Senelec ou le culte de l’irresponsabilité
Pour expliquer son incapacité à assurer sa mission de fournir l’électricité en qualité et en quantité, SENELEC nous a servi toutes sortes d’arguments depuis plus d’une décennie : le déficit structurel, le déficit conjoncturel, l’équilibre précaire, les intempéries et aujourd’hui la qualité du combustible.
S’étant rendu compte de la gravité de ce dernier argument, tout le monde se demandant comment peut-on dépenser des milliards pour acheter un combustible de mauvaise qualité, SENELEC crée un contre feu en déclarant que le fuel était de bonne qualité à son arrivée et qu’il a été altéré sur le territoire national. Par cette tactique, on cherche à blanchir ceux qui sont à l’origine de la transaction et à nous embarquer dans la recherche effrénée d’un responsable à punir.
Nous sommes tous en train de tomber dans le panneau, car le premier responsable dans cette situation n’est personne d’autre que le gestionnaire de l’entreprise, la responsabilité étant le fait de devoir répondre de ses actes ou de ceux de quelqu’un d’autre sous son autorité. Une faute se paye pour éviter de développer le culte de l’irresponsabilité qui aggrave les fautes (dixit Marcel Proust).
Il est notoirement connu que le fuel lourd, combustible dont la qualité est en cause, est un résidu (au sens industriel du terme) de la distillation du pétrole brut, auquel est ajouté un distillat pour en ajuster la viscosité. Les propriétés du fuel lourd dépendent de l’origine du pétrole brut, du degré et des procédés de raffinage. Il contient toujours des impuretés plus ou moins nocives au bon fonctionnement des moteurs, telles que l’eau, des boues, le soufre et des métaux. Plusieurs traitements sont nécessaires avant d'introduire le fuel lourd dans un moteur. Il s’agit de la décantation permettant d'éliminer la boue et l'eau par gravité, du réchauffage, de la centrifugation et du filtrage afin d'éliminer les impuretés solides et l'eau, et d'obtenir la viscosité nécessaire.
Le soufre et les métaux dont la forte teneur provoque la corrosion et des dépôts de silices ne sont pas traités. Pour cette raison, le fuel lourd à utiliser doit respecter des spécifications compatibles avec les moteurs, ainsi que les contraintes environnementales et de santé
Sur le plan réglementaire, ces spécifications précisent certaines caractéristiques physicochimiques du produit : la viscosité, le point d’éclair, la teneur en soufre, la distillation en pourcentage, les teneurs en eau et en insolubles, etc. Au Sénégal, le décret n°2003-415 fixe les spécifications applicables aux hydrocarbures raffinés
Tenant compte des caractéristiques de ses propres équipements, chaque utilisateur doit considérer des spécifications particulières, telles que la teneur en fines de catalyseur de craquage (alumine et silice), les métaux (vanadium, sodium, nickel), le résidu Conradson, l’azote, le pouvoir calorifique inférieur (PCI), les asphaltènes. Par ailleurs, il peut rendre plus contraignantes les spécifications réglementaires dans le cadre de ses achats pour protéger ses équipements.
En effet, plusieurs types de spécifications existent pour les produits pétroliers :
•Les spécifications douanières et administratives qui permettent à l’Etat de prélever des impôts et taxes, et de contrôler les émissions dans l’environnement ;
•Les spécifications intersyndicales imposées par l’industrie pétrolière ;
les spécifications internes que se fixe une compagnie pétrolière pour son image de marque ;•
•les spécifications particulières qui lient une compagnie ou un fournisseur à ses gros clients.
Sur la base de ses éléments, plusieurs questions méritent d’être approfondies pour éviter de retomber dans les mêmes travers : les traitements nécessaires avant l’utilisation du fuel lourd ont-ils été respectés ? Les spécifications réglementaires brandies par SENELEC pour annoncer que le combustible était de bonne qualité à son arrivée sont-elles acceptables par ses moteurs ? Ce dernier point semble être l’élément crucial si on considère que la centrale de Kounoune (producteur indépendant) dont les responsables refusent systématiquement de consommer le fuel lourd importé n’est pas concernée par les avaries.
A titre d’illustration, Il faut noter que la directive n°1999/32/C du 26 avril 1999 a conduit les états de l‘Union Européenne à limiter, depuis le 1er janvier 2003, le taux de soufre dans le fuel lourd utilisé dans leur territoire à 1%, cette limite étant auparavant fixée à 2%. De ce fait, les équipements mis sur le marché international depuis cette date sont conçues tenant compte de cette spécification, avec une protection moins renforcée. Au Sénégal, le taux de soufre dans le fuel lourd est limité à 3,5%, spécification correspondant à celle du fuel des soutes marines. De plus, aucune disposition n’est prévue par le décret 2003-415 concernant les métaux lourds, les alumines et les silices Ainsi, un combustible qui respecte la réglementation n’est pas forcément conforme aux installations de SENELEC ; L'entreprise doit donc au moment de ses achats tenir compte des caractéristiques de ses machines pour fixer des spécifications particulières, ceci tant que les spécifications réglementaires ne sont pas adaptées à la situation comme cela a été fait pour l’essence et le gasoil tenant compte des nouveaux modèles de véhicules.
Avec les dispositions du décret 2003-415 et en mettant de côté les compagnies pétrolières qui ont une image de marque à préserver, des opérateurs indélicats pourront toujours commercialiser au Sénégal du fuel respectant les spécifications réglementaires mais présentant de gros risques techniques pour les utilisateurs à cause des particules métalliques et des divers additifs ajoutés.
Que chacun prenne ses responsabilités dans cette affaire en évitant d’endormir les Sénégalais avec des bouc-émissaires qui seront jetés en pâture. Les véritables raisons qui ont conduit à l’arrêt des machines et au rationnement de l’électricité doivent être recherchées, non pas par SENELEC mais par le Gouvernement qui nous doit également des comptes.
Mamadou NDIAYE
njieconsulting@gmail.com