Enjeux de l’audit en 2010
Fichier électoral : Enjeux de l’audit en 2010
Le fichier électoral est une base de données contenant l’ensemble des listes électorales, des lieux de vote et des bureaux de vote au Sénégal et à l’étranger. Il est la composante électronique de la procédure d’inscription des électeurs (voters registration), qui elle-même fait partie des huit composantes du cycle électoral1, identifiées et codifiées par les Nations Unies. Au cœur du processus d’inscription des électeurs, il est l’élément central du cycle électoral et soulève des enjeux multiples: politiques, économiques, financiers et technologiques. Ainsi, les débats qu’il incite font ressortir alors, la multiplicité, la complexité, l’interdépendance et la conflictualité de ces différents enjeux. Ces débats atteignent leur point culminant, à la veille de chaque échéance électorale importante où, à la faveur de la volonté récurrente des acteurs politiques d’avoir des élections libres, transparentes et crédibles, l’audit du fichier est remis au goût du jour.
L’audit du fichier électoral vient à la rencontre de trois attentes : une demande politique et citoyenne pour des élections, libres, transparentes et crédibles ; une demande institutionnelle, pour respecter et éclairer les dirigeants des institutions en charge de voter les budgets (Parlement), d’organiser et de superviser les élections (ministère de l’Intérieur, Cena) ; une demande technique, parce la population électorale connaît des mutations permanentes et les technologies évoluent, et il est important de conjuguer ces deux réalités. Ce qu’il faut aussi comprendre, c’est que l’audit du fichier électoral, à l’image du mouvement des populations, doit être un processus permanent, qui s’inscrit dans un renouvellement perpétuel des méthodologies de conception et de gestion des données électorales. Comme tout processus qui engage des fonds publics importants, le processus électoral doit faire l’objet régulièrement d’un audit technique, financier et opérationnel. Et ses résultats rendus publics.
Sur le plan théorique, le fichier électoral repose sur le principe démocratique consacré par la Constitution dans son article premier: la démocratie c'est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple.
C’est à travers le vote des personnes inscrites dans le fichier électoral, que le peuple sénégalais exprime sa souveraineté en choisissant librement ses gouvernants. En raison de cet enjeu politique majeur, le fichier électoral doit disposer d’une caractéristique essentielle : la fiabilité (Reliability), définie par le comité électronique internationale (Cei/Iso), comme l’aptitude d’un dispositif à accomplir une fonction requise dans des conditions données pour une période de temps donnée. Pour le fichier électoral, la fiabilité est donc la probabilité de n'avoir aucune défaillance durant les moments électoraux.
Sur le plan réglementaire et légal, sa composition et son organisation sont codifiées par la loi électorale, dans ses articles L.22 et L23 : ‘Sont électeurs les Sénégalais des deux sexes, âgés de dix-huit (18) ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi. Sont aussi électeurs les étrangers naturalisés sénégalais qui n’ont conservé aucune autre nationalité en application de l’article 16 bis du Code de la nationalité sénégalaise et les femmes étrangères qui ont acquis la nationalité sénégalaise par mariage, au moment de la célébration ou de la constatation du mariage sauf opposition du gouvernement par décret pendant un délai d’un an en application de l’article 7 du code de la nationalité sénégalaise.’
Rappels historiques
Au Sénégal, plusieurs années historiques sont à rappeler : l’année 1977, où a été constitué le premier fichier électoral informatisé en vue des élections de 1978. L’année 2000, où la loi 2000-25 du 1er septembre 2000, portait mise à jour des listes électorales, constituées par les électeurs ayant voté au 1er ou au 2nd tour de l’élection présidentielle de 2000 : le nouveau noyau dur est alors constitué de 1 926 241 électeurs. L’année 2004 où la loi 2004-32 du 25 août 2004 annule toutes les listes électorales et prescrit l’établissement de nouvelles listes basées uniquement sur une carte nationale d’identité numérisée. Cette refonte aboutit à un nouveau fichier électoral avec 4 917 160 électeurs théoriques à la fin de l’opération le 15 septembre 2006. C’est ce fichier qui a permis l’organisation de l’élection présidentielle du 25 février 2007, avec 3 424 926 suffrages valablement exprimés. L’année 2008 avec les décrets (n° 2008-747 du 10 juillet 2008, n° 2008-749 du 10 juillet 2008, n° 2008-1496 du 31 décembre 2008) portant création de nouvelles collectivités locales au Sénégal : le nombre de suffrages valablement exprimés pour les élections locales de mars 2009 a été de 2 109 498, soit une baisse de 38 par rapport à 2007, soit 1 315 428 électeurs de moins, malgré la proximité des élections locales avec les citoyens-électeurs. Enfin, l’année 2010 avec la révision exceptionnelle du fichier électoral d’une durée de six mois, du 1er février au 31 juillet 2010, sans aucune possibilité pour de nouveaux électeurs de s’inscrire, puisque la fabrication des cartes nationales d’identité est arrêtée depuis huit mois. Ainsi, nous constatons qu’entre 2000 et 2010, le fichier électoral sénégalais a subi deux mutations majeures (2000 et 2004), une modification structurelle de taille (2009) et un changement potentiel de son contenu (2010).
Il apparaît donc clairement, qu’à chaque échéance politique importante, la forme, le contenu ou la structure du fichier électoral sont modifiés par le régime libéral. Dès lors, dans l’appréciation qui sera faite sur la fiabilité du fichier électoral, il sera intéressant d’étudier et de comprendre : d’une part, l’option politique qui a sous-tendu ces restructurations successives qui remettent en cause la stabilité, la permanence et l’intégrité de ses structures de traitement et de données. D’autre part, le passage brusque de 3 424 926 suffrages exprimés à la présidentielle de février 2007 aux 2 109 498 suffrages exprimés aux élections locales de mars 2009, soit une réduction de 38 0D
Le fichier électoral sénégalais est-il fiable ? La réponse est non.
Le fichier électoral n’est pas fiable pour les raisons évidentes ci-après : Le premier facteur est le climat politique délétère dans lequel notre pays est installé depuis plusieurs années, avec l’année 2007 comme point focal, sanctionné par le boycott des élections législatives. Ce climat a généré une suspicion extrême et une absence de confiance entre les partis politiques au pouvoir (Pds et ses alliés) et l’opposition réunie autour de Bennoo Siggil Senegaal. A ce climat, s’ajoute une divergence fondamentale sur l’organe chargé d’organiser les élections : ministère de l’Intérieur pour la coalition au pouvoir et Agence de régulation de la démocratie (Ard) pour Bennoo Siggil Senegaal, qui doute de l’impartialité du ministère de l’Intérieur.
Le second facteur est l’inexistence d’un système d’état civil fiable et sécurisé, qui a comme conséquence notre incapacité collective à résoudre de manière fiable, les trois équations posées par la loi électorale :
• Qui sont ceux qui détiennent la nationalité sénégalaise ?
• Parmi eux, qui sont ceux qui jouissent de leurs droits civiques ?
• Qui sont les étrangers naturalisés sénégalais ?
Naturellement, la réforme de l’état civil demandera du talent et un vrai courage politique, parce qu’elle exige un consensus national de tous les acteurs de la vie politique et sociale sur des sujets sensibles : en particulier, il faudra procéder à des réformes institutionnelles majeures et modifier certaines lois comme le code des collectivités locales ou le code de la famille, vrai serpent de mer pour les hommes politiques ! Il faudra aussi moderniser la gestion des collectivités locales, dont la plupart sont d’ailleurs dirigées par des élus de la liste de Bennoo Siggil Senegaal. Mais l’Etat devra engager des chantiers d’envergure, dans la sensibilisation, la formation, la construction d’infrastructures dans toutes les collectivités locales pour sécuriser l’état civil. Il faudra aussi moderniser la Justice, pour disposer d’un fichier national des interdits de vote. Enfin, il va falloir gérer le problème sensible des étrangers présents dans le fichier national d’identité, grâce à leurs extraits de naissance, tout en évitant de sombrer dans un piège semblable à l’ivoirité.
Le troisième facteur est consubstantiel à la conception même du fichier électoral, lié au facteur précédent et qui autorise son modèle physique à intégrer des données invalides, comme les dates de naissance libres. Des personnes ont pu s’inscrire dans le fichier électoral avec le seul extrait de naissance, sans le certificat de nationalité.
Le quatrième facteur est le mode d’inscription des électeurs qui a montré des limites objectives : en effet, pour la refonte de 2004, le Sénégal a opté pour une inscription volontaire du citoyen-électeur dans des commissions administratives réparties sur le territoire national. Il est souvent arrivé, durant cette procédure, que le citoyen-électeur qui a suivi toute la procédure d’inscription, se voit rejeter au bout du processus (n’aura pas la carte d’électeur), parce que, tout simplement, les données le concernant ont été corrompues lors du transfert des fiches et fichiers images de la commission administrative vers la Daf, sans qu’il ait en retour un quelconque information sur l’état de sa demande d’inscription.
Si le système d’état civil actuel du Sénégal ne permet pas de partir des données émanant des collectivités locales, pour inscrire les électeurs, il devient urgent que notre pays, pour améliorer son système d’inscription électorale, pourrait adopter une solution mixte qui, d’une part, sécurise à la source l’inscription volontaire des citoyens-électeurs, d’autre part, intègre la technique du recensement physique des électeurs à partir du répertoire national des localités du Sénégal, actualisé par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie. Pour la sécurisation du système d’inscription volontaire dans les commissions administratives, une application de saisie décentralisée avec un contrôle biométrique pourrait être mise en place.
Le cinquième facteur est le mode de distribution des cartes d’électeur qui a aussi montré des limites objectives. L’aiguillage et la gestion ordonnée des cartes d’électeur dans les commissions de distribution ont présenté beaucoup de failles où le sort de plus d’un million de cartes d’électeur non distribuées a fait l’objet d’une large polémique en 2007. (A suivre)
Alioune SARR Ingénieur Informaticien Coordonnateur des experts de Bennoo Siggil Senegaal Coordonnateur de l’Alliance nationale des cadres de l’Afp