Dix ans d’alternance, dix ans de misère
"Dix ans d’indépendance, dix ans de misère" : ainsi s’était exclamé avec une pointe d’exagération un leader du syndicalisme étudiant de mai 68 qui maintenant fraie avec le régime libéral. Nous allons emprunter cette formule, mais sans exagération aucune pour voir comment nos compatriotes, mis à part une minorité de parvenus, ont vécu cette alternance qu’ils avaient tant souhaitée et à l’avènement de laquelle ils avaient massivement participé.
Napoléon disait : "Dans une révolution, il y a deux sortes de gens : ceux qui la font et ceux qui en profitent" ; il en est ainsi de cette alternance que le parti au pouvoir s’apprête à célébrer après se l’être appropriée ;les Sénégalais se rendront compte avec indignation qu’une bonne partie des fêtards de l’anniversaire de cette alternance piégée, dévoyée, trahie et usurpée avait souhaité que le changement n’eût jamais lieu.Le peuple, véritable acteur de ce changement ne participera point à une fête qui ne lui appartient plus, comme il avait déjà boycotté les manifestations folkloriques du 13 février 2010 dans un stade à moitié vide.
Son souhait sera sans doute de mettre un point final à dix années de misères pour ouvrir une ère qui, espérons-le , sera entièrement nouvelle. Dix ans de misère ! Tout d’abord, misère des militants authentiques du PDS, véritables laissés- pour- compte au profit de transhumants et autres revenants (ceux-ci sont pires que ceux-là, eux qui avaient quitté le parti au moment où il avait le plus besoin d’eux et qui sont revenus avec la prospérité) ; misère des populations de la banlieue en proie à des inondations récurrentes ; misère des travailleurs victimes de l’immobilité urbaine ;on se glorifie d’avoir créé des infrastructures routières, mais à quoi servent-elles si entre Dakar et Rufisque il faut trois bonnes heures de calvaire ?Pire qu’avant..Il y a quelque temps, un journal de la place rapportait la promesse de notre "quadriministre" que tout serait réglé au bout de deux mois. On attend toujours. Dans les "provinces" de l’intérieur, on ne compte plus le nombre d’accidents mortels du fait du mauvais état des routes…
Misère de groupes de presse, agressés et humiliés sans espoir d’obtenir justice car il faut bien ménager un certain bétail électoral ; misère de journalistes, victimes de leur professionnalisme et continuellement convoqués à la DIC, triste record battu par l’alternance ; misère du monde rural, victime de campagnes de commercialisation catastrophiques et laissé à lui-même et à ses récoltes ; misère des hôpitaux, devenus de véritables mouroirs ; misère des entrepreneurs nationaux au profit des étrangers ;misère de certains propriétaires fonciers, victimes de la boulimie inextinguible des nouveaux riches ; misère des gagne-petit qui peinent à assurer la dépense quotidienne et à qui on veut maintenant interdire les vêtements de seconde main,communément appelés "fëgg jaay".
Tout se passe comme si nos braves parvenus avaient fait vœu de maintenir leurs compatriotes dans le dénuement après s’être bien servis. Les mauvaises langues racontent l’histoire de ce ministre qui a eu la surprise de sa vie quand on l’a nommé et qui s’est rendu dare-dare à Colobane pour se payer un costume sans se demander d’où il pouvait bien venir ou s’il était infesté de microbes.Il en est de même de l’interdiction des véhicules de moins de cinq ans:cinq ans, c’est le bel âge pour un véhicule importé d’Europe.
Avez-vous oublié la vieille Mercedes bleue de la campagne électorale de 2000 ?...Misère des populations en général : quelle est la seule denrée de première nécessité qui n’ait connu de pénurie ? Quel est le seul secteur de la vie nationale où il n’y a pas eu de grève ? Il n’est pas jusqu’aux étudiants qui n’aient plusieurs fois réclamé leurs bourses, alors qu’on se targue d’en avoir octroyé à tous les inscrits.Misère des contribuables, victimes des folies dépensières impunies de leurs ministres…
Et dire que c’est ce régime-là qui aspire à nous gouverner "pour toujours" ; mais qu’avons-nous à faire d’un régime incapable de permettre à ses citoyens de s’éclairer,à ses élèves d’apprendre leurs leçons la nuit, à ses tailleurs, soudeurs, techniciens, mécaniciens de travailler le jour du fait de délestages intempestifs ?
Et voilà qu’ils veulent mobiliser le ban et l’arrière-ban de leur affidés et des hordes de "per diemistes"oisifs pour célébrer l’évènement en défilant dans les rues de la capitale ; il n’ y a vraiment pas de quoi pavoiser, il y a mieux à faire que de bloquer notre circulation et faire perdre un temps précieux aux nombreux usagers de la route sur le chemin de leur lieu de travail.
Happy anniversary, anyway...
Yatma DIEYE, professeur d’anglais, Rufisque
yatmadieye@orange.sn