les signes avant-coureurs
Lettre ouverte au président de la République
L’urgence et l’exigence de l’heure commandent à toutes les forces vives de la Nation de se lever pour endiguer les flots de violence qui tentent de dévaster le pays. En ces moments, se taire revient à apposer sa signature sur l’entreprise de destruction du pays. C’est pour cette raison, Excellence que je vous demande de me permettre de vous dire qu’il ne se trouve pas un seul Sénégalais qui éprouve un sentiment de fierté en abordant l’état de délabrement avancé de la démocratie, de l’économie, de la culture, de la santé et de l’agriculture de son pays. Et pourtant, il y a peu de temps, ce pays était réputé pour l’excellence de sa démocratie, la solidité de ses institutions, l’assainissement de son économie, la clarté de sa culture et la grandeur de sa classe politique, républicaine jusqu’au bout des doigts. Autant dire que les citoyens vous ont donné, en 2000, un pays en bon état, aujourd’hui vous en avez fait une ‘démocratie bananière’.
Il est certes vrai que ce pays a traversé des crises politiques profondes, mais à chaque fois, les acteurs politiques et les intermédiations sociales se sont levés, en un élan solidaire et patriotique, pour apporter une solution à la pathologie sociale. En 1962, en 1963, en 1968, en 1972, en 1980, en 1988 et en 1993, des hommes et des femmes se sont donné le mot d’ordre de préserver leur pays du chaos, et ils ont réussi. C’est pour vous dire, Excellence, qu’à chaque fois qu’une crise s’est installée dans ce pays, le chef de l’Etat de l’époque adoptait la posture du berger de la paix et de la sécurité. Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf ont traversé l’histoire politique de ce pays en veillant sur la paix et sur la sécurité des biens et des personnes, même s’il y a beaucoup de choses à dire quant à la façon dont la démocratie était gérée en ces temps-là, je vous le concède, vous qui avez fréquenté les prisons pour avoir manifesté un désir ardent de promouvoir une politique respectueuse des droits humains. Mais les citoyens veulent que l’histoire soit un fleuve qui charrie le bien et qui se déleste de ses éléments négatifs. Voilà, Monsieur le président de la République, toute la philosophie de votre élection en 2000 et de votre réélection, contestée à juste raison, en 2007.
Les citoyens voulaient un coup de force progressif sur la démocratie, sur les institutions et sur la fracture sociale ponctuée par un fort taux de chômage des jeunes et des femmes, une paupérisation dramatique des couches intermédiaires, une difficulté d’accès aux soins de santé de base, un système éducatif délabré, une agriculture et un élevage plongés dans les limbes de l’amateurisme, une politique énergétique inefficace et une inondation chronique des zones peuplées. Vous aviez donné l’assurance et la garantie, en 2000, de vous pencher prioritairement sur ces fléaux qui déstructuraient le tissu socio-politique. Mais, une fois élu à la tête de ce pays, vous avez rangé dans les oubliettes les aspirations du peuple pour dérouler votre propre scénario, qui ne flatte que votre ego démesuré. Vous avez privilégié les dépenses de prestige (Fesman, Monument de la renaissance africaine, avion de commandement, musées, etc.) et la construction de routes, de ponts et de ‘tunnels’, qui aurait pu attendre que les citoyens mangent à leur faim, que les élèves aillent à l’école, que les jeunes travaillent et que les citoyens se soignent. Les routes, ponts et tunnels ont enrichi honteusement tout un clan niché autour de vous. Au Maroc et en Tunisie, le kilomètre de bitume coûte entre un milliard deux cents millions et un milliard cinq cents millions. Dans ce pays, le coût est plus élevé si l’on en croit les experts.
Monsieur le président de la République, les prix de l’essence et du gasoil connaissent des hausses vertigineuses que rien ne justifie. Le Mali voisin, qui s’approvisionne chez vous, vend moins cher le litre d’essence et celui du gasoil. Malgré les six cents milliards de F Cfa que vous avez alloués au plan Takkal, les populations sont constamment dans le noir. Malgré le budget de deux cents milliards de F Cfa du super-ministère de votre fils, rien ne marche dans ce pays. Les denrées de première nécessité sont devenues la hantise des pères de familles dont le salaire ne couvre plus une semaine de vie normale. Hélas, Monsieur le président de la République, vous n’en avez cure et continuez allégrement dans votre entreprise malheureuse de destruction de ce pays qui vous a tout donné. Monsieur le président de la République, les citoyens s’attendaient, depuis mars 2000, à la grande bataille contre la paupérisation des couches démunies et au combat titanesque pour l’éclosion d’Institutions républicaines dignes de ce nom. Vous avez laissé cette couche sociale orpheline et affaibli les Institutions de la République en les travestissant.
Aujourd’hui, les Sénégalais sont fatigués, les écoles sont paralysées par des grèves cycliques, les hôpitaux sont désertés à cause d’un manque criard de moyens curatifs, les justiciables se sont détournés du pouvoir judiciaire vassalisé par l’Exécutif, les citoyens, désillusionnés, vivent en direct l’avachissement du service public, transformé par vos sbires en un quartier général du Pds. Les morts hantent le sommeil des citoyens. Les ‘calots bleus’, intégrés dans le corps de la police nationale, ont eu la vie d’un jeune étudiant répondant au nom de Mamadou Diop. Il avait trente-deux ans, était marié et père de deux enfants. Ses parents et sa femme pleurent devant ses enfants qui constatent que leur papa ne rentrera plus jamais à la maison pour leur raconter des histoires joyeuses. Les balles réelles tirées par les ‘calots bleus’ ont blessé un petit-fils de Mame Maodo Sy et de Seydina Aboubacar Sy, les vénérables de Tivaouane. Une cinquantaine de blessés peuplent les salles des hôpitaux de Dakar. A Podor, trois personnes, qui vaquaient à leurs occupations, sont fauchées par des balles perdues. Une bavure, dit-on encore. Excellence, permettez-moi, par décence, d’arrêter la longue et macabre liste qui jonche votre parcours depuis un certain 20 mars 2000.
Excellence, votre choix délibéré de conserver une fonction managériale dans votre formation politique et l’irruption de votre fils dans l’espace étatique ont administré un singulier camouflet à la République. La chose publique devient familiale. La généalogie remplace la citoyenneté. Il est difficile, voire impossible, d’être juge et partie. Et pourtant, tout au long de votre parcours politique, en tant qu’opposant, vous n’aviez cessé de dénoncer cette clause de la Constitution de 1963 et vos prédécesseurs n’ont jamais osé hisser leurs fils à des niveaux de responsabilité étatique. Mais, coup de tonnerre dans le ciel de la démocratie sénégalaise, la Constitution de janvier 2001 reconduit la même clause. Dubitatifs et désorientés, les citoyens se posent des questions tout en espérant que le Rubicon ne sera jamais franchi.
Autre point nodal, vous passez outre les points centraux contenus dans le document de la Ca 2000 et fustigez le régime parlementaire qualifié, par vos soins, de facteur d’instabilité. Vous préférez l’hyper-présidentialisme qui répond plus à votre tempérament. Il vous faut tout contrôler et tout régenter. Les citoyens l’apprennent à leurs frais. Votre fils, qui est votre conseiller spécial, trône à la tête d’une agence dotée d’un budget faramineux. Et personne n’a le droit de fouiller dans les affaires financières de votre fils. Macky Sall l’apprendra à ses dépens. Il est déchu de la Primature et du perchoir et intègre l’opposition. Idrissa Seck, un de vos fils ‘putatifs’, parle alors de ‘maturation du fils biologique’. Vous le limogez de son poste de Premier ministre et l’envoyez en prison. Désormais la vie politique s’articule autour de votre fils et sa volonté de devenir président de la République après vous ne souffre d’aucune ambigüité.
Le pays retient son souffle car il pensait être dans la démocratie et voilà qu’on lui sert une monarchie. Comme vous, votre fils s’accapare de tous les leviers de l’Etat et du gouvernement. Jamais un fils de président de la République n’a eu autant de pouvoirs entre ses mains. Conséquence de ce fait, le peu de crédibilité qui vous restait s’est évaporé. Seize fois de suite, vous tripatouillez la Constitution pour régler un problème politique anodin. Le peuple se cristallise et la société civile entre dans la danse pour sonner la fin des impunités. Aujourd’hui, le pays est au bord du chaos et vous seul détenez la clef de la résolution. Il suffit tout simplement que vous vous retiriez de la course électorale pour que ce pays respire la joie. La Constitution de 2001 n’offre que deux mandats. Vous l’avez conçue et vous en êtes le gardien. L’exercice herméneutique, à coût de milliards de F Cfa, ne peut vous donner raison.
La raison judiciaire est à chercher dans l’article 108 et permettez-moi Excellence de le citer : ‘La Constitution adoptée entre en vigueur à compter du jour de sa promulgation par le Président de la République. Cette promulgation doit intervenir dans les huit jours suivants la proclamation du résultat du référendum par le Conseil constitutionnel.’ De cette clause a résulté, dans un premier temps, la suppression du Sénat et du Conseil économique et social, la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation d’élections législatives en 2001.La dernière étant faite en 1998 pour un mandat de cinq ans, faites le calcul.Excellence, selon vos exégètes, l’article 108 a une application discriminatoire. Quel dommage pour un juriste de votre tempe.Excellence, permettez-moi de mettre un terme momentané à cette lettre tout en vous souhaitant une bonne compréhension de ce qui fait le bonheur d’un peuple qui vous a tout donné. Merci d’avance.
Abdoulaye SEYE, Journaliste
Seule la cohésion nationale pourra sauver l’Ecole sénégalaise
Qu’Allah, le Très Miséricordieux le Tout Miséricordieux, dans son infinie bonté épargne notre cher Sénégal d’une année blanche avec ses lourdes conséquences sur le destin de ce que nous avons de plus cher : notre jeunesse.
Nous en avons les signes avant-coureurs, avec cette violence aveugle, sans nom, qui s’installe solidement, et se pérennise à l’Université Cheikh Anta Diop. Tous les ordres d’enseignements sont dans le combat. Le ton se durcit. La radicalisation explique cette inquiétude au paroxysme qui trouble le sommeil des familles.
Cette situation dramatique, - déplorons le, tous, vivement, - inquiète, à plus d’un titre, les parents d’élèves, concerne toutes les couches de la Nation, sans exclusive, mais aussi et surtout les partis politiques, les organisations syndicales, les leaders politiques (pouvoir et opposition), la Société civile, les Mouvements citoyens, les chefs religieux et Autorités coutumières, le Patronat, la liste est loin d’être exhaustive. L’heure est à la solidarité et le devoir nous commande d’agir, ensemble et vite, avant qu’il ne soit trop tard.
Face à ce ‘cancer’ (la crise scolaire et universitaire), notre responsabilité est collective. Ici, et à notre humble avis, le rôle des partis politiques est essentiel pour un règlement consensuel de ce problème complexe. La Politique, rappelle le président François Mitterrand ‘n’est pas une question d’humeur’.
De la brillante conférence du Professeur Raymond Barre, ancien Premier ministre de la République française (1976 -1978) (le Pouvoir des Partis), ce paragraphe que nous en avons extrait se passe de commentaires. ‘Quoi que l’on puisse dire de leurs travers ou de leurs défauts, les partis politiques constituent un élément fondamental de la démocratie pluraliste. Ils sont les intermédiaires nécessaires entre le Pouvoir et les citoyens. Ils sont des organes d’encadrement, des courroies de transmission, des garants de la liberté. Le pouvoir des partis dans l’exercice de ce rôle est utile et bénéfique à la vie démocratique de la Nation’.
N’est-ce pas l’heureuse, inestimable et salutaire occasion pour tous, mûs par le seul intérêt de la Nation, d’engager un dialogue fécond, vecteur de paix et d’équilibre, seule voie, nous semble-t-il, pour sauver l’Ecole sénégalaise en général, et l’Université, en réel danger ?
Du reste, - reconnaissons-le, et soulignons-le, avec force, - tous les acteurs politiques nourrissent les mêmes desseins pour faire du Sénégal un pays émergent même s’ils empruntent des voies divergentes pour atteindre ces nobles objectifs.
Plus jamais cela : ces scènes effroyables, ces échauffourées, ce tableau sombre sur l’Avenue cheikh Anta Diop ou sur le campus avec leurs ramifications dans les collèges et lycées du pays.
Tous ceux et toutes celles qui sont concernés par l’Education, administrateurs comme administrés, employeurs comme employés - ont à examiner lucidement, sereinement, sans arrière-pensée les problèmes multiples que nous avons à résoudre.
La confrontation est stérile si elle débouche sur l’affrontement. La Paix sociale n’a pas de prix et le dialogue aux solides vertus est à privilégier, à consolider et à pérenniser. Approprions-nous cette vérité et cette sage leçon ‘le bouclier c’est la Paix, et l’arme le dialogue’.
Point de vainqueurs ni de vaincus, c’est tout le corps social qui est interpellé, sommé de trouver, ensemble, la meilleure solution possible. Cette analyse, implicite ou explicite de la situation de l’Education dans notre pays, ce compendium, nous l’espérons, seront des éléments utiles au chef de l’Etat pour la Bonne Gouvernance.
Nos compatriotes, aimables lecteurs constateront que nous avons, à dessein, fait abstraction dans cette contribution du volet sensible des négociations entre gouvernement et enseignants et leur niveau d’exécution. Notre propos était simplement de tirer la sonnette d’alarme face à ce danger qui nous guette tous, à travers nos enfants. Aucun gouvernement, c’est notre intime conviction, ne saurait gouverner contre sa jeunesse à qui, il doit protection contre les forces du mal, les conflits idéologiques susceptibles de compromettre son avenir.
Le gouvernement et les enseignants-enseignés, représentants des organisations syndicales sont d’une même Nation, construisent la même Nation. Ils peuvent avoir des vues divergentes mais ne devraient point demeurer des adversaires irréductibles. C’est la claire conscience de cet esprit qui, nous le souhaitons, placera les questions cruciales de l’Education dans leur véritable contexte et sera un catalyseur de succès futurs.
Face à l’école sénégalaise secouée par une crise profonde, implorons tous, par nos ferventes prières, dans un même élan dans l’humilité, l’union des cœurs et des esprits, Allah le Tout-Puissant afin que s’instaure une paix durable dans nos Universités, nos collèges et lycées, que l’année 2012 se déroule sur des eaux calmes, au grand bonheur de notre jeunesse à qui appartient la relève pour un Sénégal émergent, occupant la place privilégiée qui lui revient dans le concert des Nations. Cette rencontre, autour d’une table pour sauver l’année universitaire est un impératif catégorique. La dynamique, patriotique et vigilante fédération nationale des associations des parents d’élèves, bouclier et rempart de l’Ecole sénégalaise en connaît parfaitement l’importance, la dimension et le caractère sérieux. Aussi, le président Bakary Badiane et sa vaillante équipe prendront-ils en charge et sans délai ce dossier brûlant et sensible pour réussir, avec l’aide de Dieu, devant l’histoire, cette mission cruciale mais difficile, dans l’intérêt supérieur de la Nation (Allah soit exalté).
Comme le dit si bien, notre bien aimé poète-président, l’académicien Léopold Sédar Senghor, dans notre hymne national : ‘Soleil sur nos terreurs ! Soleil notre Espoir’.
Cheikh Abdoulaye DIENG
La défiance politique est légitime - Obéir n’a de sens que lorsque le commandement est juste
Le M23 pose aujourd’hui devant l’opinion une question d’importance. Est-il légitime de défier le pouvoir politique ? Cette question est souvent répétée en redondance dans les déclarations des supporteurs du pouvoir actuel et dans certaines prédictions qui prêchent, en toute bonne foi, pour la paix.
Cette question m’entraine à me poser la question de savoir quel est le rapport entre la déviance constitutionnelle et la défiance politique ? Est-ce que c’est la défiance qui menace la paix ? Qu’en est-il de la déviance qui a engendré cette défiance ?
La question de la défiance politique ne peut être analysée dans l’ignorance de la déviance constitutionnelle qui l’a engendrée. Car, depuis toujours, la résistance civile, pour parler comme ( Jacques semelin, chercheur Ceri, sciences po, Paris) a été une arme des élites et des populations devant les iniquités des pouvoirs politiques et la forfaiture. Les exemples peuvent être trouvés dans différents endroits du monde et à différentes époques : aux Etats-Unis avec Martin Luther King et le Mouvement pour les droits civiques, en Inde avec Ghandi, en Afrique du Sud, avec Mandela, en Tunisie, en Egypte, tout récemment et en Syrie actuellement. Auparavant dans les années 90, le mouvement Solidarnosc dirigé par Lech Valessa et tout le printemps des pays de l’Est sont des illustrations.
L’observation de ces cas nous montre que ce sont des mouvements de défiance politique et de résistance civile qui résultent d’une tentative d’asservissement du citoyen par la manipulation de la constitution, la mise sous ordre de l’appareil judiciaire et l’instrumentalisation du législatif. A ce niveau, on remarque qu’il y a deux façons d’asservir les citoyens : un asservissement qui consiste à entretenir la peur par les armes et la violence policière, la torture, l’assassinat et la disparition, d’une part et d’autre part, un asservissement civil par le vote de lois injustes et la subordination des institutions de la République. Ce second type est plus subtil et plus pernicieux car il permet d’invoquer le respect des institutions et de paraitre être victime de conspiration d’opposants qui ne "veulent pas respecter l’injonction de la loi". Cependant aussi subtil soit-il, il n’en demeure pas moins être un asservissement qui justifie une résistance civile et pacifique mais déterminée. Comme disait Martin Luther King, dans la lettre de Birmingham, à force d’attendre, on risque de ne jamais y arriver, par conséquent, la désobéissance civile devient justifiée face à une loi injuste, mieux « chacun a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes". Et Martin Luther King de poursuivre, "J’abonderais dans le sens de saint Augustin pour qui « une loi injuste n’est pas une loi » ’’.
Or, la défiance politique et la résistance civile posent problème aux déviants car ils n’ont pas de réponses appropriées. Une répression devant une résistance pacifique fait tomber le masque. Par conséquent, les tenants de la déviance, pour justifier leurs forfaitures et jeter le discrédit sur les ’’résistants’’ alléguent des risques de chaos, de menace de fitna, de préparatifs à ’’brûler’’ le pays. Ils s’empressent d’envahir les média sous leur contrôle, et de manipuler les médiateurs potentiels et régulateurs que sont les chefs religieux et coutumiers. C’est que les deviants ne sont à l’aise que dans la répression, dans l’utilisation de la violence. Ils la provoquent, ils la créent pour nourrir leurs ambitions par l’installation d’un environnement de peur et d’angoisse.
Mais où est la mémoire des déviants ? On sait que dans les trente dernières années, des hommes politiques ont décliné, à la place de l’obélisque, un discours appelant à la résistance politique et à la riposte violente face aux forces de l’ordre. Les mêmes personnes ont changé de posture, la seule différence c’est que les citoyens d’aujourd’hui ont une culture politique différente, une option ferme pour la non violence, même s’ils restent déterminés dans la résistance civile.
Obéir n’a de sens que lorsque le commandement est juste
Lorsque les dirigeants d’un pays foulent au pied les régles les plus fondamentales du contrat social, il devient légitime de "protester" et de ne plus obéir à l’autorité. Car l’obéissance à l’autorité est tributaire du respect des termes du contrat. L’obéissance est différente de la soumission servile ; l’obéissance est le respect volontaire des normes qu’on s’est choisies et des commandements moraux y résultant. Lorsqu’on s’en éloigne, les actes deviennent illégitimes même si elles sont enveloppées d’un formalisme accessoire.
Or, en violant les termes de la constitution, par une candidature à un 3e mandat, le Président de la république rompt unilatéralement les termes du contrat qui le liait au peuple. Son autorité, qui était légitime, devient de l’autoritarisme, ce qui est illégitime. Pour que le pouvoir soit légitimé par une autorité reconnue et respectée, il est nécessaire que ses bases soient celles d’un consensus. Ce qui signifie que tout changement dans les termes du contrat suivent le même cheminement par lequel il avait été scellé. Sinon, la violation du contrat entraine la perte de légitimité et de ce fait, la défiance politique est non pas seulement légitime, mais elle est nécessaire.
La défiance du M23 entre dans ce cadre de manifestation
d’indignation devant le non respect des institutions et la violation de la constitution. Cette défiance politique est une réponse pacifique, organisée et déterminée à préserver le Sénégal des lendemains qu’ont connus toutes les dévaiances politiques. Car, à force de laisser faire, de se résigner, à force de préférer l’ordre à la justice, on est arrivé, ailleurs à des situations explosives et la défiance est devenue une révolte, voire une révolution. C’est donc salutaire qu’au Sénégal, les populations aient eu trés tôt cette capacité d’indignation et cette volonté farouche de faire face à la déviance politique par une défiance tout aussi politique avant que la déviance ne devienne tyrannie et n’engendre la révolte ou la révolution sans autre âme que la destruction des symboles du pouvoir.
Ceux et celles qui ne comprennent pas ce mouvement dans son essence, dans ses objectifs et ses stratégies, sont abusés par la désinformation des "déviants" qui traduisent toute défiance par la "fitna" et le ’’chaos’’. Je crois que c’est plutôt un préventif à la ’’fitna’’ qu’il faut saluer, soutenir afin que la déviance soit corrigée et que les choses reviennent à leurs justes normes : le respect de la constitution que le peuple s’est librement choisie. Je partage la conviction de Martin Luther King quand il disait, toujours au fond de sa geôle de Birmingham : " il est immoral de demander à un individu qu’il renonce à s’efforcer d’obtenir ses droits constitutionnels fondamentaux sous prétexte que sa quête précipite la violence"
La résistance civile est une réponse conforme aux enseignements de nos religions.
La mobilisation du M23 démontre que dans la dialectique de l’ordre et de la loi, il y a des moments où c’est la vertu de la loi qui détermine l’obéissance ou la dénonciation. Quelle que soit l’incantation ’’force restera à la loi’’, la qualité morale de la loi est facteur d’appréciation pour ’’respecter’’ la loi ou la ’’défier’’ dans le but de sa réforme.
Si les ’’autorités’’, ainsi dénommées à cause de l’autorité que leur confère le peuple, en arrivent à être autoritaires, inutile de convoquer la ’’force de la loi’’. Car l’autorité que confère la légitimité prime sur la force de la loi inique. Que nous enseigne le printemps arabe ? Que nous enseigne cette défiance politique, avec des moyens pacifiques, devant la ’’force de la loi’’ qui ne jouissait plus de l’autorité que confère la légitimité ? Ce que cela nous enseigne, c’est que la légitimité est dans le respect de la justice et de l’équité pas forcement dans le respect de la loi. S’il en était autrement, Hitler et sa doctrine seraient légitimes, Peter Botha et son idéologie raciste le seraient aussi. Je rappelle que tous les prophètes ont défié, avec leurs peuples, les gouvernants injustes. Ils ont désobéi à des lois injustes et ont bravé la ’’force’’ de ces lois, avec des moyens de persuasion et de mobilisation pacifiques, à force de foi et d’amour, pour parler comme A. Ndiaga Sylla. Le M23, dans sa mobilisation contre des démarches monarchiques et contre la violation des termes de notre contrat social a prouvé que ce que le Prophète a enseigné, pour réformer les deviances génératrices de mal, a été bien compris. ’’Que celui qui, parmi vous, est témoin d’un mal le réforme par l’action, s’il en est incapable, qu’il le réforme par la parole, sinon par l’indignation intime, et cela est le plus faible degré de foi" a-t-il dit. Qui alors, pourrait réfuter le droit, le devoir j’allais dire, pour les sénégalais et les sénégalaises, conscients des dangers encourus par notre pays, dans la candidature anticonstitutionnelle du Président de la République ? Qui pourrait, raisonnablement, lui ôter cette responsabilité d’avertir, afin que nul n’en ignore, sur le danger qui consiste à violer le contrat social et à installer une dynastie en république, à s’indigner et à se mobiliser ?
Devant, la déviance par rapport à la justice et à la vérité, la défiance est une obéissance à l’ordre d’Allah. C’est le Coran qui dit : ’’ Ô les croyants ! Observez strictement la justice et soyez des témoins (véridiques) comme Allah l’ordonne, fût-ce contre vous-mêmes, contre vos père et mère ou proches parents. Qu’il s’agisse d’un riche ou d’un besogneux, Allah a priorité sur eux deux. Ne suivez donc pas les passions, afin de ne pas dévier de la justice. Si vous portez un faux témoignage ou si vous le refusez, [sachez qu’] Allah est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites.’’ - sourate les Femmes, verset 135.
En 2000, un immense espoir avait fédéré les énergies autour de promesses de bonne gouvernance, de principes de gouvernement démocratiques et vertueux. Les citoyens, dans la bonne foi, y avaient cru. Ils ne se doutaient pas qu’un jour celui sur qui les espoirs s’étaient cristallisés allait apprendre aux uns et aux autres que les ’’promesses n’engagent que ceux qui y croient’’.
Et voila qu’en 2012, après avoir déclaré urbi et orbi l’impossibilité, en droit, d’être à nouveau candidat, celui-là vient encore se dédire et violer la constitution pour simplement imposer, à 86 ans, une dévolution monarchique du pouvoir qu’on lui a confié.
Dans une situation pareille, les citoyens ont raison de choisir la justice et d’adopter une attitude résolue de défiance politique et de résistance civile. Les principes de droits humains l’autorisent, la raison le dicte et la religion y invite.
’’Que la paix soit avec quiconque suit la droiture’’ - Sourate Taha, verset 47.
Abdoul Aziz KEBE
Enseignant-chercheur
Chef du Département d’Arabe FLSH-UCAD
Senghoriens, senghoristes et senghorisants…
Si Senghor pouvait voir ça… Onze ans après sa mort, son triomphe est absolu : quatorze candidats à la présidentielle, dont les principales têtes de file sont ses petits. A ma droite, les senghoriens, au milieu les senghoristes et en bout de table les senghorisants.
Figure de proue de la tribu senghorienne, aussi bizarre que cela puisse paraître, Abdoulaye Wade. Son titre de gloire ? «Ndiombor», sobriquet que lui affuble non sans malice le poète président, co-auteur de l’histoire de «Leuk-le-lièvre». Pour le sopiste qui s’ignore encore, c’est le signal de départ d’une carrière d’opposant inespérée, par la reconnaissance d’un adversaire mythique. Abdoulaye Wade peine alors à se faire une place d’opposant entre Majmouth Diop, le martyr du Parti africain de l’Indépendance, Mamadou Dia, le premier chef de gouvernement dont quelques nostalgiques ne se consolent toujours pas, et Cheikh Anta Diop, le Pharaon du savoir. Dans les bicoques des Sénégalais modestes, au milieu des fortes têtes de la politique, Abdoulaye Wade devient l’imam de la roublardise… Au «Pays du Dialogue» que les «Gnaks» considèrent comme la terre sainte de l’esbroufe, paradoxalement, ça vous ramène de l’électeur !
En ce temps-là, s’il y a une icône de la ruse, de l’habileté politique, c’est bien …Senghor. Le Sérère catholique, sujet français, qui, par on ne sait par quel tour de passe-passe, fait tomber le légendaire Lamine Coura Guèye, son ancien mentor, Wolof et musulman, citoyen français, député-maire de Saint-Louis, ministre de la vieille France… du lourd véritable, pour tout dire, que Léopold Sédar Senghor a su mettre au placard par on ne sait quelle magie. De la même sorte, coup de poker ou de baguette magique selon le cas, il se débarrassera de tous ceux qui lui feront de l’ombre.
Wade, le fils illégitime et prodigue du Senghorisme, en fera son viatique jusqu’au 19 mars 2000. Coups de bluff, pokers menteurs ou tours de passe-passe, sa palette est impressionnante. Une école qui a ses adeptes, au premier rang desquels Djibo Kâ, Idrissa Seck et Macky Sall se distinguent particulièrement. Quoi qu’on en pense, c’est du Senghor pur jus…
Dans un autre registre, tête de file de la cohorte senghoriste, Moustapha Niasse. Signe particulier : il n’a pas la prétention d’égaler le maître. Mais sous son front dégarni, rien ne peut l’empêcher de croire qu’il en est l’héritier légitime. Son indéfectible fidélité au maître est de notoriété publique. Les vieux débris survivants de l’ère senghorienne, Robert Sagna, Mamadou Diop, etc. ses pairs, le lui reconnaissent : il est leur bouée de sauvetage. S’il n’en reste qu’un, il est celui-là, dirait le poète… Moustapha Niasse parachève l’œuvre du maître en phagocytant tout ce qui s’est opposé au senghorisme : les débris du Rnd de Cheikh Anta Diop, sous la férule de Madior Diouf, les anciens du Pai, du style Bathily et Amath Dansokho, les derniers diaistes du Msu derrière Massène Niang. Ils sont les rescapés de la vieille école politicienne qui a fait ses gammes en 1968, à coups d’idéologies désuètes et de reniements définitifs.
Enfin, le troupeau des senghorisants, qui sont entrés en politique à reculons, par les portes dérobées de l’administration, auxquels Abdou Diouf a ouvert la voie. Ousmane Tanor Dieng est leur bélier, derrière lequel se bousculent Ibrahima Fall, de retour de ses pérégrinations, Djibril Ngom. Ils en ont gardé le sérieux condescendant de l’administrateur colonial, l’obsession de l’opinion internationale et la rigidité du rouage administratif allergique à la démagogie facile. Et c’est encore du petit de Senghor…
Ibou Fall