain de Californie qui s’était déjà signalé en accusant Wade d’avoir reçu des ‘pots de vin’ sur le Monument de la Renaissance africaine et d’être un corrupteur de fonctionnaire international en référence à l’affaire Alex Segura, du nom de l’ancien représentant du Fmi au Sénégal.
Les britanniques aussi sont montés au créneau par la voix du très influent David Style premier président du parlement écossais et membre de l’Internationale libérale. Il a aussi écrit au président pour lui demander de renoncer à un troisième mandat qui peut être source de tension pour le Sénégal.Des pressions donc à l’échelle internationale pour tenter d’épargner à notre pays des troubles dont il pourrait ne pas se relever de sitôt, car faisant partie des Pma.
Dans un pays où plus de 50 % de la population est constituée de jeunes de moins de 35 ans et où l’âge de la retraite est à 60 ans, un papy de 86 ans (Hors Taxe) ne peut, en aucune manière, incarner le changement auquel aspire cette même population.
Wade ne doit pas être le dernier de la classe pour les seules ambitions de son fils, de son clan et de ses pauvres courtisans venus d’ailleurs. Il est aujourd’hui un vieillard grabataire qui est ‘périmé’. Son cycle est terminé et le Conseil constitutionnel doit le lui faire savoir en l’envoyant définitivement à la retraite pour le bien du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest.
Aboubakrine SAMB, Bcar25@hotmail.com
Tourner la page libérale : une urgence pour la salubrité politique du Sénégal
Les personnes qui ont un minimum de familiarité avec la vie politique de notre pays n'auront aucune difficulté à s'accorder sur une évidence : mettre fin à l'ère Wade est aujourd'hui la préoccupation majeure chez bon nombre de nos compatriotes. Il n'est aussi pas difficile de prouver que l'écrasante majorité des hommes politiques sénégalais qui veulent servir leur pays et non s'en servir, préfèrent que Me Abdoulaye Wade, du fait de son âge avancé, prenne sa retraite politique bien méritée en février 2012. Pour améliorer les chances de l'opposition de faire partir Wade, beaucoup avaient souhaité de tout cœur que Bennoo puisse arriver à un consensus autour d'un candidat de l'unité et du rassemblement. Malheureusement, un accord sur une procédure objective pour départager Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng n'a pas pu être trouvé par la Conférence des leaders de Bennoo. Il faut cependant signaler que ce n'est pas parce qu'il n'y avait pas un moyen impartial d'y arriver.
L'auteur de cette contribution a fait parvenir le 11 Novembre 2011 à un membre influent du comité de facilitation une proposition d'organisation de Caucus qui allaient impliquer l'ensemble des militants des partis membres de Bennoo. Des caucus dont le coût pour Bennoo serait négligeable. Un exercice qui pouvait se dérouler au cours d'un seul week-end et aurait permis non seulement de faire un rappel des troupes de la coalition mais surtout de donner aux militants de base l'occasion de contribuer au choix de celui pour qui ils allaient battre campagne en février et/ou mars 2012.Quels sont les choix qui s'offrent aujourd'hui aux Sénégalaises et Sénégalais qui veulent tourner la page libéralo-wadienne ? Si on considère la capacité de drainer des foules comme étant un indicateur de la crédibilité populaire d'une candidature, les options les plus plausibles semblent être par ordre alphabétique : Ousmane Tanor Dieng, Ibrahima Fall, Moustapha Niasse, Macky Sall et Idrissa Seck.
Les autres candidats sont, de mon point de vue, des plaisantins narcissistes. Ils ne vont qu'amuser la galerie et faire perdre aux contribuables sénégalais des centaines de millions de nos francs qui auraient pu servir à financer autre chose de plus utile sauf si les kleptocrates se les approprient.Il va sans dire que ceux qui sont sincères dans leur désir de tourner la page libéralo-wadienne ne vont pas s'aventurer à choisir Idrissa Seck. Mody Niang nous a fourni assez de preuves qui démontrent que Ngoorsi a été bien formé dans l'art du njublang par Goorgi. L'autre facteur qui disqualifie Idrissa Seck est qu'il se réclame libéral pur et dur. En bon libéral qui ne recule devant rien pour renforcer son portfolio, M. Seck n'a pas hésité une seule seconde à se servir des fonds politiques pour devenir comme il le dit lui-même ‘très riche’. N'ayant jamais vu ou entendu Idrissa Seck faire son mea-culpa pour s'être illégitimement enrichi sur le dos des goorgorlu, il m'est permis d'imaginer, qu'une fois au pouvoir, il sera enclin d'utiliser la voie du njublang pour s'enrichir davantage.
Macky Sall se réclame aussi du libéralisme. Je ne suis pas cependant certain que cet ancien militant d'Aj/Mrdn est pleinement conscient de ce que signifie être libéral dans un pays où l'écrasante majorité est faite de goorgorlu qui tirent le diable par la queue. Ma lecture de son comportement sur le terrain politique est que Macky Sall est un politicien qui se cherche encore et n'a donc pas une idée précise de la direction où il veut amener le pays. Les manigances machiavéliques de son ancien mentor l'ont poussé, bien malgré lui, au devant de la scène. Tout laisse croire qu'il est surtout animé par le seul désir de prouver à Me Wade et à son fils Karim qu'ils ont commis l'erreur fatale de le pousser à la porte de sortie sans qu'il ait été déloyal à leur égard. Il faut aussi reconnaître que la partie visible de l'équipe de M. Sall inspire peu de confiance. A l'image de l'individu qui se fait appeler El pistolero ; il exhibe un déficit criard en expérience de gestion de la chose publique. En passant en revue les multiples déclarations que Moustapha Cissé Lô a faites dans la presse sénégalaise, l'idée de le voir devenir un conseil écouté d'un président de la République du Sénégal est terrifiante pour le politologue que je suis. La gestion minutieuse du désordre qui sera hérité de Me Wade requiert une équipe et un chef qui connaissent bien les rouages de l'Etat du Sénégal. Des individus qui ne seront pas facilement rendus ivres par le pouvoir et sont familiers avec les règles du jeu des relations internationales. Macky Sall et son équipe ont encore un long chemin à faire avant d'arriver à cette destination.
Le doyen Ibrahima Fall aurait pu être une excellente option s'il était pourvu d'un appareil capable d'attirer vers lui le vote utile des anti-Wadistes. Mon ami Buuba Diop épaulé par des centaines de personnes qui travaillent d'arrache-pied avec une abnégation presque totale, rêve de faire de lui le Yaya Boni sénégalais. Force est de reconnaître que les chances réelles de M. Fall sont très limitées. Bien qu'étant très visible chez les intellectuels qui constituent une infime minorité de la population, M. Fall souffre d'un déficit de représentation dans le Sénégal des profondeurs. Ce déficit aurait pu être comblé si sa campagne avait démarré trois à quatre ans avant le 26 février 2012. Avec son Wolof parfait, M. Fall va certainement charmer les téléspectateurs au cours de la campagne électorale. Cheikh Anta Diop avait suscité en 1983 le même type d'enthousiasme. Mais l'écrasante majorité de ceux et celles qui ont aimé ce que Cheikh disait avaient choisi de voter pour le Pds qui, à leur yeux, était perçu comme étant mieux placé que le Rnd pour mettre fin au règne du Ps.
‘Bu mako wotelee iit defay melni dama sanni sama kart’ (Voter pour lui équivaut à jeter ma carte dans la poubelle) est une des raisons pour lesquelles les candidats de la Gauche historique n'ont jamais dépassé les 5 % du suffrage des Sénégalais. Ceci, malgré leurs excellents messages de campagne. Ceux qui vont voter utile afin que la page libérale puisse être tournée vont choisir le candidat qui est le plus présent sur le terroir, avec lequel ils sont familiers. Dans la majeure partie des cas cela ne risque pas d'être le Doyen Fall malgré la probité morale que tous lui reconnaissent.(A suivre)
Diomaye (Ndongo) FAYE, Ancien coordinateur du directoire de campagne de la CA2000/Fal en Amérique du Nord, Ancien Coordinateur du Mouvement pour les Assises de la Gauche (Mag), Membre du Directoire de campagne d'Abdoulaye Bathily en 2007, Chercheur en stratégie de développement politique New Jersey, USACilawkuut@cs.com
LE PEUPLE LEBU : Quelques repères historiques bons à savoir
La Presqu’île du Cap Vert est la pointe occidentale du continent africain. Le nom Cap Vert, Cabo Verde en Portugais, lui a été donné en 1444 par le navigateur Denis Dias fasciné par sa luxuriance. Les Lebu ont baptisé la contrée Ndakaru, Dakar, il ya de cela plus de 5 siècles. Une opinion très populaire dit que Ndakaru vient de « daqaar gi » (le tamarinier). Mais, selon le Ndey Ji Rew, Alioune Diagne Mbor, il vient de « dëkk raw » qu’on peut traduire par « le refuge », « l’asile de paix », ou, littéralement, « qui s’y installe est sauvé ». Quant au nom Lebu, il vient, d’après l’Imaam Ratib, Alioune Moussa Samb, de « lebukaay ba » qui signifie « le lieu où l’on emprunte ». Car la Presqu’île du Cap Vert était généreuse, ses mers poissonneuses ; et, en période de soudure, les populations de l’intérieur du pays venaient y contracter crédit. Une autre version dit que Lebu vient de « léeb » qui signifie « conte », ou bien de « léebu » qui signifie « faire des devinettes », « poser des énigmes ». D’autres versions existent dont celle qui dit que Lebu signifie défi, volonté d’indépendance et viendrait du mot « lubu » qui veut dire « guerrier belliqueux ».
Un périple de plusieurs millénaires
Une opinion assez sérieuse parle de l’origine lybienne des Lebu. Lybia signifie, en effet, « pays des Lebu », selon Pr Ki Zerbo. Et Cheikh Anta Diop de dire que « les égyptiens anciens désignaient du nom de Lébou les riverains de la Cyrénaïque actuelle à l’Ouest du delta du Nil ». Donc, avant leur installation à la pointe occidentale du continent africain, un périple de plusieurs millénaires qui se fit en plusieurs étapes, aurait mené les Lebu des rives du Nil aux rives du Sénégal, en passant par le Nord du continent. Un long parcours qui, selon Djibril Samb, Notable à Ngor, aurait façonné un type d’homme pétri de valeurs dont Mgr Benoit Truffet, Chef de mission des côtes occidentales d’Afrique, parle en ces termes : « la droiture, la probité, le respect pour le mariage, la soumission des enfants aux parents, leur affection pour leur père, l’hospitalité patriarcale des wolofs contrastent avec les mœurs des Européens. Le meurtre, le vol et la fraude sont des choses inouïes dans la Presqu’île du Cap Vert ».
Quoi qu’il en soit, c’est du Jolof, essentiellement, que les Lebu sont venus habiter le Cap Vert vers fin 14ème, début 15ème siècle. Dans son ouvrage intitulé « Le peuple lébou de la Presqu’île du Cap Vert », Pr Assane Sylla rappelle que « la tradition orale signale la présence des ancêtres des Lébou dans le Sud du Sahara et sur la boucle du fleuve Sénégal ». Après avoir franchis le fleuve, ils séjournèrent dans le Tekruur puis dans le Waalo avant de descendre vers le Jolof, d’où, sur recommandation de leur « Tuur » (génies protecteurs), ils descendront vers la Presqu’île où, selon les oracles, « les attendaient le bonheur et la prospérité ». Mais le Cap Vert n’était pas une terre inhabitée. A leur arrivée, les Lebu trouvèrent sur place les Soocé (Mandingue) qui, après une bataille où ils perdirent leurs chefs Malang Tamba et Diallo Diaw, se retirèrent vers la Gambie.
Pr Assane Sylla rappelle, dans son ouvrage précité, que « dès qu’ils se sentirent en sécurité dans la Presqu’île, les Lébou se dirent qu’ils étaient installés sur leur terre promise par les « Tuur ». Ils leur manifestèrent leur reconnaissance en leur faisant le serment d’accueillir et de protéger tout fugitif qui viendrait chez eux ». Et, effectivement, des vagues d’immigrants affluèrent vers la Presqu’île, fuyant le despotisme de certains rois dont la folie sanguinaire était exacerbée par la présence des négriers. Mais les Lebu respectèrent le serment fait à leurs « Tuur », car tous les nouveaux venus étaient accueillis, installés et intégrés à la Collectivité ; et une ligne budgétaire de la République était destinée à cette politique d’intégration, indique le Ndey Ji Rew, Alioune Diagne Mbor. Tout ceci fait dire à l’Imaam Ratib, Alioune Moussa Samb, que les Lebu ne sont pas une ethnie et que la « lébouité » est un comportement, un état d’esprit démocratique ouvert aux mondes (visibles et invisibles), refusant l’arbitraire, l’oppression et la servitude. Cette opinion est confirmée par Mbaye Thiam qui dit, parlant de l’occupation de la Presqu’île par les Lebu : « Il s’agit d’une migration par petits groupes de familles appartenant à toutes les ethnies du Sénégal ». Le Jaraaf Falla Fouré Aïssa Paye, ne disait-il pas, selon Mbaye Diagne, Responsable Moral des « Rak Mbay » : « Toute personne qui dépasse les limites de la forêt dite « Allub Kaañ » et accepte de se conformer aux lois et règlements que notre peuple s’est librement choisi, sera considérée Lebu à part entière ».
Des étapes de l’installation à l’indépendance
Après Béerum Calaan et les premiers villages (Mbijëm, Jànki Malikumba et Cëddéem) dans le Jànder (limite Est du Cap Vert), en passant par Kuunuun, Barñi, Tënggéej, Mbaaw, Yëmbël et Caaroy, … il ya l’étape charnière de Mbuxeex que le Jaraaf de Ngor, El Hadji Saliou Samb, situe au niveau du site actuel du stade Léopold Sédar Senghor et alentours et où les Lebu auraient vécu 105 ans, selon Matar Siby, Chef du Peñc de Guy Salaan ; et d’où tout serait parti. En effet, lorsqu’une épidémie de « nelawaan » (maladie du sommeil) s’abattit sur Mbuxeex, ses habitants le quittèrent en trois groupes : Le premier groupe fonda Yoof (de Yeew fi : attacher ici) fief des Mbengue ou Mbenga et terre d’élection de Mame Ndiaré (génie protectrice de la cité) d’où retentira quelques siècles plus tard l’appel de Seydina Limamou Laye ; ensuite Ngor (la dignité), fief de Thialaw Ndéthiou Samb ou Samba confident du génie tutélaire Mame Gorgui Basse ; enfin Waakaam (de wa kamba ga : ceux de la cuvette) fondé par les Guèye avec la bénédiction de Mame Youmbour Yaté. Ces 3 villages (Yoof, Ngor et Waakaam) sont appelés « Tank » (pied). Parce que, dit Ndiaga Samb, Président de l’Association des Jeunes Lébou, les habitant de ces localités étaient passés maîtres dans l’art des randonnées pédestres. Le deuxième groupe fonda Beeñ qui signifie « sable fin de plage » sur la plage de Yaraax (la transparente). Enfin, le troisième groupe, qui, en fait, n’est qu’un prolongement du premier, fonda le village de Sumbejun d’où se perçoivent les îles jumelles appelées « Wër », demeure du génie protecteur de Dakar communément appelé Ndëk Dawur. Ces deux derniers groupes (celui de Beeñ et celui de Sumbejun) ne tardèrent pas à se déplacer vers la pointe Sud Ouest de la Presqu’île à Bëñul (situé vers l’Anse Bernard et Cap Manuel) ; avant d’occuper toutes les terres de Tund (le centre ville actuel alors occupé par les dunes : tund). Ce fut la création des Peñc, ces villages mythiques dont les Lébu se considèrent comme les fils (doomu peñc) ; et qui sont actuellement au nombre de 12, dont 6 au Plateau (Cëddéem, Mbot, Yaq Jëf, Kaay Findiw, Guy Salaan, Hok), et 6 à la Medina (Sañcaba, Cëriñ, Mbakkënë, jekko, Ngaraaf, Kaay Ousmane Diéne).
Avec l’éclatement du Grand Jolof en 1549, le Kayoor recouvrit son indépendance. S’ouvrit alors une période marquée par les visées expansionnistes des Damel en direction de la Presqu’île du Cap Vert. Les Lebu durent mener plusieurs batailles, dont celle de Barñi contre Amary Ngoné Ndéla, celle de Pikin contre Lat Soukabé Ngone Dièye, celle de Yoof contre Diambor et celle contre Biram Diodio Sambel Diouma Ngoor. L’indépendance de la Presqu’île fut reconnue par le Damel Amary Ndella Coumba en 1790. Un traité de paix fut signé avec Birima Fatim Thioub, son successeur. Dial Diop, fils de Ngoné Mbengue Tagoulé et de Massamba Koki Diob, dit Témour, fut élu premier Seriñ Ndakaaru.
Des relations amicales s’établirent à partir de 1817 entre les Français établis à Gorée et les Lebu. Des traités furent signés entre les représentants de la France et ceux de la République Lebu. D’abord le traité du 10 Octobre 1826, réglementant les interventions à l’occasion des fréquents naufrages sur les côtes dakaroises. Ensuite celui du 22 Avril 1830, concernant des révisions de taxes que les Français payaient aux Autorités de la Presqu’île. Enfin celui du 10 Août 1832 cédant aux Français un terrain à la Pointe de Bel Air pour accueillir un cimetière.
En vérité, les Autorités françaises respectaient les Lebu. Mais, par ces traités, ils réussirent un processus de colonisation en douceur qui leur permit de s’installer de manière effective en territoire Lebu sans que ces derniers ne comprennent ce qui leur arrivait.
La colonisation et l’occupation des terres
Ce fut le matin de Korité du 25 Mai 1857. Alors que les Lebu croyaient à une visite amicale, voici ce qu’écrivait le Capitaine de Vaisseau, Protêt, Commandant Supérieur de Gorée, au Ministre de la Marine : « J’ai profité, pour faire acte de possession, du jour du Ramadan qui est pour la population indigène de la Presqu’île la plus grande fête de l’année (…) les coups de fusil, les danses et les habits de fête de tous ces noirs ont autant célébré la domination française que la fin de leur carême. » Et Claude Faure de témoigner : « Pendant 40 ans, (1817-1857), les relations entre Gorée et la Presqu’île du Cap Vert furent celles qui existent entre deux puissances étrangères». Hélas, était venu le temps de la compromission pour le fier peuple Lebu, car les Français étaient devenus les plus forts. Et ils fixaient désormais les règles du jeu. Mais, par stratégie, ils laissèrent aux chefs de la Collectivité Lebu leur autorité traditionnelle et une partie des droits dont ils jouissaient avant l’occupation.
Dans un premier temps donc, la priorité des Français était de réaliser leur vieux rêve d’occupation des terres du Haut Plateau. La politique d’acquisition par l’achat et la location ne suffisant pas à la réalisation de ce rêve, ils eurent recours à la réquisition. C’est pourquoi, l’épidémie de fièvre jaune de 1900 fut pour les Français une aubaine. Ils purent, arguant les mesures sanitaires, délocaliser une bonne partie des populations autochtones de cette zone stratégique. En 1905, la Convention dite de Bëñul, dont la publication souleva des vagues de contestations, fut pour les Français l’occasion de s’emparer de deux vastes terrains propriétés commune de la Collectivité Lebu. En 1914, une épidémie de peste éclata au mois de Mai. Et les populations autochtones furent appelées à se déplacer vers Tillèn (repère de Till : chacal) que les français ont voulu baptiser Ponty-ville. C’est grâce à l’intervention du Marabout, El Hadji Malick Sy, qui donna au site le nom de « Madinatul Munawara » (Médina), qu’une bonne partie de la population se résigna au déplacement. Mais ce déplacement/exil fut stoppé net suite à 3 évènements qui émoussèrent l’ardeur des colonisateurs. D’abord une révolte qui éclata au Peñc de Kaay Findiw où plus de 5000 personnes armées, dirigées, entre autres, par le Ndeyi Jàmbur Youssou Bamar Gueye, étaient prêtes à en découdre avec les bruleurs de cases et leurs mandants. Ensuite une intervention mystique du Jaraaf Farba Paye face aux 3 émissaires blancs venus lui parler de déguerpissement. Selon son petit-fils, El Hadji Ibra Paye, actuel Jaraaf, il leur fit voir le saignement du kaïcédrat géant du Peñc de Mbot et entendre le bourdonnement des abeilles gardiennes de la cité… Enfin, l’élection de Blaise Diagne, en mai 1914, à l’Assemblée Nationale Française. Le « premier député noir » obtiendra en 1927 que le terrain de Tund, concerné par la Convention de 1905, revienne à ses propriétaires légitimes.
Organisation politique et administrative
La société Lebu est organisée en branches matrilinéaires appelées « Xeet » : Waneer (astucieux), Jaasiraatu (sabreurs), Xonq Bopp (fomenteurs de troubles), etc. Les Lebu veillaient toujours à ce que les différentes fonctions politico-administratives soient distribuées à des lignées différentes, afin d’éviter une concentration des pouvoirs entre les mains d’une même famille. Ainsi vécurent-ils longtemps avec comme principales fonctions le Jaraaf qui est le Chef de Village, le Ndeyi Jàmbur qui est le Président de l’Assemblée des Jàmbur, le Saltige qui est le Chef de Guerre et le Ndey Ji Reew qui est le Porte Parole des Populations. Avec l’Islam, naquit, à l’heure de l’indépendance, la fonction de Seriñ Ndakaaru à l’origine chargé de rendre la justice selon le Coran. Après l’indépendance, les choses évoluant, les fonctions politico-administratives s’organisèrent en un véritable gouvernement où le Seriñ Ndakaaru devint le Président de la République, le Ndey Ji Reew, Premier Ministre, le Ndeyi Jàmbur, Président de l’Assemblée des Jàmbur, le Jaraaf, Ministre des Finances et de l’Agriculture, le Saltige, Ministre chargé de la Sécurité Intérieure et Extérieure, l’Imaam Raatib, Ministre du Culte, le Xaali, Ministre de la Justice, le Bargéej, Ministre de la Pêche et le Ndey Ji frey, Président de l’assemblée des Frey.
Le Gouvernement de la République Lebu est assisté par une Assemblée législative composée de 36 Jàmbur agés de 50 ans ou plus à raison de 3 Jàmbur par Peñc. L’Assemblée des Frey (jeunes élus) prend en charge la réalisation effective des décisions du Gouvernement ainsi que les grands travaux. Mais, bien des choses ont changé depuis …
ABDOU KHADRE GAYE, Ecrivain,
Président de l’Entente des Mouvements et Associations de Développement (EMAD)
Tel : 33 842 67 36 ,
Mail : emadassociation1@gmail.com