Quelles solutions pour la gestion du pèlerina
Quelles solutions pour la gestion du pèlerinage à La Mecque ?
Depuis Jean Collin, commissaire au pèlerinage sous Senghor, à El Hadji Thierno Diakhaté sous Wade, en passant par El Hadj Rawhane Mbaye sous Diouf, la problématique du pèlerinage se dresse comme un taureau furieux dans une corrida. Oui, elle a la peau dure. Certes, des améliorations ont été notées mais, d’une année à l’autre, les mêmes symptômes réapparaissent en même temps ou à tour de rôle et jamais ne disparaissent ensemble. Quand des pèlerins se lamentent des conditions d’hébergement, de la pénurie en Rials, des bagages et du retard des vols, d'autres vous parleront des personnes ‘perdues de vue’ à Mina ou Arafat, des pèlerins laissés en rade à Dakar, de l’encadrement incontrôlable, voire inefficace, des compagnies d’aviation en question ou tout simplement du commissaire en personne. Et l’on s’engouffre dans un imbroglio. Chaque Sénégalais qui revient de La Mecque, auréolé du titre de ‘El Hadj’, peut écrire tout un livre sur son séjour cauchemardesque qui fait de lui un rescapé avant d’être un ‘saint’. Comme par miracle, une fois parmi les siens, l’esprit de ‘sainteté’ prend le dessus sur toute autre considération et fait oublier au miraculé sa péripétie inédite. Même nos différents commissaires généraux au pèlerinage semblent emportés par le même phénomène si ce n’est le tournis des problèmes récurrents qui leur fait déposer le chapelet de problèmes à la passerelle du dernier vol en attendant l’année prochaine pour entrevoir de nouvelles solutions.
Nous invitons nos compatriotes disposant d’une quelconque expérience du pèlerinage à quelque titre que ce soit, ainsi que nos anciens pèlerins et autres aspirants à se pencher sans délai sur la problématique du Hajj.
Pour donner le ton, voici dans le désordre quelques orientations sur des aspects pour lesquels il faut nécessairement remettre de l’ordre pour prétendre à un pèlerinage réussi.
• La discipline : Nul n’en disconvient, c’est ce qui manque le plus dans le rang des Sénégalais, depuis le hangar de l’aéroport jusqu’aux tentes de Mina. Bousculades, impatience, énervement, intolérance font partie des maîtres mots ou si vous préférez, des maux qui caractérisent nos comportements qui contrastent hélas avec la Téranga de chez nous. Et pourtant, là-bas en ces lieux saints, l’on vous dira sans cesse ‘Laa foussouqa walaa djidaala fil Hajj’ (Point de perversité, point de dispute pendant le Hajj ! (Coran, 2, 197)
• L’information et la préparation psychologique du pèlerin : Une des sources principales des tracasseries de l’aventure du pèlerinage est le manque d’informations. Bien sûr, on n’a pas besoin d’être un savant pour aller à La Mecque. Tout musulman y aspirant, y a droit. Il suffit alors d’avoir les poches pleines et la tête vide. Pour éviter les conséquences fâcheuses qui en résultent, dispensons au hadj l’information, pour ne pas dire l’initiation préalable, nécessaire au voyageur inexpérimenté. Surtout, communiquons suffisamment avec lui afin de ne pas le laisser dans l’expectative. Oui, ceux qui n’ont jamais quitté leur village natal et qui se retrouvent subitement invités du Seigneur au plus grand rassemblement mondial, ainsi que les vielles personnes, méritent une attention toute particulière.
Une bonne préparation psychologique du pèlerin est nécessaire. Il doit savoir que l’on ne fait pas son pèlerinage à La Mecque comme l’on ferait du tourisme à Venise. Il faut se dire dès le début que l’on entame un voyage qui ne sera pas de tout repos. On y va pour y laisser son argent, ses forces et ses péchés.
• Le respect des engagements des voyagistes (Etat et Privé) vis-à-vis du pèlerin. Le pèlerin doit être bien transporté, bien logé, bien nourri et bien encadré. Il a payé le prix et doit bénéficier d’un service équivalent.
• Les retards de vols au-delà d’un jour doivent être bannis. Des mesures hardies doivent être prises à cet égard. Tout manquement doit être puni et entraîner un dédommagement pour chaque passager par jour de retard.
• Les pèlerins laissés en rade : Cette situation ne doit plus être tolérée. Un préjudice moral irréversible requérant un dédommagement conséquent est causé au pèlerin.
Ici, il ne s’agit point de constater les faits après coup et de punir le privé ou la compagnie en laissant le pèlerin dans le pétrin, mais plutôt de prévenir, d’anticiper et de vérifier la conformité entre le nombre total de pèlerins inscrits, l’engagement pris par la compagnie aérienne et sa capacité réelle compte du nombre de rotations prévues.
• Les premiers vols-retours vers Dakar étant très prisés par les pèlerins en remplacement des désistements, il faut absolument donner la priorité aux malades de tout bord (public ou privé), aux autres nécessiteux qui auront perdu leur argent ou leurs bagages et aux personnes âgées, avant les amis et autres recommandés.
• Le goulot d’étranglement constaté à l’Institut islamique lors de la saisie informatique des passeports a entraîné une file d’attente. La demande étant trop forte, le temps trop court, les données à saisir trop importantes et le personnel réduit, l’occasion est vite trouvée pour se livrer à des pratiques que la morale réprouve. Le privé devrait s'équiper dans ce sens pour éviter d'être à la remorque.
• La gestion des bagages et autres biens perdus : Il me semble nécessaire de créer une cellule de gestion des bagages et des biens perdus, chargée de veiller sur les bagages, de collecter, de recenser, de trier et de restituer à leurs propriétaires les objets retrouvés. C’est l’occasion pour le Sénégal de proposer aux hautes autorités saoudiennes de mettre en place un bureau national des biens perdus durant le hajj, chargé de coordonner avec tous les pays représentés car il y a de réelles possibilités de confusion de bagages entre nationalités.
• Le séjour à Mina et la gestion des tentes : Remettre à chaque pèlerin, avant le départ pour Mina, le numéro de sa tente pour éviter les bousculades ou les situations regrettables de voir certains passer la nuit à la belle étoile entre les couloirs.
• Le parcours (du combattant) Arafat-Mina-Jamra-Mecque-Mina : A ce niveau la prise en charge est quasi nulle. C’est le sauve-qui-peut. Les pèlerins ne savent où donner de la tête, accablés par la fatigue, les longues distances à parcourir et le manque d’assistance. Il est vrai que c'est là une équation difficile à résoudre quand des millions de personnes se déplacent en même temps pour accomplir les mêmes gestes, dans les mêmes endroits, avec des moyens de transport souvent limités. Il faut une concertation approfondie pour sortir de cette impasse.
• Les personnes perdues de vue momentanément durant le hajj :
Une cellule destinée à la gestion des perdus de vue doit être créée. Elle devra disposer d’un numéro de téléphone (vert au besoin) à distribuer à tous les pèlerins dès l’inscription. Ces derniers doivent être encouragés à se munir d’un téléphone portable. Chaque responsable
d’agence ou de commission doit disposer du répertoire téléphonique de ses pèlerins afin de pouvoir les joindre en cas d’absence prolongée.
• Le service médical : Des moyens suffisants, un personnel qualifié et diversifié (médecins infirmiers sages-femmes, aides soignants, etc.) doivent être mis à la disposition d’un service médical digne de ce nom. Il faut souligner cependant que jusqu’ici, la mission médicale est le service le plus apprécié.
• Les missionnaires ou encadreurs : Si le chiffre avancé de quatre cents missionnaires sélectionnés cette année pour dix mille pèlerins est exact, l'on devrait se retrouver avec un encadreur pour vingt-cinq pèlerins, or on est loin de ce ratio sur le terrain. L'encadrement demeure la défaillance la plus nette du pèlerinage. Les critères de sélection doivent être revus sans parti-pris au profit des personnes aptes à exercer cette fonction.
• Le commissariat au pèlerinage, comme son nom l'indique, doit être au service de tous les pèlerins et non concentrer son objectif exclusivement pour le public au détriment du privé.
• Les Sénégalais résidant en Arabie Saoudite qui connaissent bien le terrain, doivent être mieux impliqués.
• Le manque à gagner d’un milliard à rembourser à la famille Bourkhane : Cette situation résulte du fait que la commission s’est engagée auprès de son logeur saoudien pour un nombre de pèlerins qu’elle n’a pu atteindre. Quand on sait que, dans des pays comme l'Algérie et l'Egypte, c'est le tirage au sort entre pèlerins inscrits qui donne droit au pèlerinage (la demande est supérieure à l’offre), des accords devraient être trouvés avec l’Arabie Saoudite pour autoriser les pays comme le nôtre de résorber les éventuels déficits en convoyant des pèlerins venant du Maghreb.
• Faut-il maintenir les quotas privé-public ? Faut-il tout remettre à l’Etat ou tout privatiser ? C’est l’occasion de se demander le profil qu’il faut pour gérer un évènement de cette dimension. En tenant compte des différents hommes qui ont eu à présider aux destinées du Commissariat au pèlerinage, à leurs cursus, mais surtout à leurs résultats diversement appréciés, ne faut-il pas en déduire que le critère du bon manager doit être largement privilégié ? D'ailleurs, y a-t-il toujours pertinence à désigner un commissaire général au pèlerinage ? Tant qu’il s’agissait d’un millier de pèlerins à manager pour un flux financier qui ne dépassait guère cinq cent millions de francs Cfa, l’on pouvait se contenter d’une gestion confiée à une ou deux personnes, un commissaire et son adjoint. Maintenant qu’il s’agit de prendre en charge jusqu’à dix mille âmes pour un flux financier qui dépasse les vingt milliards, il y a de quoi changer de fusil d’épaule en optant pour une direction, un institut ou une agence pour le pèlerinage. D’autres ont pensé qu’il était temps d’instaurer un ministère des Affaires religieuses au sein duquel le pèlerinage occuperait une place centrale. L’idée est certes louable et doit d’être approfondie d’autant plus que des questions tout aussi importantes et complexes telles que l’éducation religieuse, la misère des talibés, les relations entre le temporel et le spirituel méritent un réceptacle pour bien éclore.
Mais la laïcité de l’Etat est le grain de sable qui empêche la bonne digestion du menu. Oui, la position laïque de l’Etat gêne son engagement au cœur des véritables problèmes de notre société qui sont le plus souvent d’ordre religieux et le réduit en spectateur obligé, qui ne peut que se désoler des dérapages engendrés. Justement, pour recentrer et parler strictement de pèlerinage, si le privé n’est pas à même d’offrir un service de qualité, qu’est-ce qui empêche l’Etat de prendre le taureau par les cornes, en assumant un service public digne de ce nom ? Même si cette question peut titiller tout responsable, la réponse bute toujours sur la laïcité. La solution pourrait alors être d'opter pour une gestion privée du pèlerinage sur la base d’une feuille de route ou cahier de charges définie par l’Etat. A titre d’exemple, au lieu de gérer directement dix mille pèlerins, l’Etat pourrait superviser environ cinquante agences privées à raison de deux cents pèlerins par compagnie. La gestion deviendrait plus souple, l'encadrement mieux maîtrisé, le coût moins important et le résultat plus probant.
En conclusion, nous disons que la solution à la problématique du pèlerinage réside sur une réflexion continue et une gestion permanente et non épisodique.
Cheikh Bamba DIOUM bambadioum@yahoo.fr