LES ENTRAVES AU PACTE DE STABILITE SOCIALE ET
LES ENTRAVES AU PACTE DE STABILITE SOCIALE ET DE CROISSANCE ECONOMIQUE EVOQUE PAR LES AUTORITES.
Doter le Sénégal d’un pacte de stabilité sociale et de croissance économique ! La question est de plus en plus agitée au niveau le plus élevé de l’Etat. Sans remettre en cause la légitimité d’une telle préoccupation, il faudra affirmer haut et fort qu’un pacte de stabilité sociale ne se décrète pas, ça se négocie ! Dès lors, on est en droit de se poser un certain nombre de questions comme préalable à une démarche d’établissement d’un consensus national. Notre espace conceptuel actuel de relations professionnelles est – t-il favorable à l’établissement du pacte ? Au vu du sort qui a été réservé au Comité National de Dialogue Social (CNDS) gardien de la Charte Nationale de Dialogue Social, je me demande si la volonté de l’Etat de pacifier les relations professionnelles est établie.
A contrario, le sort réservé à la charte nationale de dialogue social et au CNDS ne se justifie guère, car la charte nationale de dialogue social peut déboucher logiquement sur un pacte de stabilité sociale, si tel est la volonté de l’Etat.
Les deux éléments clés du dialogue social (Inspection du travail et CNDS) sont ils dans les conditions idoines pour accompagner en amont comme en aval de tels accords ? Les syndicats prendront ils le risque d’engager les négociations d’un pacte de stabilité sociale dans les conditions actuelles de suspicion, de confusion, de discrédit et de dispersion des forces syndicales, organisées par l’Etat ?
Nos priorités ne sont elles pas la reconquête de nos bases et la recomposition du paysage syndical à travers son unité renforcée ?
Les préoccupations actuelles d’une bonne partie des employeurs, qui pataugent dans des difficultés de recouvrement de la dette intérieure au point d’hypothéquer la pérennité de certaines entreprises à intensité élevée de main d’œuvre, permettent elles de les engager dans des négociations de pacte social ?
La situation confuse de nombreuses entreprises en difficulté, celle des travailleurs des entreprises liquidées ou en liquidation (je n’en citerai aucune tellement la liste est longue que je risque d’en oublier et mes militants concernés ne me le pardonneront pas), militent-elles en faveur de telles négociations ?
Un état des lieux exhaustif serait- il un moindre préalable ?
L’intérêt de ma contribution réside dans cette série de questions venant d’un acteur qui a déjà négocié et signé un pacte social dans un secteur aussi stratégique que celui du pétrole.
Le climat social régissant les relations professionnelles sert de baromètre à tout pouvoir politique attentif et soucieux de se maintenir longtemps aux commandes. Paradoxalement, les indicateurs totalement rouge vifs ne semblent pas attirer l’attention de nos gouvernants qui, au lieu de se soucier du danger qui guette la stabilité du régime, parlent de pacte de stabilité sociale comme si toutes les conditions pour y arriver étaient réunies.
Les ressorts du tripartisme et de la confiance mutuelle sont cassés. L’Etat qui en est le principal garant doit songer à les réparer avant d’envisager un quelconque accord gage de paix sociale, à posteriori des accords de type nouveau comme le pacte social ou pacte de stabilité sociale et de croissance économique basé essentiellement sur la confiance mutuelle, le respect et l’engagement.
Nos autorités ne vouent aucune considération pour ne pas dire de respect à leurs partenaires naturels que sont les porteurs légitimes de la revendication. Autant de facteurs qui souffrent de manquement dans les relations entre l’Etat et ses partenaires sociaux.
A quelques exceptions prés dont l’inspection du travail et le corps des inspecteurs et contrôleurs du travail, l’Etat employeur a beaucoup fait pour satisfaire certaines revendications et conditions de travail. Pour autant, il n’a pas réussi à tempérer les ardeurs, ni baisser l’intensité avec laquelle les revendications se mènent. Au contraire l’Etat, en ignorant ses partenaires dans l’exécution de sa volonté d’apporter des réponses aux préoccupations des masses laborieuses, a suscité des revendications tout azimut, occasionnant un bouillonnement social incontrôlé et de plus en plus généralisé.
Il y’a bien des raisons qui font que les efforts de l’Etat pour régler la demande sociale n’ont jamais connu le succès escompté. La première de ces raisons réside dans le fait que les spécialistes des relations professionnelles (corps des inspecteurs) travaillent dans des conditions indignes pour ceux là qui ont pour mission de veiller aux bonnes conditions de travail de tous et de les rétablir pour chaque travailleur, en cas de violation de ces droits. Ils sont non seulement ignorés mais oubliés dans le réajustement du traitement des fonctionnaires.
Compte tenu de leur mission et en tant que corps d’élites et de contrôle c’est plus que frustrant. L e Comité National de Dialogue Social (CNDS), n’est pas mieux loti.
Les autorités n’ont jamais compris que la source de la revendication est intarissable et tant que tourneront les machines naîtront des revendications. Dés lors, il n’y a que la négociation dans le respect mutuel qui tempère le climat social.
L’absence d’un leadership légitimé démocratiquement, capable de coordonner et de conduire les luttes avec audace complique davantage la situation déjà explosive.
Les autorités ont mis en branle une stratégie de dispersion et d’affaiblissement des forces syndicales, semant la confusion et la désorganisation des luttes. S’y ajoute le pourrissement constaté sur l’organisation des élections de représentativité syndicale. Ces élections auraient au moins le mérite de satisfaire une exigence démocratique des travailleurs qui ont besoin de désigner démocratiquement le leader qui aura la charge de restaurer l’espoir, de réorganiser les luttes pour de nouvelles conquêtes sociales seules gages de stabilité sociale durable.
Cette situation ainsi créée qui à première lecture parait à l’avantage du pouvoir ne l’est point. Cette période pré électorale censée propice au réchauffement du climat social par l’incitation et l’intensification des revendications peut déboucher sur un chamboulement total contrôlé par n’importe qui.
Le comportement des nos dirigeants vis-à-vis de la classe syndicale, à qui ils ont ôté leur rôle de soupape de sécurité en cette période où le mouvement revendicatif sénégalais en général n’a jamais été aussi exposé à la manipulation, au lobbying et au débordement, n’est pas du tout rassurant.
C’est sur le tempo des élections et de la dispersion des forces syndicales que le pouvoir joue pour retarder la recomposition et/ou la reconstitution des forces syndicales. Le franc jeu aurait été de créer les conditions d’un climat social apaisé propice à des négociations de pacte de stabilité sociale et de croissance économique.
L’analyse des types de revendications qui sont de plus en plus agitées par les masses laborieuses et de leur ordre prioritaire révèle que la situation qui caractérise actuellement les relations professionnelles est identique à celle des années de fin de règne du régime socialiste.
1. les revendications qui se mènent le plus et qui agitent fortement le champ social sont des revendications de « restitution » : c’est à dire de droit acquis et/ou de manque de respect à des engagements pris dans les accords signés 2. Les revendications de « conquête » devenues de plus en plus rares sont actuellement reléguées au second plan. Pourtant cette deuxième catégorie de revendication qui renferme des indicateurs de stabilité et de progrès social est plus rassurante à tout point de vue.
C’est dommage que ce signal fort que le pourvoir devrait décoder ne l’ait pas été, et que les partenaires, dotés de capacités d’analyse pour décrypter toute situation syndicale et qui se font le devoir d’apporter leur contribution pour aider à prendre les bonnes décisions dans le seul but de satisfaire la demande sociale, ne soient pas écoutés.
Le pouvoir doit comprendre que les revendications de « restitution » se mènent avec plus d’intensité, de vigueur, d’engagement et de conviction, parce qu’ayant des liens directs avec la condition et la dignité humaine. Pascal ne disait-il pas que : « la seule dignité de l’homme est la révolte tenace contre sa condition »
Les revendications de « restitution » de droits acquis ont relégué celles des « conquêtes » au second plan et c’est là le danger, car les revendications de « conquête » participent au progrès social et à l’amélioration des conditions de vie, aidant ainsi le pouvoir à se maintenir le plus longtemps possible.
Les revendications de « restitution » qui appellent à la confrontation et au réchauffement du climat social occasionnent des drames dans les foyers, engrangent plus d’émotion et de sympathie populaire. C’est tout le contraire des revendications de « conquêtes » qui appellent à la négociation, la pacification des relations professionnelles, l’apaisement du climat social, condition sine qua non du développement économique et social.
L’Etat gagnerait à bien appréhender les conséquences de chaque type de revendication. Il devrait accorder, en termes de considération, de droit et de respect, leur juste mérite aux partenaires sociaux légitimes qui incarnent la culture de la négociation et qui ont l’expérience de la gestion des luttes syndicales. Pour notre part, nous nous engageons à veiller sur les dérives naturelles d’une unité syndicale forte qui tendraient à la radicalisation, car nous devons éviter de tomber dans le piége de la confrontation permanente qui nous détournerait de nos principaux objectifs.
Je disais à l’entame de mon propos que tous ces questionnements sur l’opportunité et sur les conditions de négociation d’un pacte social, venant d’un acteur qui a eu à le négocier déjà et pour la première au Sénégal au niveau de toute une branche professionnelle, peuvent paraître étonnants et contradictoires.
Que NON ! Je me fais simplement le devoir, d’apporter ma contribution au débat de pacte de stabilité sociale mais surtout de jouer mon rôle de syndicaliste convaincu de la lecture que j’ai de la situation sociale actuelle, comparativement à celle de 1998/ 99.
Compte tenu de la modeste expérience que j’ai de ce type nouveau de négociation et par loyauté, je ne saurai taire mon analyse et mes constats au moment ou l’Etat au plus haut niveau fait fi (ou n’est pas conscient) de la situation en parlant de pacte de stabilité sociale, quand bien même qu’il nous ignore et ne nous consulte. Je ne saurai non plus me taire sur la question par respect au contrat moral d’apporter un nouveau souffle syndical pour de nouvelles conquêtes sociales qui me lie à mes militants et sympathisants.
Je ne saurai me taire surtout parce que la plus part des travailleurs qui revendiquent la restitution de leurs droits sont nos militants et que les moyens par la voie du partenariat n’apportent aucune solution à nos problèmes. Nous ne sommes pris au sérieux que si l’arme de la grève est brandie. A la limite, j’ai l’impression que le pouvoir pousse les syndicalistes à banaliser notre arme ultime ! La grève.
En plus des situations que nous cogérons avec d’autres centrales : les ex travailleurs de Transplaste, Africamer, le secteur de l’éducation, les ex travailleurs de la Sotrac, notre centrale gère les cas de l’hôtel indépendance, des ex travailleurs de la SIAS et d’AMA, des ex travailleurs de la BCEAO locale, des ex travailleurs d’Air Afrique, de presque tout le secteur du transport ( Dakar Dem Dikk, les transports hydrocarbures, le transport routier au niveau de la gestion des gare routières, Transrail, les ex travailleurs de chemins de fer), de SUNUOR, des vacataires de la LONASE . J’en oublie certainement.
La récente rencontre de Lomé sur les libertés syndicales et sur les défis de l’unité du mouvement syndical africain fixe nos priorités sans l’accomplissement desquelles, aucune pression ne peut s’exercer sur des négociations de pacte de stabilité sociale et de croissance économique, ceci pour donner des résultats probants dans lesquels les bases s’y retrouvent et acceptent la rigueur des clauses d’ un pacte de stabilité sociale qui sont très engageantes.
Si au contraire, je me trompe sur l’appréciation que j’ai du comportement du pouvoir (je le souhaite vivement), un premier test grandeur nature pour le gouvernement se profile à l’horizon. Il s’agit du tout prochain forum social de décembre à Ouaga au Burkina, où l’occasion sera donnée au gouvernement du Sénégal, à l’instar de ceux d’Afrique, de s’engager avec nous dans l’agenda du travail décent et dans l’élaboration d’un programme de mise en œuvre et de suivi du pacte mondial pour l’emploi que l’ensemble des gouvernements membres de l’OIT, dont le Sénégal, ont signé en juin dernier à Genève, lors de la 98e session de l’OIT.
Je lance un appel pressant à l’unité et au renforcement du mouvement syndical, étape incontournable vers un pacte de stabilité sociale.
Cheikh DIOP Secrétaire General de la CNTS/FC