et manoeuvres
Entre malaise et manoeuvres
Par Babacar Justin Ndiaye Politologue
La campagne législative est plus morne et monotone (morte ?) que nos campagnes où le chant des oiseaux et le craquement du bois mort produisent plus d'ambiance que ce mois électoral de mai 2007. A cet égard, l'attitude de la fraction de l'opposition qui se radicalise dans le boycott, fournit une explication d'une justesse partielle et parcellaire. L'autre fragment de la vérité, c'est que le diable du cinéma politique Abdoulaye Wade et le démon de la communication sociale Idrissa Seck, sont hors du coup : le premier a son quinquennat en poche ; le second a opté pour un boycott activement tourné vers l'Etranger.
Toutefois, cette langueur n'efface guère les enjeux du scrutin et de ses lendemains. Encore moins l'impact des ondes de choc du boycott. D'ores et déjà, des péripéties truffées d'enseignements politiques sont enregistrées.
C'est ainsi qu'en dépit des apparences, les hiérarques du Pds (Wade en tête) oscillent entre aplomb et angoisse. D'où cette tactique éculée mais inoxydable qui a consisté à inonder la presse, jusqu'à la veille de la décision du Conseil d'Etat, de fuites planifiées autour d'un report prochainement probable ou probablement plausible des législatives. Cet irrépressible besoin de jauger l'opinion, traduit un mélange de malaise politique et de flottement décisionnel que la rage de soutenir que tout va bien dans le meilleur des mondes libéraux, ne dissipe pas.
Car, en effet, le grand vainqueur du 25 février (Abdoulaye Wade) aura du mal à pavoiser notamment sur la scène internationale. Certes un boycott ne suffit pas pour dresser l'acte de décès de la démocratie sénégalaise. Loin s'en faut. Mais l'étoile du Sénégal, pâlira. Hier aux avant-postes des systèmes démocratiques dans le continent, aujourd'hui, il fait figure de fondateur du Club des Adeptes du Premier Tour (Capt) auquel le Mali et le Nigeria viennent d'adhérer avec empressement. Et ce n'est pas un hasard si le Sénégal reçoit des conseils vigoureusement amicaux – synonymes de pressions – de la part de certains partenaires.
En outre, la demande sociale qui s'est muée en urgence sociale avec son cortège de pénurie, de hausses, de délestage et de fièvre revendicatrice dans les syndicats, est entrain de mettre la sérénité gouvernementale à rude épreuve. Ce sont là, au demeurant, les contrecoups ou retours de flammes d'une option présidentielle qui a sacrifié l'apéritif des Sénégalais sur l'autel des infrastructures. Choix probablement judicieux, assurément courageux et fatalement impopulaire.
Cependant, le virtuose de la politique qu'est Wade, exploite à fond la conjoncture en y greffant ses fines manœuvres. Il écarte la concertation proposée par les tenants du boycott mais apprécie les cachotteries. Autrement dit, le Président ne dialogue pas en plein jour avec l'opposition boudeuse mais discute en pleine nuit avec ses émissaires ou électrons libres comme Mata Sy Diallo et Pape Diouf. Bref, même au seuil de l'impasse et au cœur du casse-tête, Me Wade reste le maître du « Je » et surtout du jeu caractérisé par un dispositif de capture qui fait vachement mouche. Selon des sources bien informées, Wade est sur le point de placer le lasso sur les cous respectifs d'une femme et d'un homme de premier plan, tous deux membres du Bureau politique du Ps, démarchés par le truchement d'un de nos plus célèbres communicateurs traditionnels.
Du côté de l'opposition radicale, la conjoncture politico législative, est loin d'être rose ou reposante, avec l'onde de choc (économique et sociale) du boycott de la députation qui dégarnit les rangs. Et démontre aussi que les acteurs politiques sénégalais ne sont pas des amateurs de la traversée quinquennale du désert, sans sièges au parlement ni portefeuilles ministériels. D'où la course vers les prairies bleues du Pds ou les parages non moins bleus de War Wi qui en Ouolof, n'est rien d'autre qu'une parcelle plus ou moins annexée au grand champ. Non au Ténéré (désert saharien du Niger) du militantisme patient et payant ; oui à la palmeraie ministérielle ou à l'oasis parlementaire : telle semble être la devise de la majorité des hommes et femmes politiques du pays.
Dans un pareil contexte, il est clair que la campagne sera totalement dépourvue de relief. Et pire, elle sera vide de perspectives à la mesure de l'âge et de l'ancrage de la démocratie au Sénégal. Parfaite illustration de cette campagne électoralement bancale : sur le terrain, le numéro deux du Pds Macky Sall formate laborieusement ses thèmes de ses meetings, faute de cibles stimulantes. L'adversaire coriace et imprévisible jusqu'à la fermeture des bureaux de vote, étant, en période de boycott, le Parti (sans récépissé) de l'Abstention.
L'épisode du bras de fer juridique devant le Conseil d'Etat participe manifestement d'une orgie de manœuvres qui a débuté avec le couple Inondation – Plan Jaxay, continué avec le découplage réussi et culminé avec la Parité prise à partie par le Conseil constitutionnel, à la grande fureur du Président Wade qui voit ainsi Sarkozy le coiffer au poteau ...paritaire.
Certes, l'habileté n'est pas un crime en politique. Evidemment, le combat politique est plus le monopole des coyotes que l'apanage des cardinaux. Bien sûr que dans cette faune-là, tous les loups sont noirs ou gris, les rares loups blancs étant vite repérés et dévorés. Toutefois, l'usage abusif des astuces, artifices et autres stratagèmes de tout acabit, pourrait à moyen terme, esquinter les institutions les plus solides. Fondateur de la Cinquième République, le Général De Gaulle formula cette recommandation : « Quand on fait une Constitution, avant d'aller plus loin, il faut voir comment elle se greffe sur la nation, comment la nation la comprend ».
Depuis 1960, aucun processus électoral n'a autant mobilisé les ressources du Droit que celui-ci. Ni autant asticoté les nerfs des magistrats. Ni autant fait vibrer la Constitution sous le choc des amendements et des modifications à répétition. Et pourtant, l'avertissement d'Eugène Ionesco reste toujours d'actualité et d'acuité : « A force de caresser un cercle, il devient vicieux »
Babacar Justin Ndiaye Politologue.