La cohésion nationale en péril
Dans une précédente contribution (Le Soleil du 6 août 2008), je disais, parce que nous sommes une civilisation de l’oralité, que tout sujet, des plus importants aux plus insignifiants, soulève très souvent une débauche d’énergie incroyable et des passions sans rapport avec leur importance. Aujourd’hui, l’édification d’une statue dénommée «monument de la Renaissance» suscite un débat passionné. Le dernier assaut contre la statue vient des imams, suite à une déclaration du chef de l’Etat sur le sujet.
Depuis bientôt deux ans, les imams sont très présents dans les débats par médias interposés. Cela est normal et salutaire, parce qu’ils sont partie intégrante du corps social. Il s’y ajoute que l’imam a un rôle éminent d’information, d’éducation des musulmans et de prise en charge des préoccupations des fidèles. Cependant, le sermon commun du vendredi 13 décembre, diffusé dans plusieurs mosquées et consacré à la dénonciation de l’édification du «monument de la Renaissance», n’avait pas lieu d’être ; du moins dans les termes et dans la tonalité adoptés.
Que les imams dénoncent l’édification d’une œuvre pareille dans un contexte de crise économique et financière serait tout à fait compréhensible. Qu’ils s’insurgent contre l’édification de la statue, parce qu’il y a une demande sociale plus urgente qu’il importe de satisfaire, avant de songer aux symboles d’identification, serait soutenable. Pour le reste, il m’est d’avis que les imams se trompent de combat. Parce que le débat autour de la statue de la Renaissance africaine est éminemment politique. Le premier à formuler un rejet à connotation religieuse du monument de la Renaissance est une figure politique et un dirigeant de parti politique.
Même si le pays compte 95% de musulmans, nous devons tous convenir que la République est laïque et démocratique. En conséquence, les œuvres artistiques que l’Etat édifie dans l’espace public national font parties du patrimoine national, appartenant à tous les Sénégalais.
Le danger d’un tel discours, découle du fait que le destinataire, c’est-à-dire l’opinion publique, ne dispose pas de tous les outils d’analyse nécessaires pour une interprétation juste des idées développées. Le débat en cours me semble un bon prétexte, pour qu’ensemble nous portions la réflexion sur un sujet majeur : Les menaces qui pèsent sur la cohésion nationale.
La concorde nationale dont bénéficient les Sénégalais, est un bien très précieux que nous devons sauvegarder ; d’autant plus que la région ouest-africaine vit une instabilité chronique depuis une vingtaine d’années. En interrogeant l’histoire récente de l’Afrique de l’ouest (à partir des indépendances), le Sénégal est le seul pays à vivre une paix sociale continue, sans heurts majeurs. Pourquoi ? En Afrique de l’ouest, le Sénégal est le seul pays qui n’a pas connu de régime militaire. Le Sénégal est l’un des rares pays de la sous-région où la diversité ethnique au lieu d’être un facteur de division, se mue en un vecteur d’intégration communautaire. Le Sénégal est un des rares pays où la diversité confessionnelle et confrérique, au lieu de provoquer des conflits interreligieux, se révèlent être des opportunités pour jeter des ponts d’amitié et de concorde religieuse.
Cette réalité sociologique n’est pas une œuvre spontanée, ni une chance, ni le fruit du hasard. C’est la somme de consensus, d’acceptation de l’autre, de tolérance sociale, de définition de valeurs éducatives traditionnelles préservées, de comportements républicains d’autorités politiques, administratives et religieuses. En d’autres termes, elle est la sédimentation d’apports de plusieurs générations qui ont patiemment construit la Nation sénégalaise unie dans sa diversité.
Les pères fondateurs de la République et les constitutionnalistes n’avaient pas perdu de vue la nécessité de préserver cette harmonie sociale.
Ainsi, l’article premier de la Constitution dispose à son alinéa premier : «La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances.» Fin de citation. Cet héritage inestimable est en train d’être perdu.
A quoi assistons-nous aujourd’hui ? Au dérèglement généralisé des valeurs fondatrices du consensus national. A un grand banditisme qui prend des proportions inquiétantes. Des milices se forment et se déploient, sans que personne ne parle. La contestation est érigée en règle à tous les échelons. Comment comprendre que des Sénégalais puissent se permettre de brûler des pneus, parce que leur département, leur ville ou leur confrérie, n’est pas représenté dans le gouvernement.
Certains citoyens (heureusement une minorité), considèrent la démocratie consubstantielle de la liberté d’expression, comme un espace de la virulence dans le propos, l’arrogance dans le comportement, l’injure et l’insulte envers les autres, notamment les autorités politiques, les guides religieux et autres communautés constituent les seuls modes d’affirmation de soi.
Toutes ces dérives contribuent à accentuer le phénomène de repli identitaire, à la communauté d’origine, à la confrérie, au terroir, etc. Si l’on y prend garde, cela finira par engendrer l’intolérance, source de tension et de violence entre groupes sociaux. Comme le dit l’adage : «On ne mesure la valeur de la paix sociale qu’après l’avoir perdue.»
Il est temps d’agir et vite. La classe politique nationale renonce par calcul ou par un manque de courage politique à dénoncer les dérives comportementaux et les propos souvent très désobligeants d’une frange de plus en plus significative de l’opinion publique nationale. Il arrive que des hommes politiques se comportent eux-mêmes en pyromanes.
Le gouvernement n’a pas encore posé d’actes significatifs, susceptibles de montrer aux citoyens sa volonté de combattre ces comportements déviants. La presse, de manière générale, offre très souvent, une tribune à des individus porteurs de discours que l’on peut qualifier de subversifs. Par le passé, chaque fois que la paix sociale semblait menacée, deux pôles sociaux – les intellectuels, les guides religieux des confréries ou le clergé - venaient à la rescousse. Aujourd’hui, ils sont aphones. Les fonctions de régulateurs sociaux et de recours qui permettaient d’apaiser les tensions ou de dissiper les malentendus ne sont plus suffisamment assumées. Il importe que toutes les composantes nationales prennent conscience du problème et qu’ensemble, nous agissons contre les dérives avant qu’il ne soit trop tard.
Massamba SECK - Directeur général de Msc massambaseck2000@yahoo.fr