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Il est grand temps d’instaurer une nouvelle donne en matière de migration
Dans le monde d’aujourd’hui, durement éprouvé par la récession, où les pertes d’emploi sont légions et les soins de santé ainsi que d’autres services publics de plus en plus surchargés, la migration est devenue une question brûlante d’actualité, inscrite à l’ordre du jour dans les débats publics d’un grand nombre de pays de destination des migrants.
Malheureusement, l’essentiel du propos est exclusivement centré sur le fardeau apparent que les migrants semblent représenter pour les pays d’accueil, par ces temps difficiles de crise économique. La minorité de migrants sans papiers sont désormais au centre de l’attention, ce qui ne manque pas d’exacerber les sentiments de peur et de xénophobie à leur encontre. Dans un tel contexte, les résultats induits par la migration sur la majorité des parties concernées, pourtant en grande partie positifs, passent inaperçus.
Pourtant, toutes ces craintes n’ont pas lieu d’être et il ne devrait pas en être ainsi. J’affirme qu’il « ne devrait pas » en être ainsi, car la quête de meilleures opportunités sous d’autres cieux est un élément fondamental de la liberté humaine. Et il ne devrait pas en être ainsi précisément parce que les politiques liées à la migration peuvent à la fois répondre aux exigences et aux préoccupations nationales d’une part et aider à améliorer la contribution de la mobilité au développement humain, d’autre part.
La migration est un processus qu’il convient de gérer et non un problème qu’il faut résoudre, soutient l’édition 2009 du Rapport mondial sur le développement humain, une étude indépendante commandée par le Programme des Nations unies pour le développement, qui est lancée aujourd’hui. L’étude présentée par le Rapport intitulé “Surmonter les barrières : mobilité humaine et développement” (Overcoming Barriers : Human mobility and development) est révolutionnaire. Elle passe soigneusement en revue le corpus des données internationales et nationales actuellement disponibles en matière de migration et les analyse selon la perspective des hommes et des femmes impliquées dans le processus : les migrants, leur famille, leur communauté d’origine et la communauté de destination au sein de laquelle ils vivent et travaillent.
Le Rapport met en évidence les gains potentiels de la migration pour toutes les parties concernées, ainsi que les risques et les coûts qui y sont associés, particulièrement pour les plus pauvres. Il détaille les avantages, souvent considérables, qu’en retirent les pays d’origine, mais met en garde contre la tentation de considérer la migration comme une alternative au développement national. Il épingle les obstacles qui entravent la circulation des migrants, qu’ils s’agissent des interdictions absolues d’entrée sur les territoires, des coûts prohibitifs liés à l’établissement des documents d’identité requis pour passer d’un pays à l’autre ou de la discrimination et des préjudices dont sont victimes les migrants dans les pays de destination. Par conséquent, le Rapport tend à démystifier un grand nombre d’idées préconçues qui alimentent les débats sur la migration. En fait, la plupart des personnes recensées sur les routes et dont le nombre total est estimé à 1 milliard d’individus se déplacent à l’intérieur des frontières de leur propre pays.
Contrairement aux idées reçues, le pourcentage de la population mondiale qui traverse les frontières a été remarquablement stable ces vingt-cinq dernières années. Ce qui est néanmoins vrai est qu’une plus grande proportion de ces migrants se dirige désormais des pays en développement vers les pays développés. Les impacts induits par ces mouvements de populations varient considérablement d’une région du monde à l’autre.
Le Rapport bat en brèche les stéréotypes selon lesquelles les migrants viendraient « voler nos emplois » ou « vivre aux crochets des contribuables » et remet en cause les images d’Épinal qui présentent les migrants comme de simples « victimes ». La migration n’est jamais chose simple. Les conflits, les catastrophes naturelles et les difficultés économiques obligent un grand nombre d’individus à quitter leur contrée d’origine. Certains tombent aux mains de trafiquants sans scrupule, souvent au prix de terribles souffrances. Cependant, dans l’ensemble, les preuves avancées tendent à suggérer que pour la grande majorité des migrants, les coûts, les difficultés et le stress associés au déplacement sont largement compensés par les avantages acquis en termes d’amélioration des conditions de vie, non simplement en matière de revenus, mais également sur d’autres plans liés au bien-être, tels que la santé, la scolarisation et l’autonomisation.
Les compétences, les idées et les facteurs de diversité introduits par les migrants profitent aussi largement aux sociétés de destination. Le Rapport ne fait état d’aucune preuve attestant des pertes d’emploi à large échelle subies par les résidents locaux au profit de l’afflux de migrants. La contribution des migrants à la croissance économique est dans certains cas plutôt élevée, alors que l’impact de ceux-ci sur les services publics est généralement assez faible, voire positif, bien que certaines collectivités locales soient confrontées plus que d’autres à de lourdes charges en la matière..
Plus important encore, le Rapport présente des preuves indiquant que l’opinion publique dans bon nombre de pays est loin d’être hostile à la migration, sous réserve qu’il y ait suffisamment d’emplois disponibles à pourvoir.
Les emplois sont souvent l’enjeu principal des débats en cours dans les pays de destination. Le Rapport met en avant un ensemble de mesures permettant de faciliter l’admission des migrants susceptibles de satisfaire à la demande de main-d’œuvre. Il est donc grand temps d’envisager une nouvelle donne pour la migration, de manière à en faire profiter les migrants eux-mêmes, les membres des communautés de destination et les individus restés dans les contrées d’origine.
Fondées sur les meilleures pratiques en la matière, les mesures préconisées par le Rapport sont politiquement réalisables, spécialement dans l’éventualité de la relance économique, qui ne saurait tarder. La croissance retrouvée ouvre, en effet, la perspective de nouveaux emplois. Dans ces conditions, une politique migratoire bien gérée profite à la fois aux sociétés d’origine et de destination. Dans un grand nombre de pays développés, particulièrement en Europe où les populations sont vieillissantes, la garantie de la continuité des flux migratoires est une condition essentielle à la garantie d’une croissance économique soutenue.
Cependant, cet intérêt mutuel doit être envisagé dans le cadre d’un ensemble élargi d’obligations impératives. La migration est motivée par des inégalités flagrantes et grandissantes. Les pauvres sont ceux qui auraient le plus à gagner de la migration. Par conséquent, l’admission d’un nombre plus important d’individus non qualifiés, par exemple, pourrait contribuer à optimiser les gains de la migration sur le plan du développement humain. Par ailleurs, il est tout aussi important de garantir aux migrants un traitement juste et équitable. À titre d’exemple, la lutte contre la discrimination au niveau des salaires profite aux travailleurs locaux autant qu’aux migrants. Les droits des migrants doivent être protégés, notamment les droits des migrants clandestins.
Une telle politique équilibrée à l’égard de la migration est possible. Le défi auquel sont confrontés les gouvernements est loin d’être simple. Certains gouvernements, mais pas tous, avaient commencé à s’engager sur la bonne voie, mais le mouvement semble avoir marqué un recul durant la récente récession économique. Une perspective à long terme est nécessaire, dans laquelle les employeurs, les syndicats et la Société civile ont un rôle de premier plan à jouer.
Le Rapport, qui est lancé en ce jour, devrait contribuer à éclairer le débat public en l’étoffant grâce aux vues mesurées et aux informations extrêmement bien documentées qu’il contient.
Jeni KLUGMAN est le directeur du bureau du Rapport mondial sur le développement humain
Jeni KLUGMAN