Epître pour redonner son sens à un mot chargé
La renaissance africaine ? Epître pour redonner son sens à un mot chargé d’histoire et porteur des enseignements du passé
La sculpture érigée sur une des collines des Mamelles a été baptisée par le président Abdoulaye Wade du nom de ‘monument de la renaissance africaine’. Le Nepad (the New Partnership for Africa’s Development), un projet développé en 2001 par les présidents Bouteflika de l’Algérie, Wade du Sénégal et Mbeki de l’Afrique du Sud, est appelé par ses promoteurs ‘Projet pour la Renaissance africaine’. Le président français, Nicolas Sarkozy, a utilisé le terme de ‘Renaissance africaine’ dans son discours du 28 février 2008 en Afrique du Sud.
Aujourd'hui, tous ces dirigeants politiques qui parlent d'une Renaissance africaine semblent ignorer le vrai sens du mot ‘renaissance’. Renaissance est un terme qui a été inventé par des historiens du 19e siècle (Jules Michelet, Jacob Burckhardt) pour décrire la période allant, suivant les auteurs, du 14e ou du 15e siècle au 16e - 17e siècles en Europe. L’époque est qualifiée de ‘renaissance’ car elle s’illustre par la redécouverte/la renaissance - l’étude et l’imitation - de la littérature et des arts de l’époque antique grecque et romaine. Le terme renaissance servait ainsi à désigner un renouveau de l’âge d’or européen en opposition à l’obscurantisme qui aurait été la marque de fabrique du Moyen âge européen (appelé en anglais the Dark Ages).
Quoique l’on pense de cette opposition faite entre le Moyen âge et la Renaissance, le fait est que les ‘hommes de la Renaissance’, peintres, sculpteurs, architectes, philosophes, hommes de lettres et savants, astronomes, mathématiciens, médecins : Erasme, Pétrarque, Dante, Da Vinci, Botticelli, Michel Ange, Le Tintoret, Thomas More, Machiavel, Cervantès, Shakespeare, Rabelais, Ronsard, Montaigne, Galilée, Copernic, Tycho Brahe, Kepler, Newton, Ambroise Paré, Paracelse… (pour n’en citer que quelques-uns) ont eu l'humilité et la sagesse de prendre le temps d’étudier les œuvres des maîtres de la philosophie, des sciences, de la technologie et des arts de l’antiquité gréco-latine. Ils ne se sont pas laissé détourner de cette tâche par le fait que ces maîtres, tels Platon, Aristote, Euclide, Ptolémée ou Cicéron, étaient des ‘païens’ qui, de plus, avaient vécu plus d'un millier d'années auparavant.
Par conséquent, si les Africain-e-s veulent utiliser correctement le concept de ‘Renaissance’, ils-elles doivent comprendre que cela veut dire aller à la redécouverte des trésors artistiques, philosophiques, technologiques et scientifiques de l’âge d’or africain. Un âge d’or se dit d’un temps associé à un développement artistique, intellectuel et technologique certain. Toutefois, même si le concept même ‘d’âge d’or’ peut être contesté, il n’en reste pas moins que certaines périodes dans l’histoire d’une région ont été plus prospères que d’autres en termes de développement matériel, intellectuel, artistique et/ou technologique. Les Pyramides et les Textes des Pyramides de l’Egypte ancienne, ainsi que la Charte de Kurukan Fuga, constitution transmise oralement de l’empire du Mali (1235-1645) sont autant de repères marquant les différents ‘âges d’or’ du continent. Les livres suivants fournissent la preuve de l’existence de telles époques de développement humain, et des droits humains, dans le passé africain : Voyages, III. Inde, Extrême-Orient, Espagne et Soudan, Ibn Battuta, ed. La Découverte/Poche, Paris 1997, pp. 393-442 ; Histoire universelle, Livre 1 Diodore ; La Charte du Mande et autres traditions du Mali, Cissé Y. T. et Sagot-Dufauvroux J.L., Albin Michel, Paris, 2003 ; L’unité culturelle de l’Afrique Noire, Présence Africaine, Cheikh Anta Diop ; Afrique Noire, Démographie, Sol et Histoire, Louise-Marie Diop-Maes, Présence Africaine/Khepera, Paris 1996 ; Des droits de la femme africaine, d’hier à demain, Saaliu Saamba Malaado Kanji, éd. Xamal, Saint-Louis, 1997 ; La philosophie africaine de la période pharaonique, 2780-330 avant notre ère, Théophile Obenga, L’Harmattan, Paris, 1990.
‘[Nous allons] placer ici un abrégé des lois et des mœurs des Egyptiens qui paraîtront sans doute merveilleuses et d’une grande instruction pour le lecteur. Elles n’ont pas été révérées par les Egyptiens seuls, les Grecs mêmes les ont admirées, de sorte que les plus habiles d’entre eux se sont fait honneur de venir jusqu’en Egypte pour y apprendre les maximes et les coutumes de cette fameuse nation. Car bien que l’entrée de l’Egypte fut autrefois difficile aux étrangers, comme nous l’avons dit plus haut, cependant Orphée et le poète Homère entre les plus anciens, Pythagore de Samos et le législateur des Athéniens, Solon, entre plusieurs autres plus récents n’ont pas laissé d’en entreprendre le voyage’. Histoire universelle de Diodore de Sicile, traduite en français par l’abbé Terrasson, Paris 1744, Livre 1er, section 2, XXII, ‘Lois de l’Egypte – Mœurs des Egyptiens et premièrement des rois’ disponible sur http://remaCLe.org/bloodwolf/historiens/diodore/livre1.pdf
Telle est la voie vers la Renaissance africaine, un voyage décomplexé vers les lois ‘merveilleuses’ de notre passé ancien. Mais la renaissance n’a pas seulement été associée à la recherche des textes anciens, des œuvres d’art et de la science antiques, elle a aussi été marquée par la démocratisation des savoirs du fait de l’utilisation des langues ‘vulgaires’ ou langues vernaculaires européennes comme langues d’écriture et de diffusion des textes religieux et profanes.
La Renaissance repose ainsi sur la fin de l’hégémonie du latin, la langue léguée par le colonisateur romain. Le latin, langue savante, langue de l’Eglise et des universités est bousculé par les langues du peuple, les dialectes du français, de l’italien, de l’anglais… La langue est un enjeu de développement humain et d’essor économique. L’imprimerie, introduite en Europe par Gutenberg, rend possible une industrie du livre rentable, offrant des livres à la portée de toutes les bourses. Les livres étant devenus accessibles au plus grand nombre par le fait qu’ils sont écrits dans les langues parlées par le peuple et vendus à des tarifs abordables, l’alphabétisation dans les langues vernaculaires se développe en même temps que l’édition, l’une nourrissant, ou se nourrissant de l’autre. Joachim Du Bellay publie en 1549 un ouvrage au titre éloquent, Deffense et illustration de la langue françoise ; moins d’un siècle plus tard, en 1635, l’Académie française est créée par le cardinal de Richelieu.
Les discours et projets relatifs à la renaissance africaine ne sauraient donc occulter la dimension linguistique de l’entreprise. Parler de renaissance africaine implique d’aborder la question de la réhabilitation des langues africaines comme instruments de diffusion du savoir dans tous les domaines, littéraires comme scientifiques. Pour illustrer la faisabilité de cette entreprise, en 1975, Cheikh Anta Diop publie dans le Bulletin de l’Ifan, un article bilingue de 80 pages intitulé ‘Comment enraciner la science en Afrique : Exemple wolof (Sénégal)’.
Louise Marie Diop-Maes publie, en annexe des Actes du Colloque de Bamako 23-25 janvier 2007, Entre tradition et modernité : quelle gouvernance pour l’Afrique ?, un texte intitulé ‘Stratégie pour l’utilisation dans l’enseignement et dans l’administration des principales langues parlées ou comprises par les habitants - instauration d’un système éducatif rationnel et fonctionnel’, article plus tard résumé et rebaptisé ‘Langues et enseignement. Quelques mesures fondamentales à prendre sans lesquelles la ‘Renaissance africaine’ ne pourra se produire’. Le député Samba Diouldé Thiam a publié dans le quotidien Wal Fadjri du jeudi 25 juin 2009 une importante contribution intitulée : ‘Diversité linguistique et système scolaire : le temps d’agir est venu’. Les travaux qui prouvent l’importance des langues africaines pour le développement de l’éducation et des sciences en Afrique sont légion mais, faute pour nos politiques d’en prendre connaissance et d’agir en conséquence, la renaissance africaine demeure une illusion. Cette illusion, coulée dans le bronze du patriarcat triomphant, du machisme à ciel ouvert que représente ‘le monument de la renaissance africaine’, est très éloignée des valeurs matriarcales africaines (cf. Cheikh Anta Diop, Ousmane Sembène, Saliou Kandji, Issa Laye Thiam) et de l’art africain. Cependant, elle est éloquemment symbolique de la dégradation du statut de la femme africaine dans de nombreux pays du continent, à commencer par le nôtre, du fait même de nos dirigeants politiques (cf la remarquable analyse du vrai sens de cette sculpture par la journaliste Aïssatou Laye, dans son article intitulé ‘Un sexisme révoltant’, La Gazette du pays et du monde, n°16, du 2 au 9 juillet 2009, page 28).
Fatou Kiné CAMARA Docteure d’Etat en Droit Chargée d’enseignement Faculté des Sciences Juridiques et Politiques Université Cheikh Anta Diop de Dakar.