Ni tribunal révolutionnaire, ni foire d’empoi
DIALOGUE POLITIQUE : Ni tribunal révolutionnaire, ni foire d’empoigne
Sortie des rebuts de l’histoire, la politique des petits pas, qui a permis naguère le rapprochement du temps de la Guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine, peut-elle à nouveau connaître la même bonne fortune, à l’échelle du Sénégal, par ces temps qui courent où le dialogue politique entre le pouvoir et son opposition est sur toutes les lèvres ?
Après les deux premières correspondances de juin dernier entre le pouvoir et l’opposition regroupée au sein de Bennoo, et dont les termes de l’échange épistolaire avaient eu pour résultat de creuser le fossé entre les deux camps et de rajouter de la polémique à la polémique, la dernière lettre de Wade à son opposition, jugée plus constructive par Bennoo, va-t-elle permettre de débloquer la situation ? Et pousser le pouvoir et son opposition, qui ne s’étaient plus reparlé depuis deux ans au moins, après l’élection présidentielle de 2007, à taire certaines récriminations et se retrouver enfin au tour d’une table, les yeux dans les yeux, pourrait-on dire ?
Certes, la tâche est ardue, mais non impossible. C’est Pape Diop, l’actuel président du Sénat qui, à l’occasion de la Korité, a repris l’initiative au nom du président, pour lancer à nouveau cet appel au dialogue entre les deux camps. Joignant l’acte à la parole, le président écrivit à nouveau à son opposition pour réitérer sa volonté de se retrouver avec elle autour d’une table pour parler des problèmes du Sénégal. La nouveauté, cette fois, est que c’est lui-même qui conduirait la délégation gouvernementale et, avec lui autour de la table, les ministres en charge des dossiers concernant tous les points soulevés dans la lettre-réponse de l’opposition.
Dans le premier échange épistolaire entre les deux camps, le président proposait, pour la discussion, la création d’une commission paritaire où chaque côté désignerait ses représentants. Et celui de l’Etat serait conduit par le Premier ministre et d’autres membres du gouvernement. L’opposition regroupée dans Bennoo avait marqué son accord à cette formule tout en spécifiant que l’ordre du jour des rencontres devait tourner au tour de 9 points, et proposait que la durée de la rencontre n’excède pas 3 mois. Et, au terme des échanges, le point serait fait sur les accords et les désaccords sur les 9 points.
Dans la seconde lettre présidentielle où il est question que c’est le président lui-même, himself, qui conduirait la délégation de l’Etat, en compagnie de ses ministres, Me Wade proposait également d’élargir la rencontre avec Bennoo, que les échanges se passent devant la société civile, les chefs religieux, les diplomates en poste à Dakar, la presse, etc.
Pour Wade, dans un débat public, pas besoin de se cacher. Il y a des interventions à entendre de ceux qui seront en face de lui, sur les sujets qui les préoccupent et qui sont contenus dans les points à l’ordre du jour : la gouvernance politique, économique du pays, le processus électoral, entre autres.
Mais si, dans un camp comme dans l’autre, globalement, le contenu des discussions sur les sujets qui préoccupent ne pose pas problème, ce qui l’est en revanche, c’est le format de la rencontre. Et c’est, à l’heure actuelle, le sujet qui fait débat.
Pour Bennoo, le format proposé relève plutôt d’une certaine théâtralisation de l’action politique à laquelle les partis membres de cette alliance ne sauraient souscrire et qu’ils ne cautionneraient en aucun cas.
Selon eux, le format qu’on leur propose n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux, la mise en oeuvre d’une politique spectacle destinée à faire croire à l’opinion et à l’extérieur qu’au Sénégal le pouvoir et son opposition se parlent à nouveau et ont renoué le fil du dialogue. Aussi ne sont-ils pas prêts à se laisser endormir par cet ersatz de dialogue qui n’en est pas un. À ce propos, Ousmane Tanor Dieng rappelle que la politique est quelque part comme la diplomatie, les grandes négociations ne sont pas sur la place publique. Par conséquent, la question qui bloque, aujourd’hui, c’est le format. Le pouvoir va-t-il proposer une nouvelle formule à ces retrouvailles ? Il faut le croire et l’espérer, si tant est réelle la volonté politique sincère de se parler de part et d’autre au seul profit d’un Sénégal plus apaisé où les membres de sa classe politique ne se considèrent pas, les uns les autres, comme des ennemis irréductibles entre lesquels aucun dialogue ni aucun contact n’est possible.
Comme au temps de Kissinger et de Chou-en Laï dont la politique des petits pas a permis le rapprochement entre les deux super puissances, les Etats-Unis et la Chine, mettant ainsi fin à une certaine méfiance réciproque, à une échelle plus réduite, il faut que nos hommes politiques acceptent de se retrouver et de se parler, même s’ils ont des points de vue fondamentalement antagonistes sur bien des sujets.
Pour instaurer un dialogue, il n’est plus besoin, de part et d’autre, de ressasser les vieilles rancunes ou de jouer à la vaine polémique. Chacun doit faire un pas vers l’autre, accepter de discuter sur le format du dialogue et trouver un compromis sur cette question centrale aujourd’hui, aux yeux de tous les Sénégalais qui ne demandent qu’à voir leurs hommes politiques réunis autour d’une table pour l’amorce d’un dialogue.
Faut-il enfin rappeler, aux uns et aux autres, que le dialogue politique tant souhaité par tous, s’il est bien compris, ne doit être ni un tribunal révolutionnaire où il y aura face à face des accusés et des procureurs implacables, ni également une foire d’empoigne où tous les coups sont permis.
Que mille idées fleurissent pour le compte du Sénégal ! C’est la seule vérité qui vaille.
Oméga.
PAR Badara DIOUF(le soleil)