dans la gestion de Karim : Les amnésies...
Le célèbre «je dirai à ta maman que tu as bien travaillé» décerné par le père au fils a désormais son pendant en sens inverse : «La candidature de Wade est une splendide promesse faite à la jeunesse sénégalaise dans son ensemble.» Une histoire de famille où le président de la République s’empêtre dans des généralités qui laissent béants les trous noirs de la gestion de Karim Wade… et de l’étranger à la famille biologique, Abdoulaye Baldé. Que de questions sans réponse !
Le Président Abdoulaye Wade dispose d’une capacité politicienne extraordinaire, celle de ne jamais répondre aux questions gênantes qui lui sont posées, qui touchent à la crédibilité de son discours. Tout le monde, jusqu’au journaliste qui l’interviewait bien gentiment, a constaté que son laïus sur les ondes de La Voix de l’Amérique passait à côté des véritables sujets d’actualité soulevés par la gestion contestable de l’Anoci par son fils. Karim Wade actuellement sous un orage prolongé depuis l’explosion éditoriale qu’a constitué la parution de Contes et mécomptes de l’Anoci, le président de la République a donc décidé de cultiver les secrets de famille dans la plus grande opacité. C’est Eric Besson qui disait il y a quelques jours, après son refus d’appliquer la loi sur les tests Adn pour candidats au regroupement familial en France, que «les critiques sont publiques, les soutiens, privés». L’allusion à l’appui décisif obtenu de Nicolas Sarkozy face à la vindicte des députés Ump a été comprise de tout le monde. Le débat n’a pas duré. Chez les Wade, c’est apparemment la version contraire qui doit être en vigueur. Ce qui donne ceci : «Les critiques sont privées, les soutiens, publics.» Une sorte de linge sale qui se lave en famille.
Face à la planète entière, Me Wade a dit que son fils «est l’un des meilleurs experts, non seulement sénégalais, mais africains». Soit. Mais alors, n’est-il pas préférable, pour le bien des finances publiques, de couver un cancre pingre qui vous empêche de dépenser en deux jours «400 millions de francs Cfa pour l’habillement des hôtesses et des autres personnels d’appui» lors du sommet islamique de Dakar ? Une énigme à laquelle le chef de l’Etat ne répondra jamais.
LE CAS DU CABINET CICE
Entre «experts», le courant passe toujours. Est-ce pourquoi le cabinet Cice a été rétribué à hauteur de «1,048 milliard de francs Cfa» pour dresser un rapport de constat des dépenses opérées pendant quatre ans ? En réalité, il semble que le montant des prestations «payées» au cabinet favori de Karim Wade ait été grandement sous-évalué. Selon nos informations, c’est un pactole de 48 millions de francs mensuels qui avait commencé à être versé par l’Anoci au Cice. Et très vite, cette somme a été élevée à 60 millions de francs Cfa. Mais dans tous les cas, et même en partant de la basse hypothèse (48 millions), le total se chiffrerait à plus de 2,3 milliards de francs Cfa en quatre ans d’exercice.
Une telle générosité marque fatalement les esprits. Et pour l’histoire, le Cice a délivré un quitus en bonne et due forme à la gestion du duo Baldé-Karim. Ce blanc-seing, Me Wade a bien fait de le rappeler. Mais c’est malgré tout une deuxième énigme qui passe sous ses yeux.
Le président de la République, il y a un ou deux ans, et alors que l’électricité était déjà un poison social, recommandait aux Sénégalais de revenir à la bonne vieille bougie qui, elle, ne trahit jamais. On peut bien lui demander, au Président Wade, ce que faisait au même moment «la lampe (luminaire) (…) placée dans le bureau du président du Conseil de surveillance de l’Anoci» payée à la «somme de 8 millions de francs Cfa». Qui dit pire ? Latif Coulibaly enfonce le clou quand il met en exergue «la plus choquante de toutes ces dépenses», la somme de «750 millions de francs Cfa» qui renvoie «à l’aménagement et l’ameublement des locaux du siège de l’Anoci». Une bagatelle sans doute ridicule à double titre : d’abord, c’est le milliard qui fait désormais l’unité de mesure fondamentale s’agissant des transactions entre hauts d’en haut ; ensuite le statut de l’«expert» ne vaut-il pas plus que cette bagatelle au regard des «430 milliards de francs Cfa» qu’«il a amenés au Sénégal» ?
Et pendant qu’on y est, il aurait été intéressant que le président de la République, avocat défenseur de son fils, prenne son parti dans les dégâts judiciaires collatéraux qui impliquent Mody Niang et Cheikh Amar à propos d’une somme de 26 milliards de francs Cfa initialement prévue pour des villas. Me Wade en sait-il quelque chose lorsque Karim Wade a perdu la langue sur ce dossier ? Le président de la République est-il au courant qu’une rubrique intitulée Imprévus et divers dans les livres comptables de l’Anoci «a englouti 1,229 milliard de francs Cfa en 2006 et 1,342 milliard de francs Cfa en 2007» ?
MYSTERE INEXTRICABLE
Dans un entretien accordé au Populaire en juin dernier, Mouhamadou Mbodj du Forum civil cité dans Contes et mécomptes de l’Anoci relevait un mystère tout autrement épais. «Après la tenue de la conférence, monsieur Baldé avait déclaré que les investissements allaient coûter 174 milliards de francs Cfa et qu’il restait même 73 milliards de francs Cfa de l’enveloppe globale des sommes mobilisées. Le budget initial de l’ensemble des chantiers devait tourner autour de 350 milliards de francs Cfa. Ce qui veut dire que le complément des 350 milliards de francs Cfa devait provenir du privé. D’où viennent les 432 milliards de francs Cfa ? Y a-t-il un prêt accordé à l’Etat ? Pourtant ils (Ndlr : Karim Wade et Abdoulaye Baldé) avaient dit au départ que les travaux ne coûteront rien au pays et qu’il n’y a pas eu de travaux supplémentaires significatifs depuis la fin de la conférence.»
Dans laquelle des mille et une rubriques de la non transparence en matière de gestion faut-il ranger les mystères attachés jusqu’à ce jour au coût de réalisation de l’hôtel Radisson, au montant de la location du Msc Musica, par exemple ?
Dans ce genre de situation inextricable, le scandale est d’abord dans le silence. Assommés, Abdoulaye Baldé et Karim Wade sont des victimes de leur incompétence dans les missions qui leur ont été confiées. Avec les chiffres, ils ne s’en sortiront jamais. Pour eux, le débat attendu par l’opinion est mort-né. C’est pourquoi l’audit technique et financier de leurs activités a toujours été une illusion et un non-sens. C’est en spectateurs qu’ils assistent à leur propre lynchage sur la place publique.
C’est connu, il n’y a de pire mauvaise foi que celle qui se cache à la fois sous un silence coupable et sous des généralités. Lorsque Karim Wade est dans l’incapacité absolue de se défendre par lui-même, c’est son père qui monte sur ses grands chevaux et qui, malheureusement, dérive sur lui-même en passant totalement à côté de la plaque, pour reprendre un confrère. Ce qui fait courir l’un et l’autre n’intéresse pas forcément les Sénégalais. Le message de félicitations enflammé du fils au papa après la déclaration de candidature faite depuis Washington est un échange de bons procédés courant chez les Wade. Le «la candidature de Wade est une splendide promesse faite à la jeunesse sénégalaise dans son ensemble» est la monnaie de la fameuse pièce «tu as bien travaillé, je le dirai à ta maman».
AMABILITES ENTRE PAPA ET FISTON
Dans quel système sommes-nous, où papa et fiston s’échangent des amabilités publiques au-dessus des intérêts vitaux des Sénégalais alors que l’un et l’autre se complaisent dans un cadre de gouvernance économique et financière qui a mis à genoux les finances publiques, constaté par les institutions et bailleurs internationaux ?
Bien entendu, «les critiques sont privées, les soutiens, publics». C’est au nom de ce nouveau principe sarko-bessonien que le papa n’humiliera jamais le fils sur la place publique. Ces histoires d’argent qui mettent en cause l’«un des meilleurs experts sénégalais et africains» deviennent en fin de compte des… contes de famille mal gardés, qui finissent en se-crets de polichinelle. C’est pourquoi tout ceci ne se discutera qu’en vase clos. A l’insu de l’autre, étranger à la famille et dont Madior Diouf, Secrétaire général du Rnd, disait qu’il doit comprendre qu’il n’est pas «un fils biologique» du père de son compère !
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