2012 : Un pas de plus vers l’abîme
Suppression du second tour de la présidentielle de 2012 : Un pas de plus vers l’abîme
‘Iuventus stultorum magister’ (la jeunesse est le professeur des fous)
Ainsi donc, si rien n’est fait, le régime des libéraux du Pds envisage encore de modifier la loi constitutionnelle, en supprimant le second tour de l’élection présidentielle 2012. Il s’agirait pour ces orfèvres politiques, d’opérer une modification de l’article 26 de la Constitution du 22 janvier 2001 qui dispose que ‘le président de la République est élu au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours’ et le remplacer par ‘le président de la République est élu au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à un tour’.
Après la modification de l’article 27 de la Constitution, qui a fait passer le mandat présidentiel de 5 ans à 7 ans, me direz-vous, ce sera le nième acte de mal gouvernance de ce régime, qui a fait du reniement de ses engagements publics et du tripatouillage constitutionnel, le socle de sa folle gouvernance. Le 12 août 2008, j’avais alerté mes compatriotes, dans un article publié dans la presse et intitulé ‘Sénégal : Un système démocratique à reconstruire. Alea jacta est’. Dans cet article, je disais qu’à la suite de la modification de l’article 27 de la Constitution, que ‘si rien n’est fait, alors la voie est ouverte à tous les abus, et la question de savoir quelle sera la prochaine étape ne sera pas superflue’. Hélas, les faits sont en train de me donner raison. Nous y sommes, cette triste étape, en attendant peut-être la prochaine !
‘Il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare, et lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante’, nous confiait Montesquieu. En revanche, nous devrons définitivement nous convaincre qu’avec ces libéraux du Pds, il s’agira toujours, d’une main ferme, de changer constamment les lois, surtout la loi fondamentale.
C’est par la voix de sa frange jeune, portée par Aliou Sow, responsable de la fameuse ‘école du wadisme’, que ce régime des libéraux du Pds nous fait l’annonce. Sans gêne, ces jeunes nous disent ‘qu’ils veulent promouvoir un scrutin majoritaire à un seul tour pour la prochaine élection de 2012. Ce nouveau mode permettra, selon ce mouvement, de faire des économies mais aussi d’assainir l’espace politique avec la réduction du nombre de partis’. Et le comble de l’ironie, ils ajoutent : ‘Pouvons-nous continuer à demander au Trésor public de décaisser des milliards pour financer un scrutin majoritaire à deux tours ? Nous disons non’.
Ce raisonnement lugubre aurait pu passer inaperçu, s’il émanait du seul porte-parole de cette ‘école du wadisme’, un illustre inconnu du landerneau politique sénégalais. Mais lorsqu’Aliou Sow, ministre de la République, qui dirige cette ‘école du wadisme’, s’en prend vertement à son collègue Kalidou Diallo, qui aurait exprimé des réserves justifiées au demeurant, sur cette abominable idée, en arguant que ‘sa capacité de compréhension est limitée... et qu’il ne saurait rien des fondements et des orientations de la suppression du second tour... et que tôt ou tard il finira par épouser l’idée’ (journal As du samedi 19 septembre 2009), et qu’aucune voix autorisée ne lui porte la moindre réplique, alors je me suis dit : la meute est lancée !
Face à autant de désinvolture et tant de légèretés dans les actes posés par ces dirigeants au sommet de l’Etat, tout démocrate est fondé à s’interroger sur les intentions réelles de ces hommes qui nous dirigent. En effet, que des ministres, qui se retrouvent toutes les semaines en Conseil des ministres et dont les équipes collaborent tous les jours, se donnent en spectacle de manière aussi peu courtoise pour ne pas dire plus, illustre le peu de considération accordée aux institutions de la République par les hommes qui les incarnent.
Rappelons tout de même, que l’Education gérée par M. Kalidou Diallo est une compétence transférée aux collectivités locales sous la charge de M. Aliou Sow ! La motivation et la synergie des équipes des deux ministères prendront un sacré coup ! En réalité, ce sont les pauvres populations des collectivités locales qui paieront encore la facture de ces actes de mal gouvernance. Mais revenons un peu sur les arguments, évoqués par ces ‘écoliers du wadisme’ : le coût de l’élection, la simplification de l’espace politique et la référence à de grandes démocraties comme les Etats-Unis.
A propos des économies qui seraient générées par ce projet : Où étaient ces jeunes, lorsqu’il y a eu les 109 milliards de ‘dépassements budgétaires’ ? Les a-t-on entendu se prononcer sur la nécessité d’un audit financier et technique indépendant de la gestion des centaines de milliards dépensés par l’Anoci ? Mais ce serait trop demander à des ‘écoliers’. Le coût d’une élection présidentielle au Sénégal, tourne autour de 10 milliards de francs Cfa. Avec ces ‘dépassements budgétaires’, le Sénégal pourrait organiser dix élections présidentielles ! De quoi choisir ses dirigeants pendant 70 ans.
En réalité, dans le choix de bons dirigeants pour nous gouverner, il est ridicule et puéril de parler d’économiser 10 milliards. Si ces ‘écoliers du wadisme’ tiennent vraiment à faire des économies, je leur suggère quelques pistes connues de tous : la suppression des agences nous ferait économiser pas moins de 100 milliards par an ; ou alors, supprimer le Conseil économique et social et le Sénat, qui sont des institutions budgétivores et inutiles. Donc messieurs de ‘l’école du wadisme’, cet argument sur l’économie est assez léger. Il ne signifie rien du tout !
Au sujet de la vertu d’une simplification et d’une clarification de l’espace politique en deux ou trois pôles politiques, tant que vous y êtes, pourquoi ne pas interdire les partis politiques et organiser une élection à un seul tour avec un seul parti, le Pds ? Là aussi, vous faites erreur ; je vous invite à faire confiance à ce vaillant peuple sénégalais qui a prouvé maintes fois, qu’il sait distinguer la bonne graine de l’ivraie. Ce peuple saura, le moment venu, quel que soit le nombre de partis politiques, faire un choix dans la clarté et renvoyer dans l’opposition, même un parti unique dans une élection à un seul tour ! Cela ne veut nullement pas dire, qu’il ne faille organiser tout ce charivari des partis politiques au Sénégal. Mais cela doit se faire dans une large concertation nationale, voire même dans le cadre d’un referendum sur la question.
Enfin la référence à des pays avancés comme les Etats-Unis, où l’élection présidentielle est uninominale à un tour. Ah tiens, tiens ! Maintenant, vous vous rappelez des vertus de la démocratie américaine. L’élection présidentielle américaine est un scrutin indirect, où le président et le vice-président sont élus par un collège électoral constitué des grands électeurs élus au suffrage universel dans chaque Etat. Le mandat dure 4 ans et le président ne peut se représenter qu’une seule fois. Aviez-vous oublié tous ces éléments, lorsque vous modifiez l’article 27 de la Constitution ? Certainement pas. Mais connaissant le mode de fonctionnement du Pds, on pourrait sans doute deviner que n’eut été la perte des élections locales du 22 mars, vous aurez sans doute eu à proposer également d’autres amendements, comme l’élection présidentielle au suffrage indirect, par les élus locaux... et tutti quanti. A vrai dire, toutes ces contorsions intellectuelles prouvent aux observateurs avertis, que ‘vous parlez en démocrates, mais agissez en autocrates’, pour citer un célèbre homme politique sénégalais. Cependant, n’oubliez jamais que le Sénégal a construit sa cohésion et sa stabilité, entre autres facteurs, sur le fait que les différents segments de la société se retrouvent dans cette large diversité politique. Faites attention, ne tentez pas le diable. Ne réveillez pas du fitna dans le pays !
En tout état de cause, messieurs les ‘écoliers du wadisme’, un chamboulement de la charpente sociale, garant de la stabilité du pays, qui serait né de vos expérimentations politiques, ne vous épargnera pas ! Au lieu de nous entraîner dans une nouvelle aventure, je vous invite plutôt à aller dans le sens de renforcer la démocratie sénégalaise. Faites des propositions dans la fiabilisation et dans la sécurisation de l’état civil et du processus électoral. Vous contribuerez ainsi au renforcement de la sécurité nationale, et permettrez à tout Sénégalais qui le souhaite, de disposer d’un état civil fiable et de pouvoir jouir d’un droit constitutionnel, qu’est le droit de vote. Voilà, un vrai défi que le régime libéral du Pds n’est pas encore parvenu à relever.
Lorsque les projets de loi, qui impactent notre loi fondamentale, sont portés par des jeunes ‘écoliers’, n’ayant fait aucune analyse historique, ni sur les réflexes politiques des sénégalais, encore moins sur les ressorts sociaux qui les sous-tendent, et pour qui, l’avenir se résume au présent, alors, nous sommes véritablement fondés à nous inquiéter. Alors, nous pouvons méditer cette expression latine ‘Iuventus stultorum magister’ pour dire que ‘la jeunesse est le professeur des fous’. A ceux qui seraient tentés de suivre dans cette aventure, cette jeunesse des ‘écoliers du wadisme’, nous disons : attention messieurs, la folie vous guette.
Toutefois, puisque les historiens connus du camp libéral tardent à le faire, je voudrais rappeler à ces ‘écoliers du wadisme’, que le Sénégal a une riche tradition démocratique et que les Sénégalais votent depuis 1848, l’année où fut porté son premier élu au palais Bourbon, du nom de Barthélemy Durand Valentin. Ensuite, le 10 mai 1914, Blaise Diagne a été élu, consacrant l’arrivée du premier Noir au palais Bourbon. De 1946 à 1960, le Sénégal a connu dix élections, dont l’élection du premier président de la République le 5 septembre 1960. Depuis 1960, le Sénégal a connu douze élections, dont huit élections présidentielles au suffrage universel.
Donc messieurs les ‘écoliers du wadisme’, sachez que le peuple sénégalais vote depuis 161 ans ! Dieu soit loué ! Notre pays a été épargné des 176 coups d’Etat intervenus en Afrique de l’Ouest depuis 1960. Il partage cette singularité avec un seul pays : le Cap-Vert. Pensez-vous que tout ceci est le simple fruit du hasard ? Assurément non. Des hommes et des femmes patriotes, qui avaient éloigné leurs familles de la gestion des affaires publiques, préoccupés par l’intérêt de la majorité des Sénégalais, soucieux du jugement implacable de l’histoire, ont eu le mérite de construire patiemment tout cet édifice. Sous ce regard, vous observerez donc, que ce peuple a un vécu historique, a suivi une longue trajectoire politique et dispose d’une mémoire collective féconde.
Ce projet de suppression du second tour de l’élection présidentielle de 2012, est abject. C’est un crime démocratique abominable. Abandonnez-le ! Pensez à l’image que vos leaders et vous-mêmes laisseraient à la postérité. Méditez cette phrase de Victor Hugo qui disait : ‘Les grands hommes font leur propre piédestal ; l'avenir se charge de la statue.’
Alioune SARR Ingénieur Thiès, Sénégal alioune_xtx_sarr@yahoo.fr