Lettre ouverte au président de la République
M. le Président,
Il y a 10 ans, le peuple sénégalais, dans un élan populaire sans précédent, a porté son choix sur vous pour présider aux destinées du pays. La particularité de l’anniversaire de l’Alternance cette année est qu’elle coïncide avec le cinquantenaire de notre Indépendance. Pour cette raison, il me semble nécessaire d’évaluer votre action à la tête du pays en rapport avec l’héritage que vous avez reçu en 2000. Cet exercice me semble d’autant plus utile que vous semblez éprouver du plaisir à attaquer injustement vos prédécesseurs chaque fois qu’un problème ponctuel vient révéler vos propres limites. M. le Président, les multiples dégâts économiques et scandales financiers -chantiers de Thiès, affaire Ségura, Anoci pour ne citer que ceux là - pouvaient être tolérables si en revanche vous aviez gardé avec un minimum de soin des biens beaucoup plus précieux de la collectivité sénégalaise qui vous ont été confiés. Je veux nommer notre Etat et notre démocratie. Qu’avez-vous fait de l’Etat sénégalais qui vous a été confié en 2000 ? Les Présidents Senghor et Diouf ne sont certainement pas exempts de reproches, mais ils ont su, jusqu’au bout, demeurer de véritables hommes d’Etat. Le premier a réussi, à un moment où l’osmose politique était en gestation, à bâtir un Etat qui a résisté aux multiples secousses qui, ailleurs en Afrique, ont ébranlé bien des Etats au lendemain des Indépendances. Le second a consolidé cet Etat. Aucun parmi vos prédécesseurs n’a tenté de remettre en question le caractère républicain et laïc de l’Etat sénégalais tel que consacré par la Constitution. Aujourd’hui, votre volonté d’instituer à la place de cet Etat républicain une monarchie pour mettre en selle votre fils ne fait plus l’objet de doute. Actuellement, l’unité nationale est ébranlée dans ses fondements les plus symboliques en raison de votre propension à privilégier une communauté religieuse au détriment des autres.
Par ailleurs, vous avez déstructuré cet Etat par une «agenciation» à outrance qui répond moins à des impératifs d’efficacité qu’à une volonté d’offrir à votre clan la possibilité de se sucrer sur le dos de la Nation sans avoir à rendre compte. M. le Président, la démocratie qu’on vous a confiée en 2000 peine à s’épanouir depuis lors. Vous avez commis une grosse erreur de jugement dès le départ en concevant l’Alternance comme la consécration de votre carrière politique. L’Alternance n’est pas une propriété individuelle mais plutôt une œuvre collective. Elle n’est pas un aboutissement, mais plutôt une étape décisive d’un processus de maturation démocratique enclenché par d’illustres patriotes bien avant votre engagement sur le terrain politique. On attendait de vous que vous aidiez à franchir d’autres étapes dans ce processus. Hélas, les Sénégalais se sont rendu compte que c’était trop vous demander. Au total, M. le Président, au cours de ces 10 années à la tête du Sénégal, vous avez freiné la marche de la démocratie et le processus de consolidation de l’Etat.
Malgré un bilan aussi passif, je suis de ceux qui pensent que votre place au panthéon des dignes serviteurs du Sénégal n’est pas définitivement remise en question. Une dernière chance vous est offerte de la sauver. Le 03 avril prochain, une marée humaine transportée à bord de ndiaga-ndiaye aux frais du contribuable va déferler aux Mamelles pour les besoins de l’inauguration de votre statue. Saisissez cette occasion pour prendre une décision de haute portée historique pour le bien du pays. Inaugurez d’abord votre statue qui vous tient tellement à cœur, puis rendez le tablier en cette veille du cinquantenaire. Je suis persuadé que si vous offrez un si précieux cadeau à la jeunesse, la postérité ne retiendra que ce dernier acte de courage et de patriotisme. Il est certain que votre démission serait inadmissible pour ceux qui vous poussent vers une candidature insensée. Mais ne vous faites pas de soucis pour ces individus qui, pour la plupart, sont si forts dans le reniement qu’ils ne manqueront pas d’arguments pour se recycler dans le nouveau système qui se mettrait en place. Alors, ne ratez pas le train de l’histoire.
Ce message, M. le Président, est celui d’un jeune Sénégalais qui, à maintes reprises, a couru avec enthousiasme derrière la caravane de la «marche bleue» et scandé le slogan du Sopi.
Veuillez recevoir, M. le Président, l’expression de mes sentiments distingués.
Serigne Assane KANE -Enseignant Membre de la Jeunesse pour la démocratie et le socialisme (Jds)