Et la République dans tout ça ?
J’ai (re)trouvé un pays compliqué
Il y a parfois un fossé énorme entre ce qu’on lit à travers les supports d’information et la réalité que ces derniers sont censés décrire. Loin du Sénégal, je fus souvent habité par des sentiments d’angoisse, de désespoir et de crainte devant l’ampleur du délabrement du tissu social qui se reflétait à tous les niveaux. J’attendais de voir… le contraire. Grande ne fut cependant pas ma surprise quand quelques semaines de présence physique dans notre cher pays m’ont clairement révélé les contours de cette déchéance polymorphe qui touche les fondements les plus respectables de notre société.
J’ai (re)trouvé un pays en chantier dont les dernières moutures tardent toutefois encore à se dessiner. Les optimistes jubilent déjà et exhibent les bribes de réalisations tandis que les sceptiques s’alarment davantage devant les lambeaux de la mauvaise gouvernance. Où se situe le réalisme ? Des deux côtés, peut-être! Mais il va falloir encore creuser et bêcher pour voir chez les uns un trop peu d’ambition et chez les autres une insatiété incommodante. Le tout dans un contexte où le vrai et le mensonge se relaient ; l’objectif et le subjectif se superposent ; et où la politique vient déconstruire les repères.
Le Sénégal est dans une ère confuse. Confusion de rôle, de statut, d’idéal, d’objectif et de combat. La forte propension à l’imposture, la méconnaissance des responsabilités individuelles, et le culte inouï de la facilité minent notre société. D’ailleurs, la nouvelle trouvaille qui veut que l’on ne gagne pas de l’argent par le travail mais par la magouille et le fricotage est une parfaite illustration de ce dangereux glissement d’idéal : « khaaliss kenn douko liguëy, dagnou koy lidiënti » (l’argent ne se gagne plus par le travail, mais par le fricotage). Un changement de paradigme inquiétant qui marque aussi toute une philosophie de vie tournée vers l’incurie par rapport au bien public. Mais que reste-t-il encore à espérer quand l’attention à soi ne figure plus dans le chapitre des « agendas» ?
J’ai (re)trouvé un pays qui maltraite le bien public. Le paradigme positif du « soin » du bien public est dangereusement remplacé par celui négatif de son utilisation pernicieuse et insouciante. La rue, qui est l’espace par excellence où le bien public s’offre et s’exemplifie, est devenue un territoire chaotique où ne règnent que les intérêts particuliers très souvent divergents : un anarchisme primitif dû au manque de conscience par rapport à ce que chacun peut apporter pour le bien de tous ; « Sunugal » rappelle pourtant le destin commun logé au cœur de la vie d’une nation. Si le Sénégal veut demeurer une nation, il faudrait que cette conscience de servir l’ « être ensemble » soit présente en chacun de ses fils.
Les repères qui jadis constituaient le ciment de notre communauté sont subrepticement sapés par de nouveaux paradigmes portés par des « hommes nouveaux » incapables de faire la différence entre bien commun et propriété privée, entre usage et utilisation, entre nécessité et fioriture, entre fonction tout court et sacerdoce. Ces hommes, portés qu’ils sont par l’étoile voluptueuse de plaisirs éphémères, en viennent à oublier les réalités profondes de la vie qui pourtant en appellerait à des considérations encore plus chastes, encore plus simples. Ces hommes de peu, parce qu’ils sont pris dans les ténèbres de l’autoglorification, tombent dans un nihilisme substantiel : sans Dieu et devant tous les hommes. La griserie du pouvoir est une lumière si intense qu’elle foudroie les yeux de l’âme et libère les forces animales (éco)toxiques.
L’humilité qui requiert que nous soyons conscients de nos limites intellectuelles, morales et tout simplement humaines, cède la place à une arrogance et une superbe qui prétendent faire de nous des surhommes, maîtres devant l’éternel, « mesures de toutes choses ». L’arrogance est l’apanage de ignorants qui restent encore incrédules et abasourdis devant la grandeur et la dignité des stations qu’ils occupent.
Ainsi, en fait de repères, il y a en que cette course folle à « avoir » ; le projet d’ « être » est devenu vieillot, élitiste même, trop aérien pour être poursuivi. Ceux qui incarnent les repères trônent donc au Panthéon de l’ « avoir » et du « pouvoir » qui va avec. Et le savoir ? On s’en occupera après, sans doute. « Après », c’est en fait jamais ! Toute vie est choix, certes. Mais tout choix est aussi une vie. A l’heure des comptes, on doit tâcher de ne pas s’en prendre à soi-même. Quand les repères font défaut, c’est le vide autour des hommes et des consciences. Mais quand les repères sont vicieux et tordus c’est le chaos abject qui donne l’impression d’un ordre qui n’en est pas un.
Le poisson pourrit par la tête. Notre élite politique et maraboutique est aux agonies. On aurait à en rire, si ce ne fut pas tragique. Le drame est à la mesure de l’angoisse de la perte criarde de repères. La dégringolade est vertigineuse. L’horreur du vide se fait de plus en plus sentir. Un peuple se hisse dans/par les valeurs. Mais il s’ensevelit aussi dans les profondeurs de la décadence lorsque les vertus s’effondrent.
La connivence et la complicité entre élite politique et élite maraboutique sont si intenses, complexes et compliquées qu’il faille être un savant prophète infaillible pour en donner les réels contours et présager des épilogues. Il reste toutefois que ce mariage à plusieurs cordes, laisse ouvertement entrevoir des aspérités aux relents suicidaires. Car entre cette élite maraboutique qui a fini de vendre son âme au diable – diable qu’il devrait nous aider à combattre – et cette élite politique maîtresse dans l’art de capitaliser les « rencontres », se joue une tragédie dont aucun des acteurs ne sortira indemne. Quand le bon Dieu se sent « piégé » il choisit bien le moment pour exposer et vilipender les commanditaires de cette forfaiture… C’est « en Jeans », comme disait l’autre, que le Dieu de nos jours s’invite à nos tables…
Certains guides religieux en oublient magistralement le sens de leurs gestes quotidiens qui doivent être fondamentalement arrimés aux « paroles de Dieu. » Et demain, demain sans doute, ils auront à porter une grande responsabilité devant l’Eternel et devant ce peuple qui leur a tout donné, tout reconnu, et tout rendu. On s’imagine déjà le jugement de l’au-delà, avec une sorte de « Schadenfreude » (plaisir malicieux) quand la vérité se révélera dans sa crudité étincelante et que les masques tomberont. Mais avant de penser au saut vers cet au-delà encore incertain pour nous du commun des mortels, la réalité de l’ici-bas nous interdit de nous taire. Car tout silence serait compromission et toute inaction approbation.
J’ai (re)trouvé un pays très bavard ; un pays otage de la politique dont le modus vivendi consacre la ruse, le mensonge et l’indécence pour jeter aux poubelles les valeurs sacrosaintes qui fondent la politique comme art de gérer les affaires de la cité. Ce que jadis le savoir te procurait, c’est maintenant la langue pendue qui te l’offre…sur un plateau d’argent. L’imposture est de mise, la décence aux oubliettes. S’établissent alors toutes sortes de tares et de vices qui minent la société en profondeur. Si on n’y prend garde, on risque de se retrouver un jour avec une société fantôme et un empereur nu. Qu’allons-nous alors raconter aux générations futures ?
Le problème des valeurs pourrait aussi se résumer en ce manque criard d’élégance, caractéristique de ceux qui sont au devant de la scène. Il est propre à l’élégance de se donner des limites, pour la sauvegarde des valeurs, et pour le bien-être de la société dans son ensemble. L’inélégant ne peut regarder plus loin que le bout de son nez. Il est aveugle aux valeurs, car dominé par des reflexes autistes qui l’empêchent d’étendre ses perspectives. L’élégance, par contre, est une question d’âme, et non de mine extérieure. L’homme élégant s’interdit des choses, tandis que l’inélégant suce jusqu’aux dernières gouttes les non-dits de la lettre et engloutit l’esprit. L’un sait démissionner, tandis que l’autre est toujours démis ; l’un se consacre aux autres, tandis que l’autre les traite toujours comme moyens pour arriver à ses fins. Entre l’un et l’autre, s’étend tout l’abîme entre la valeur et la « de-valeur. »
L’impressionnisme du tableau « Sénégal » tient aussi du caractère polyphone – ou plutôt cacaphonique – des débats. Il est vrai que dans une démocratie toutes les voix comptent et que la dialectique délibérative doit en constituer le forum par excellence. Mais l’effusion de toutes sortes d’opinion venant de toutes sortes d’hommes, en tout lieu et en tout temps, peut porter un sacré coup à l’environnement démocratique. En outre, quand tout ce qui n’est pas interdit semble permis, la voie aux abus reste grande ouverte. Une démocratie se nourrit certes d’échanges ; mais elle abhorre les imposteurs adeptes de faux-fuyants. Une démocratie se meurt quand ceux qui ne savent rien parlent de tous !
Aux confins de ce monde trouble que représente le Sénégal, il ne s’agit pas d’être nostalgique, encore moins fataliste. Car la réponse se trouve en nous, Sénégalais, qui avons la souveraineté de pouvoir encore dire non, sans avoir de compte à rendre à personne. Quand l’insouciance est érigée en credo de gestion, et que la recherche de raccourcis est édictée en règle de réussite, il n’est qu’une prise de conscience individuelle qui puisse sauver le bateau Sénégal des eaux troubles dans lesquelles il a été engagé. Les instants vertigineux de la nausée doivent inélectublement laisser place à la réflexion constructive pour sauver le soldat Senegal. Heureusement qu’il y a encore des gens qui s’inscrivent dans le régistre clairesemé de ceux qui oeuvrent pour un « à-venir » radieux pour le pays de la Téranga, cette terre que nous chérissons tant.
Auteur: Dr. Cheikh Mbacké GUEYE
Landing Savané fait ses remarques
Dans une première contribution, j’ai plaidé pour une stratégie commune de l’opposition aux élections de 2012. Je voudrais prolonger ma réflexion sur cette question d’une importance capitale pour l’avenir du pays car il s’agit de réaliser un consensus large et fort des forces politiques et sociales pour mobiliser massivement les populations et gagner les batailles à venir.
D’abord je voudrais préciser, qu’à mon avis, les élections présidentielles et législatives de 2012 doivent être considérées comme relevant d’une même dynamique électorale. Il s’agit en réalité d’une même campagne qui doit doter le Sénégal d’un nouveau Président et d’une nouvelle Assemblée Nationale. Les dernières élections législatives avaient été boycottées par l’opposition et il ne saurait donc être question de proroger la durée du mandat de l’Assemblée Nationale actuelle qui ne traduit pas la diversité des forces politiques du pays.
Si les principaux partis d’opposition arrivent à s’entendre, comme le préconisent certains, sur un candidat commun dès le premier tour, il leur faudra travailler ensemble à relever le défi de la mobilisation de l’électorat. Dans ce cas, il sera indispensable de mutualiser tous les moyens matériels et de mobiliser l’ensemble des leaders politiques le plus rapidement possible dans une campagne nationale pour expliquer la stratégie adoptée et convaincre les populations de voter pour le candidat commun. Cette bataille exigera l’engagement sincère de tous les leaders concernés pour donner les résultats escomptés car, comme nous le savons tous, la majorité des électeurs et électrices sénégalais accordent leur voix à un homme et non à un programme.
Mais si la voie des candidatures plurielles s’imposait, cela ne devrait, en rien, compromettre l’unité d’action de l’opposition pour battre le candidat Abdoulaye Wade. Il faudrait alors s’efforcer de circonscrire au plus tôt les candidats afin qu’ils puissent se lancer dans une précampagne concertée et coordonnée dans le but de réaliser une mobilisation en profondeur de l’électorat et garantir la sincérité du scrutin par un contrôle systématique du bureau de vote à la commission nationale de recensement. Pour cela aussi l’opposition devra s’y prendre très tôt afin de faire échouer les tentatives de fraude et de corruption du pouvoir. Car, à l’évidence, le succès d’une stratégie électorale de l’opposition passera, nécessairement, par le contrôle commun et systématique de l’ensemble du processus électoral comme ce fut le cas en 1999-2000 avec le FRTE (Front pour la Régularité et la Transparence des Elections).
Dans les deux cas, il n’y aura aucune raison de réduire le mandat du Président que l’opposition aura porté au pouvoir si celle-ci prend les dispositions qu’il faut pour s’entendre, au préalable, sur un Accord Electoral et un Programme de gouvernement recoupant, pour l’essentiel, les points d’accord des Assises Nationales. Naturellement, l’Accord Politique entre les partis de l’opposition devrait comporter l’engagement à désigner un candidat commun de l’opposition si une élection à un tour était imposée de façon unilatérale par le pouvoir.
L’Accord devrait inclure aussi un engagement à rompre de façon définitive avec Abdoulaye Wade et son équipe ; l’acceptation du principe d’un désistement en faveur du candidat de l’opposition le mieux placé si Abdoulaye Wade est présent au second tour ; la décision de mettre en œuvre une gouvernance concertée et de mettre en place une équipe gouvernementale équilibrée et crédible de coalition, travaillant sur la base du programme adopté ; et enfin le serment du candidat de l’opposition de ne pas être candidat à l’élection présidentielle de 2017 ce qui implique son acceptation d’appliquer la réduction du mandat Présidentiel à cinq ans (05 ans).
D’autres points peuvent, si c’est nécessaire, s’ajouter à l’Accord Electoral qui ouvrirait la voie à une coopération féconde entre les candidats de l’opposition. N’oublions pas que l’objectif de l’opposition doit être essentiellement de créer les conditions pour que toutes les forces politiques, tous les leaders s’engagent ensemble et à fond dans la bataille pour mettre fin au régime de Abdoulaye Wade qui ne peut gagner les élections présidentielles si nos compatriotes se mobilisent comme il se doit et si les partis politiques surmontent les méfiances qui subsistent entre eux pour faire confiance au suffrage populaire et à la volonté de changement sans précédent qui se manifeste dans l’ensemble du pays.
« Benno Siggil Senegal » doit, quel que soit le mode de scrutin retenu, rester un cadre d’unité d’action de forces politiques indépendantes, partageant cependant une vision commune de l’avenir du Sénégal, incarnée par les conclusions des Assises Nationales. C’est dire qu’en cas d’élection au deuxième tour, tout leader politique qui voudrait, pour quelque raison que ce soit, soutenir Wade verrait les populations lui tourner le dos comme ce fut le cas en 2000 pour Abdou Diouf.
Du reste, ce n’est pas dans le camp de l’opposition mais bien dans celui du Président que la débandade s’installera lorsqu’il sera contraint d’aller au second tour, puisque tous les responsables historiques du PDS savent que s’il gagne les élections, son souci prioritaire sera de se débarrasser d’eux et d’installer son successeur à la tête du parti et du pays.
Nous savons tous que Abdoulaye Wade est devenu un danger pour la Nation et que c’est un homme rusé qui a plus d’un tour dans son sac. Il faut donc l’affronter avec détermination et dans l’unité. La bataille n’est pas gagnée d’avance. L’expérience passée et celle très récente des Assises Nationales, démontrent que c’est seulement sur la base de concertations patientes et de consensus négociés que l’opposition et le camp du peuple peuvent consolider leur unité d’action. Nul n’a le droit d’oublier ces leçons essentielles.
QUI SOMMES-NOUS NOUS CONTACTER
Transhumance politique
II - Un ferment solide et fertile de la culture du ‘maslahah’
Inspirés par les réalités politiques du Sénégal, à peine sorti de l’ère du parti unique, et prenant conscience de ce qui s’était produit sur la scène politique avant la naissance du Pds, les dirigeants de ce parti ont décidé de prendre en charge la question sensible de la transhumance politique par l’article 26 des statuts du parti en adoptant un dispositif anti-sabordage. Il faut peut-être rappeler que Wade lui-même s’est, d’une certaine façon, moulé dans ces mœurs politiques qui gravitent autour de la pratique de la transhumance politique, car il doit être considéré comme un transfuge de l’Ups.
Connaissant ce parti et les pratiques qui y avaient cours, il lui fallait impérativement prendre des précautions pour ne pas trop pâtir de l’instrumentalisation abusive et dévergondée de ces mœurs politiques par les tenants du régime socialiste trop peu enclins à partager l’espace politique avec d’autres. Il était d’une impérieuse nécessité, pour le jeune Pds, de mettre sur pied un dispositif à la fois institutionnel et politique pour juguler les menaces qui pesaient sur son existence et sur son identité : les textes fondamentaux du parti et une sorte d’éducation au ‘patriotisme’ de parti. C’est dans ce sens que prenant la parole à l’occasion de la Conférence nationale de son parti en 1978, le secrétaire général, Me Abdoulaye Wade, a tracé les contours d’un dispositif de sécurité contre la transhumance dont voici les termes : ‘Pour apaiser les craintes de sabordage des militants, nous avons adopté à l’article 26 des statuts, un dispositif anti-sabordage. Même si les dirigeants trahissaient la base et allaient rejoindre l’Ups, le Parti demeurerait. Dans ce cas, quatre conventions régionales peuvent convoquer le congrès et élire une nouvelle direction du Parti’.
Le choix de mots politiquement sensibles comme ‘trahir’, ‘base du parti’, ‘demeurerait’ n’est pas gratuit : la résonance de telles expressions dans la conscience de militants ‘jeunes’ dans l’espace politique a dû être déterminante dans la suite des évènements. Mais cette prise de position donne simplement une idée d’un ensemble d’alinéas contenus dans l’article 26 dont nous citons quelques-uns : ‘Le Parti, conformément aux dispositions de l’article 816 du Code des obligations civiles et commerciales (Cocc), ne peut être dissous que par le congrès réunissant au moins des 2/3 des délégués et la décision doit intervenir à la majorité absolue des votants’. Il est stipulé en particulier que la démission de quelques membres du Bureau politique ne peut pas, par ce simple fait, entraîner la dissolution du parti : ‘En cas de défaillance de la direction, le congrès peut être convoqué en séance extraordinaire sur déclaration commune d’au moins quatre conventions régionales.’ ‘Les membres qui seront coupables d’activités pernicieuses dans le simple but de provoquer la dissolution du parti au lieu de se conformer aux dispositions des statuts, perdent ipso facto la qualité de membre du Pds sans préjudice de leur responsabilité civile personnelle devant les tribunaux conformément aux règles du droit commun’ ; ‘dans le cas de dissolution, les biens du parti seront dévolus à une œuvre sociale désignée par le congrès qui nommera à cet effet une commission de liquidation.’
On dit souvent que ce que les lois d’un pays proscrivent, le caractérise plus que ce qu’elles prescrivent : une lecture lucide de ces alinéas en donne la preuve éclatante. Ces passages, en plus de leur valeur institutionnelle pour le Pds, constituent une sorte de mémoire inconsciente de la pratique politique sénégalaise : les alinéas 2, 3 et 4 restituent, en effet, de façon indirecte, l’ambiance politique dans laquelle ils ont été consignés dans ce texte législatif du Pds.
Un Sénégalais de 2050 pourra se faire une idée plus ou moins précise de la façon dont ses ancêtres faisaient la politique des années 70 à nos jours, et de l’ampleur de la nocivité de la transhumance pour quelques partis. Une frilosité manifeste à l’égard de la transhumance se dégage tout de suite quand on lit ces passages : le caractère essentiellement circonstanciel ne laisse subsister aucun doute sur ce plan.
Fortement et profondément instruit par les diverses fortunes des partis qui ont précédé le sien, Me Wade était dans l’obligation de se barricader par des moyens politiques et moraux, pour éviter que son parti ne subisse le même sort que les autres. Il découle de toutes ces considérations qu’en se barricadant de la sorte, ce parti voulait relever un défi dans un contexte de renaissance du multipartisme après huit années de parti unique. Il fallait assurer la survie du parti, pérenniser sa présence dans le terrain politique face aux passages éphémères des partis politiques d’opposition. Il fallait éviter le piège de la dissolution par une attitude constructive (d’où la stratégie de parti de ‘contribution’), tout en écartant toute idée d’intégration de l’Ups.
Cependant, si l’intégration de l’Ups et la dissolution du PDS ont pu être évitées, tel n’est pas le cas pour les défections. Il n’y a pas, dans le passé politique du Sénégal, de parti politique qui ait pâti davantage ou même autant que le Pds des défections scandaleuses au sommet de la pyramide du parti. Ce qu’on appelle ordinairement la crème intellectuelle d’un pays s’est, en fin de compte, fait une sorte de morale pragmatiste sur ce point : la meilleure façon de se faire remarquer et se faire acheter par le régime socialiste était de s’engouffrer dans un compagnonnage hypocrite avec Wade.
Autrement dit, le Pds était devenu un raccourci pour atterrir dans les prairies vertes des socialistes. Voilà, en définitive, la place de la transhumance dans la société politique sénégalaise, aux lendemains des élections de février 1978 et à la veille de la démission de Senghor. Quand les intimidations ne prospéraient pas dans la perspective de démolition intelligente du Pds, on faisait toujours recours à la corruption à grande échelle.
Il n’y a aucun doute là-dessus : les quarante ans de règne du Parti socialiste ne s’expliquent pas seulement par la pratique courante de la fraude électorale. Les gens votaient effectivement pour le Ps et ce, non pas parce qu’ils étaient convaincus de ses idées ou programmes, mais simplement parce qu’il lui était la plupart inféodés.
C’est un secret de polichinelle que de dire que le régime socialiste s’est toujours appuyé sur le clientélisme, notamment en zone rurale, avec la distribution des semences et la commercialisation des produits agricoles, pour influer sur la mobilisation partisane. Le fameux ‘compte K2’ aussi a été mis à contribution pour la corruption d’acteurs politiques de l’opposition. Le personnel politique, notamment celui de l’opposition, a toujours dénoncé avec véhémence l’extrême mobilité des acteurs, notamment ses implications avec la corruption. C’est précisément cette corruption et les mœurs y afférentes qui sont à l’origine du discrédit actuel du discours politique.
Les Sénégalais ne pas sont devenus sceptiques à l’égard de la politique sans raison : il y a suffisamment d’évènements pour confirmer cette méfiance de nos compatriotes vis-à-vis de la chose politique. Au regard de toutes ces considérations, il est juste de dire que l’ampleur actuelle de la transhumance politique n’est guère un hasard : elle est la résultante nécessaire de ce qui s’est passé dans ce pays depuis les années 50.
La transhumance ou la ruée vers le Pds à partir de 2000
Dans Les frères Karamazov, Dostoïevski fait dire à Rakitine ceci : ‘Ne le savais-tu pas ? Tout est permis à un homme d'esprit, il se tire toujours d'affaire…’. Une telle maxime semble bien résumer l’habileté qui a toujours caractérisé la trajectoire politique des hommes politiques de ce pays. Au gré de la météo politique, ils réussissent toujours à naviguer sans jamais chavirer : c’est dans ce sens qu’il faut comprendre la conception et la pratique qu’ils ont de la transhumance politique. Aussi, la grande bousculade actuelle vers le parti libéral n’est-elle guère surprenante : c’est une continuité dans la tradition de la démocratie sénégalaise.
Depuis presque un siècle, ‘l’entrisme politique’, ‘le nomadisme’ et son corollaire la ‘transhumance politique’, pratiques récurrentes dans la vie politique, ont, à chaque fois, annoncé et accompagné les mutations politiques au Sénégal. La défaite d’Abdou Diouf à l’élection présidentielle de 2000 a été ressentie dans son parti comme un séisme, voire comme une apocalypse politique : l’horizon a été brusquement bouché et l’univers politique devenu subitement étrange.
La recomposition de la scène politique sénégalaise était donc inévitable surtout qu’une catégorie de politiciens était tellement habituée aux délices du pouvoir que leur survie politique ou même leur survie tout court n’était guère envisageable en dehors des couloirs du pouvoir. Kant a suggéré que l’une des faiblesses (c’est peut-être une force ?) de la démocratie est que ‘chacun veut y être le maître’ ; c’est cela aussi une des clés d’explication du phénomène de la transhumance.
En effet, il y a une espèce d’élite dans toute démocratie qui ne peut concevoir son épanouissement, ou même son existence, en dehors des cercles du pouvoir : ces intellectuels ne voient dans le militantisme qu’un instrument pour faire valoir leur ‘savoir-faire. Peu importe l’idéologie ou le programme du parti qui gouverne : ce qui les intéresse, c’est avant tout leur salut personnel. A côté de cette catégorie d’hommes politiques adeptes de la transhumance, il y a les politiciens de métiers qui n’ont assurément pas la même lecture de ce phénomène que les citoyens ordinaires. Pour comprendre de façon exhaustive ce phénomène de la transhumance politique, il faudrait peut-être un jour revisiter profondément la sociologie rurale de la société sénégalaise.
Dans certaines localités, même si on vote, ce n’est pas encore suivant le réflexe du citoyen de la démocratie majeure : des mobiles ethnico-culturels conditionnent souvent le vote. Dans un tel univers, l’homme politique est le dépositaire des intérêts de chaque membre du clan et ce qui peut être considéré comme l’intérêt général dudit clan ; de sorte qu’il réfléchit en fonction de sa localité d’abord avant même de penser au national. Sous ce rapport, la transhumance de certains hommes politiques est, dit-on, voulue, voire dictée par les ‘mandataires’.
Les pans entiers qui se sont coupés du Ps au profit du Pds révèlent cependant une autre vérité indépendante de la culture de la transhumance. Cette vérité est que, politiquement, le Ps était moribond depuis belle lurette et qu’il n’a survécu que grâce aux sinécures qu’il distribuait pour maintenir ou entretenir une clientèle politique devenue malheureusement trop coûteuse. ‘On gouverne mieux les hommes par leurs vices que par leurs vertus’.
Et pour dire encore un mot sur la gestion de la transhumance politique, il faut souligner que, puisque (comme le dit La Fontaine) ‘Tout vainqueur insolent travaille à sa perte’, Wade et son régime ont tiré la leçon de la défaite du Ps et c’est pourquoi ils ont très tôt compris que même si la politique ne pouvait pas s’exercer strictement sur les exigences de l’éthique, une moralisation de la vie politique était tout de même nécessaire.
Si l’histoire se raconte et s’écrit en se fondant sur les vestiges et les témoignages, nul ne pourra occulter dans l’histoire politique du Sénégal que le régime de Wade a été le premier à combattre, sans aucune ambiguïté, le phénomène de la transhumance politique en légiférant là-dessus. Au-delà du devoir d’objectivité qui nous incombe dans la restitution et l’explication des actes et évènements historiques, il est d’une impérieuse nécessité intellectuelle que nous comprenions que, derrière chaque acte politique, il y a une intention humaine, or le monde des intentions ne pourra qu’être approximativement connu (...)
Au regard de ces considérations, il ne fait l’ombre d’un doute que le phénomène de la transhumance politique n’est ni une invention libérale, ni le monopole d’un parti. Dans les plus profondes racines de la démocratie sénégalaise, on trouve ce phénomène solidement ancré dans nos mœurs politiques.
Supprimer la transhumance politique au Sénégal peut être un vieux rêve motivé par des raisons éthiques, mais dans la réal politique, une telle suppression équivaudrait à l’arythmie de la démocratie sénégalaise. Malheureusement, elle s’est moulée dans la culture du ‘maslahah’ et de la ‘sutura’ et en constitue un ferment solide et fertile. (Fin)
Pape Sadio THIAM Journaliste thiampapesadio@yahoo.fr 76 587 01 63
Et la République dans tout ça ?
Invité à l’émission « Remue-ménage » de la Rfm le dimanche 7 février 2010 et interrogé sur les gaffes du ministre Bécaye Diop, j’ai eu à répondre que sa responsabilité est limitée, voire nulle. Le seul et vrai responsable, c’est incontestablement le président de la République, qui s’est permis de nommer ministre de la République ce compatriote, qui n’a manifestement pas le profil de l’emploi. J’ai expliqué comment Bécaye Diop a été nommé ministre par défaut dans le premier gouvernement dit de l’alternance. Ce monsieur trouverait difficilement un poste de chef de cabinet dans un gouvernement sérieux mis en place par un président de la République digne de ce nom. Malgré ses limites objectives, Bécaye est aujourd’hui à la tête du Ministère de l’Intérieur, un département sensible, stratégique qui compte au moins treize (13) grosses directions, pilotées par des administrateurs civils de classe exceptionnelle, des colonels des Forces de sécurité, des commissaires divisionnaires qui ont gravi tous les échelons. Cette camisole qu’on lui a mise est trop ample pour son corps malingre. Il est vrai que c’est d’hommes et de femmes de l’acabit de Bécaye que Me Wade a besoin : sans relief, sans épaisseur, sans ambition politique et dont l’idée ne leur traversera jamais l’esprit de lorgner le fauteuil présidentiel.
Bécaye Diop n’est donc pas à sa place et n’appréhende pas à leur juste valeur les importants enjeux qui caractérisent le ministère à la tête duquel il a été contre toute attente propulsé, de surcroît avec le grade de Ministre d’Etat, comme lorsqu’il était à la tête des Forces Armées d’ailleurs. Personne ne devrait donc être surpris aujourd’hui de sa bourde de Touba, comme des nombreuses autres. En tous les cas, la dernière a irrité et indigné plus d’un, et soulevé une va gue de vives réactions. C’est le « Le Réseau des jeunes cadres tidianes » qui s’est le premier et le plus illustré dans une déclaration vigoureuse dont voici un extrait : « Toute la communauté tidiane confondue se sent indignée par les déclarations inopportunes et idiotes du Ministre de l’intérieur lors de la cérémonie marquant le Magal de Touba. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que de telles provocations sont distillées par les plus hautes autorités du pays avec en tête Abdoulaye Wade chef de l’Etat mais qui de plus en plus se sent aux services exclusifs de sa communauté mouride. » Au fur et à mesure qu’on lit la déclaration, le ton monte et se fait plus menaçant. Jugeons-en : « Jusqu’à présent aucun justificatif valable n’a été servi aux sénégalais pour expliciter le choix hautement partisan d’entamer l’investissement dizaines de milliards dans les infrastructures par la cité de Touba. Déjà en ridiculisant nos institutions depuis l’entame de l’alternance par l’acte d’allégeance de l’Etat sénégalais à une seule et unique famille religieuse, encore celle de Touba, les différents gouvernements de Abdoulaye Wade ont posé les jalons d’une dislocation pérenne de notre unité nationale. » Et les jeunes cadres tidianes de promettre de « répondre mot à mot, geste par geste à toute autorité, qu’elle soit de l’Etat, du milieu politique, et du milieu religieux, qui s’aventurerait à organiser une quelconque hiérarchisation des communautés religieuses au seul profit de Touba. » Ils ont même déclaré Bécaye Diop persona non grata à Tivaouane lors du prochain gamou.
Une voix plus autorisée encore, celle du porte-parole du Khalife générale des tidianes, s’est fait entendre sans ambages. Elle « met en garde les autorités qui font des déclarations intempestives pour semer la zizanie entre les confréries ». Le porte-parole dénonce « les incursions des politiciens dans les confréries religieuses », cloue au pilori le ministre Bécaye Diop et annonce une conférence de presse à Dakar, « pour mieux décliner la position de la famille Sy par rapport à cette question ».
La presse s’est aussi largement fait l’écho de la réaction de Serigne Mansour Sy Djamil qui a, en particulier, accordé une longue interview à la « La Gazette » n° 45 du 11 au 18 février 2010. Le khalife de Serigne Moustapha Sy Djamil n’a pas épargné Me Wade dont il estime qu’ « il ne connaît pas sa fonction ».
Ces vives réactions, personne ne peut les reprocher à la communauté tidiane : c’est son droit le plus absolu de se faire entendre, de la manière qui lui semble la plus appropriée. J’ai cependant des problèmes quand c’est Bécaye qui est pilonné et déclaré persona non grata. Le pauvre n’est qu’un second couteau. Ndeyi bill gi, Ablaay Wadd la ; lu njiin njaaga te mooy njaag. En d’autres termes, c’est Me Wade le principal responsable. C’est ce qui ressortit d’ailleurs nettement de la déclaration des jeunes cadres tidianes comme de l’interview de Serigne Mansour Sy Djamil. Et ils ont raison. S’en prendre au seul pauvre Bécaye, c’est laisser passer le serpent et s’acharner sur ses traces. Il n’a fait sa déclaration que pour plaire à Me Wade. Il n’était surtout point en transe, comme certains l’avancent pour lui trouver des circonstances atténuantes. Il ne sait même pas ce que Mouridisme signifie. Sans les nombreuses déclarations ostentatoires de Me Wade en faveur du mouridisme, Bécaye Diop se serait bien gardé de tenir les propos qui lui ont valu le volet de bois verts dont il se souviendra toute sa vie.
C’est Me Wade qui est donc le vrai et seul responsable. C’est de lui, et de lui seul, que viennent le malaise et l’inquiétude qui nous envahissent tous aujourd’hui. C’est lui qui a donné le ton depuis la cérémonie de la pose de la première pierre de la Mosquée Masaalik al jinaan, le samedi 5 décembre 2009, où il affirmait publiquement la primauté de la communauté mouride sur les autres. C’est lui qui, par ses choix politiciens, partisans et souvent maladroits, irritent et frustrent les autres communautés religieuses. Ce sont ces choix qui expliquent les nombreuses sorties au vitriol du porte-parole de la famille Sy contre le gouvernement, en réalité contre Me Wade qui est buur et bummi. Nous nous rappelons l’avoir entendu, à quelques jours du grand Magal de Tivaouane de 2003, adresser une sévère mise en garde aux autorités de l’alternance. Il leur lançait ainsi sans porter de gant : « Tivaouane fait partie du Sénégal et a droit à un peu plus de considération. J’ai dit au Président de la République que les Tidianes font partie de ceux qui l’ont élu. Nous faisons face à toutes nos obligations comme tous les citoyens. Comme tous les citoyens, nous avons autant de devoirs que de droits. Ce sont les droits que nous réclamons. »
A l’époque, les autorités prirent rapidement peur et intimèrent l’ordre à un membre du Gouvernement d’entrer en contact avec le porte-parole, Serigne Abdoul Aziz Sy Jr. Ce dernier le confirmera en ces termes : « Le Ministre de la Décentralisation m’a appelé pour me dire qu’il a reçu des instructions pour "travailler" Tivaouane. Je lui ai répondu que je prends acte et nous nous sommes donné rendez-vous après le gamou. » Le porte-parole reviendra plus tard à la charge, constatant que les rues de Tivaouane n’étaient pas réfectionnées, contrairement aux engagements du Gouvernement. Il va encore malmener les autorités en leur faisant savoir haut et fort son courroux en ces termes brefs et impitoyables : « Rien n’a été fait à Tivaouane. » Le pauvre Directeur général de l’Agence autonome des Travaux routiers de l’époque fera d’ailleurs les frais de ce courroux : il sera purement et simplement relevé de ses fonctions.
Le porte-parole mettait surtout la pression sur Me Wade en déclarant (Nouvel Horizon n° 447 du 03 au 09 décembre 2004) qu’il ne comprenait pas pourquoi le président Wade tenait vaille que vaille à médiatiser ses actions à Touba ! Il ajoutait que le Président Diouf allouait annuellement des millions à la confrérie mouride mais dans la grande discrétion. « En médiatisant ses actions, on a l’impression qu’il (Me Wade) cherche à froisser la susceptibilité des autres », concluait-il, très remonté contre ce dernier. Du moins en apparence.
Sentant tenir le bon bout, il reviendra à la charge le mardi 29 novembre 2005, plus exigeant que jamais. Profitant d’une visite du ministre Assane Diagne dans la ville sainte de Tivaouane, il lui jette à la figure comme une poignée de piment : « L’alternance n’a rien fait à Tivaouane. » Puis, il rappelle que le président Wade n’a rien respecté de son engagement ferme à reconstruire la ville. Visiblement très énervé, il lance alors cette terrible menace : « Les Tidianes n’hésiteront pas à prendre leurs responsabilités lors des prochaines élections ». Il va même plus loin en martelant, connaissant bien le point faible du politicien Wade : « Le gouvernement de l’alternance doit faire quelque chose pour Tivaouane et je donne un ultimatum au Chef de l’État. » (cf L’AS du mercredi 30 novembre 2005, page 4).
La République est vraiment couchée, humiliée, avec cette volonté effrénée de Me Wade de rester coûte que coûte au pouvoir. Lancer aussi publiquement un ultimatum à l’Etat et à son chef ! C’est quand même très inquiétant !
Le Premier Ministre Macky Sall, à son tour, ira à Canossa, en se rendant à la ville sainte à quarante huit heures du Gamou de 2005, à la tête d’une forte délégation d’au moins quinze ministres. Après avoir présenté ses vœux au Khalife général des Tidianes, il le rassure en ces termes : « Le Président de la République Me Abdoulaye Wade a donné des instructions fermes à son Premier Ministre pour que rapidement le visage de la ville sainte change, avec la naissance de nouvelles infrastructures capables d’accompagner l’essor de la cité religieuse. S’il y a le moindre retard à ce niveau, ce n’est pas le Président Wade, mais le Gouvernement.»
Pour en finir donc avec la réaction de Tivaouane, je le répète avec force, c’est à Me Wade qu’il faut s’en prendre, plutôt qu’au pauvre Bécaye Diop, qui n’est que la voix de son maître.
Ce n’est d’ailleurs pas Tivaouane seulement qui exprime son courroux. De toutes les autres confréries et de l’église catholique fusent des récriminations. La République est ainsi devenue l’otage des foyers dits religieux. Le président est écartelé dans sa volonté inconciliable d’afficher sa nette préférence pour Touba et d’entretenir des relations normales avec les autres confréries. C’est pourquoi, il est obligé parfois de s’humilier et d’humilier la République. Ainsi, lors du gamou de Tivaouane de 2004, il a bu le calice jusqu’à la lie, en s’expliquant publiquement et laborieusement sur son mouridisme. Il faisait remarquer notamment que « sa propre famille est partagée entre les deux grandes confréries sénégalaises, c’est-à-dire les Tidianes et les Mourides », que chez eux (les Wade) « ils sont deux – une de ses sœurs et lui – à être des disciples de Cheikh Ahmadou Bamba ». « Ce qui n’altère en rien, s’était-il empressé de préciser, ses relations avec Tivaouane et la communauté tidiane ».
Cet événement était passé presque inaperçu et n’avait pas, en tout cas, fait à l’époque l’objet de beaucoup de commentaires. C’était pourtant inédit, proprement piteux et gênant, très gênant pour la République, la Démocratie, la Laïcité.
Je ne conclurai pas ce texte sans passer rapidement en revue trois autres réflexions que m’inspirent la gaffe de Bécaye et la suite à laquelle elle a donné lieu :
1) – en attendant la conférence de presse annoncée, la première position du porte-parole du Khalife général des Tidianes a, tout d’un coup, notablement évolué. Il invite curieusement les journalistes à « savoir censurer les propos négatifs ». C’est à l’homme de presse, selon lui, qu’il revient de pouvoir « disséquer » dans les discours, « ce qui pourrait heurter et l’éliminer ». N’est-ce pas plutôt aux autorités, et à la première d’entre elles, qu’il appartient de s’autocensurer, en remuant mille fois la langue avant de parler ? Le rôle de la presse est d’informer et de commenter, s’il y a lieu, ce qu’elle voit, entend ou lit. L’invite du porte-parole devrait à la rigueur s’adresser à la télévision des Wade, qui les suit comme leur ombre et rend compte de façon exhaustive de tous leurs gestes et propos. Et puis, dans cette affaire, il n’y avait rien à censurer vraiment ! Nous avons tous entendu en même temps la bourde de Békaye et la déclaration de Me Wade du 5 décembre 2009 ! Et bien d’autres encore d’ailleurs. Laissons donc les journalistes tranquilles !
2) – cet animateur d’une certaine émission, affichant de plus en plus sa volonté inébranlable de faire plaisir aux Wade, s’est époumoné à vouloir défendre Bécaye Diop et à banaliser sa bourde. Selon lui, chaque confrérie estime avoir une longueur d’avance sur les autres et la justifie par des preuves tangibles. Bécaye n’aurait donc commis aucune faute en prononçant les propos incriminés. C’est justement parce que chacune d’elles affiche sa suprématie sur les autres que Bécaye et tous les représentants de l’Etat républicain devraient s’abstenir de prendre partie dans cette « rivalité ». Bécaye serait aussi blanc comme neige puisque le militant qu’il est défendait les intérêts de son parti, comme tous les politiques qui viennent à Touba d’ailleurs. Quelle grave appréciation ? Où est la place de l’Etat républicain dans tout ça ? L’argument brandi est faux d’ailleurs : les prédécesseurs de Bécaye (Macky Sall, Ousmane Ngom, Cheikh Tidiane Sy) sont aussi militants que lui. Ont-ils jamais commis à Touba ou ailleurs la bourde qui fait jaser aujourd’hui ? Le nouveau bouclier de Wade estime aussi que les relations heurtées entre ce dernier et les différentes familles religieuses ne sont pas un fait nouveau : c’était pire du temps de Senghor. Quelle hypocrisie ! Quel mensonge ! Il y a mille exemples pour le confondre mais ce texte est déjà long. On l’a entendu aussi qualifier Me Madické Niang et Me Abdoulaye Wade de mourides « saadiix ». A-t-il déjà oublié que c’est lui qui, le premier, a réfuté catégoriquement le « mouridisme » de Me Wade, dès son accession à la magistrature suprême ? Il est vrai que, à l’époque, il ruait dans les brancards pour avoir sa télévision. Un autre bouclier des Wade, qui a gagné ses galons dans l’émission très orientée et très colorée du premier, explique la bévue de Bécaye par les subtilités de la langue wolof. Et ses nombreuses autres sorties malheureuses en français ? Ce sont aussi les subtilités de cette langue qui sont en cause ? Trêve de balivernes waay !
3) – les malheureux choix de Me Wade et des siens n’entraîneront peut-être pas de graves conséquences sur les relations entre les différentes familles religieuses, donc sur la cohésion nationale. Je renvoie les lecteurs à l’intervention remarquée à cette certaine émission (du jeudi 11 février 2009 à 21 heures), de Serigne Abdou Lahat Mbacké Gaïndé Fatma, digne fils de son père et président de la commission culture et communication du Magal de Touba. « Touba et Tivaouane ont le même sang, ils sont de même père et de même mère », a-t-il proclamé. « La religion au Sénégal, ajoute-t-il, c’est comme une maison et les confréries des chambres de cette maison ». En outre, il trouve normal que l’Etat investisse à Touba, deuxième ville du Sénégal par sa population. Ce faisant, il s’acquitte de son devoir. Mais, il précise avec bonheur que « dans sa démarche, l’Etat doit être neutre et traiter tout le monde au même pied d’égalité ». Avec de tels esprits de tolérance et on en trouve dans tous les foyers religieux du pays, les maladresses et choix politiciens de Me Wade ne nous conduiront peut-être pas au chaos qui nous menace sans cesse avec sa nauséabonde gouvernance. Pour cette chance, nous devons rendre grâce à Dieu.
MODY NIANG, e-mail : modyniang@arc.sn
Pari Destructeur du Sénégal Libéral
C’est en ces termes que s’est exprimé le Président Wade le 26/10/07 lors du séminaire gouvernemental sur les résultats du groupe consultatif de Paris : «Je ne veux plus entendre parler de gré à gré, que l’on n’évoque plus l’urgence pour justifier le gré à gré, il n y’a pas d’urgence qui tienne.»
Un an après, nous avons eu les dépassements budgétaires que le même Wade a qualifiés devant le vice-président de la Banque mondiale Ezekwesly de faute énorme et avait ajouté : «Tout Directeur général qui dépensera plus que son budget sera sanctionné, je le mets à la porte et il sera arrêté.» J’avais seulement souri à l’époque parce que c’était à l’occasion du colloque sur l’accélération des déboursements de l’aide au développement. Sachant comment le système et ses hommes fonctionnent, je savais que rien n’arriverait. Un lampiste, qui n’a pas vu la couleur de l’argent ainsi dilapidé a payé (Ibrahima Sarr, ancien ministre du Budget) et les rideaux sont tombés.
Il y aura ainsi une loi rectificative de finances qui viendra, comme les lois scélérates genre «Ezan», enterrer l’œuvre de ces prédateurs de genre nouveau qui ont occasionné ces fautes graves. La topographie des prédateurs désignés renseigne que rien ne leur arrivera de grave. Nous avons vu tous comment certains directeurs d’agence ont poussé la témérité jusqu’à ne pas répondre aux auditeurs des cabinets.
L’Autorité de régulation des marchés publics vient de rendre son rapport d’audit sur les contrôles effectués auprès d’un échantillon d’autorités contractantes pour l’année 2008 (ministères, agences, collectivités locales etc.). Le constat a été unanime pour les cabinets qui ont été commis à la tâche : De graves violations dans les passations et exécutions des commandes publiques. Les fautes constatées dépassent le scandale au moment où l’indicateur du moral des ménages a drastiquement chuté. Ceux qui s’attendent à juste raison à des sanctions contre ces prédateurs qu’ils voient, à la salle des banquets, plastronner fièrement devront prendre leur mal en patience, car vers le chemin qui mène à 201…, la campagne nécessitera beaucoup de moyens matériels et financiers que détiennent justement ceux-là. Comme dans le lot figure son fils, le «meilleur» des fils du pays et ses amis.
Pourtant la Dcmp avait dans sa situation sur les marchés immatriculés pour le 1er trimestre 2008 indiqué que sur 79 896 485 725 (Bci, fonctionnement, etc.), 52% l’ont été par entente directe avec 1% autorisé. Aucune réaction de la part de la plus haute autorité du pays.
Ce Code des marchés, on l’a laissé dormir dans les tiroirs depuis juin 2006 afin de permettre à une caste de prédateurs de dérouler tranquillement leurs chantiers. Ils ne respectent pas les Sénégalais, ils pensent que leur «constante» est éternel, leur pouvoir éternel. Il a bien raison ce ministre-conseiller de dire que s’ils perdent le pouvoir, beaucoup iront en prison et y aura pas besoin d’audits nouveaux tellement y a matière déjà sur ce que nous en savons alors que l’audit de l’Armp n’a touché qu’un échantillon fort réduit des structures existantes.
Je disais dans un de mes papiers que les gisements de fraude du système sont nombreux et variés. L’audit et l’exploitation sérieuse de tous les démembrements de l’Etat renseigneraient que notre pays n’a connu en 50 ans d’indépendance, tels détournements de deniers publics en 10 ans.
Ce qui est révoltant dans cette situation, c’est la violation grave et en toute connaissance de cause du Code des marchés par ces individus sans foi ni loi. A défaut de paralyser l’Armp pour que les audits de 2009 ne sortent jamais avant 201…, ils vont s’atteler à discréditer les membres de la structure pour faire oublier leur forfaiture.
Un jour l’un d’eux m’a dit en wolof «wakhou niari fann, niet lay done» et pour ceux qui ne comprennent pas cette langue cela veut dire (le tollé ne fera que 2 ou 3 jours sans plus).
Oui, de grands «brigands» sont au pouvoir et à côté de ces prédateurs nous avons aussi le genre Massaly et Bécaye Diop. Des gens «créés» par Wade et pour qui ils sont prêts à TOUT faire et dire tellement ils n’ont jamais rêvé des positions qu’ils occupent dans le Sénégal. Je profite de cette occasion pour démentir formellement, rétablir la vérité pour ceux qui se trompent de bonne foi (journaux-télés) au sujet de Massaly pour dire qu’il n’est pas Pca de Dakar nave, mais de la Sirn car entre ces deux entités, c’est l’océan du point de vue économique et structurel. Une société de 8 personnes avec Pca et Dg, c’est aussi un des gâchis énormes rien que pour satisfaire une clientèle politique, qui ne fera aucun travail pour le bonheur des populations, seulement des moyens de faire la politique avec l’argent des Sénégalais. Cette société qui n’a aucune activité ni commerciale, ni industrielle, ne perçoit que des redevances qui sont loin de couvrir ses charges.
Concernant Bécaye, c’est le lieu de dire que vraiment ce n’est pas le genre à qui confier un département ministériel aussi stratégique qui nécessite deux choses : tenue et retenue. (…) Et nous ne sommes pas au bout de ses «bécayeries». Comprenne qui pourra.
Senghor serait ahuri s’il lui était donné de venir un jeudi rien que pour voir la tronche de certains qui siègent au Conseil des ministres. Pour Abdou Diouf, tout le monde sait qu’il n’aurait jamais nommé certains ministres qui y siègent. Ils savaient la place où il fallait les mettre.
Salif NDIAYE - Dieuppeul2 - salifn@hotmail.com
Déchaînement de la mer sur les plages : tout sauf un mur !
Depuis quelques jours, il a été constaté le déchaînement de la mer sur plusieurs plages le long du littoral sénégalais. Ce phénomène est encore plus visible au niveau des plages des Parcelles assainies, de Diamalaye, de Yoff et de Saint-Louis où l’eau a rejoint des niveaux inquiétants. Cette situation qui se manifeste de manière cyclique chaque année prend de plus en plus d’ampleur avec le changement climatique à l’échelle mondiale. Et c’est l’occasion de faire le rapprochement avec ce qui se passe dans les autres pays en termes de perturbations du cycle de l’eau.
Les réactions des populations dans le vif sont compréhensibles, avec le souhait de mettre en place un mur de protection. La dernière en date est celle des populations de Guet Ndar et de Gokhu Mbathie sur la Langue de Barbarie. Mais le déferlement des eaux serait plus catastrophique si l’option de l’édification d’un mur est adoptée. En effet, ça sera l’occasion pour la force motrice de l’eau d’avoir un élément fixe à attaquer. Les exemples ne manquent pas des murs de protection qui tombent quelques mois après leur mise en place.
Ce qui doit pousser les autorités, les acteurs de la protection de l’environnement et les populations à une réflexion beaucoup plus poussée sur la gestion rationnelle de nos plages. Tout le monde constate avec regret les emprises privées installées sur les plages, dont les conséquences sont incommensurables. D’abord, ces emprises ont des conséquences néfastes sur les mouvements naturels des houles, le transfert des bancs de sable et autres phénomènes naturels qui se produisent le long des plages. Ensuite, l’accès à ces espaces très sollicités par la jeunesse, pour le sport ou des activités récréatives, est de plus en plus restreint. Ce qui peut avoir des réactions incontrôlées avec le mutisme des autorités sur ces phénomènes. Dernièrement, les réactions violentes des jeunes contre le morcellement en parcelles de la plage en face du centre aéré de la Bceao est illustratif.
Cette gestion rationnelle de nos plages suppose tout d’abord l’application des lois et règlements en vigueur. En effet, il est bien indiqué qu’aucun établissement ne peut être édifié sur 80 mètres après la ligne des hautes eaux. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui sur la plupart de notre frange maritime. Le cas de la Langue de Barbarie est encore plus édifiant, avec la pression foncière qui s’y exerce. Cette bande de sable, large de 300 mètres, devrait faire l’objet d’une surveillance beaucoup plus accrue afin d’éviter une catastrophe.
La nature subit plusieurs modifications de ses aspects naturels depuis plusieurs années. Le cycle de l’eau qui est une partie intégrante de ces aspects naturels a un caractère spécial. En effet, à chaque fois qu’on modifie ou supprime une partie du cycle de l’eau dans une partie du globe, les réactions sont immédiates et violentes. La construction d’un mur n’a jamais été une solution pour arrêter une mer. A la limite, cette solution peut être envisageable dans le cadre d’un cours d’eau pour éviter le déversement des eaux hors du bassin.
Vouloir construire les pieds dans l’eau ou proche de la mer ne doit pas être plus important que la protection d’un bien commun inestimable : les plages. Il faut réagir !!!
Mbaye Babacar DIAGNE - Expert Eau-Assainissement - BP 7719 Dakar-Médina / ababacarmbaye@yahoo.fr